Les deux Pigeons

Jean de la Fontaine







Plan de la fiche sur Les deux Pigeons - Jean de la Fontaine :
Introduction
Texte de la fable
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Jean de La Fontaine est un poète classique du XVIIème siècle qui a publié de nombreuses fables.
    Dans la fable Les deux Pigeons, La Fontaine nous présente un couple de deux pigeons dont l'un veut partir en voyage et l'autre ne souhaite pas qu'il parte. Après avoir conté l'argumentation des deux pigeons, puis le voyage et le retour au bercail, La Fontaine nous livre son expérience amoureuse personnelle pour appuyer sa morale.
    Ce texte a les caractéristiques d'une fable : récit bref qui met souvent en scène des animaux, auxquels on prête les qualités et les défauts des hommes. Les animaux sont alors des allégories des caractères humains.

Exemple de problématique : comment La Fontaine cherche-t-il à nous persuader de la véracité de sa morale ?

Les deux Pigeons - Jean de la Fontaine - Illustration de Gustave Doré
Les deux Pigeons - Jean de la Fontaine - Illustration de Gustave Doré


Lecture de la fable


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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com

Les deux Pigeons


Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre.
L'un d'eux s'ennuyant au logis
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L'absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel. Au moins, que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,
Changent un peu votre courage.
Encor si la saison s'avançait davantage !
Attendez les zéphyrs. Qui vous presse ? Un corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,
Que Faucons, que réseaux. Hélas, dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,
Bon soupé, bon gîte, et le reste ?
Ce discours ébranla le cœur
De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère.
Je le désennuierai : quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.
Je dirai : J'étais là ; telle chose m'avint ;
Vous y croirez être vous-même.
À ces mots en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne ; et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès ; cela lui donne envie :
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d'un las,
Les menteurs et traîtres appas.
Le las était usé ! si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin.
Quelque plume y périt ; et le pis du destin
Fut qu'un certain Vautour à la serre cruelle
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du las qui l'avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.
Le vautour s'en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un Aigle aux ailes étendues.
Le Pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,
Crut, pour ce coup, que ses malheurs
Finiraient par cette aventure ;
Mais un fripon d'enfant, cet âge est sans pitié,
Prit sa fronde et, du coup, tua plus d'à moitié
La volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l'aile et tirant le pié,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna.
Que bien, que mal, elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste ;
J'ai quelquefois aimé ! je n'aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune Bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère,
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas ! quand reviendront de semblables moments ?
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête ?
Ai-je passé le temps d'aimer ?

Jean de la Fontaine - Les Fables


Vocabulaire :
zéphyrs : Nom donné aux vents d'ouest.



Annonce des axes

I. Une opposition d'argumentations
1. Les arguments du pigeon non voyageur
2. La contre argumentation du pigeon voyageur

II. Le récit du voyage
1. La dramatisation du voyage
2. Le pigeon tourné en ridicule

III. Un récit au service de la morale
1. Un retour salutaire
2. Le bonheur est dans le couple
3. La morale délivrée par le fabuliste



Commentaire littéraire

I. Une opposition d'argumentations

1. Les arguments du pigeon non voyageur

L'alternance de la narration et du discours direct rende la lecture dynamique.
Le désir de voyager du pigeon est dès le vers 2 présenté de façon négative : il veut voyager car il s'ennuie.
Aspect égoïste du voyage : "L'absence est le plus grand des maux : / Non pas pour vous, cruel"
Le pigeon qui reste tente de le décourager à l'aide d'arguments :
- Tout d'abord sentimentaux : "L'absence est le plus grand des maux".
- Puis avec des arguments rationnels : "Les dangers", "Attendez les zéphyrs", "Que Faucons, que réseaux". Les prédictions de ce pigeon non voyageur se sont d'ailleurs réalisées au court du voyage de l'autre pigeon.
- Puis des arguments irrationnels : "Un corbeau / Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau."

Emploi de termes négatifs pour désigner le voyage "absence", "maux", "dangers"...

Le pigeon non voyageur tente de convaincre (faire appel à la raison) et persuader (faire appel aux sentiments) l'autre pigeon. Il tente de culpabiliser l'autre pigeon.
Les arguments touchent le pigeon non voyageur : "Ce discours ébranla le cœur / De notre imprudent voyageur".


2. La contre argumentation du pigeon voyageur

Le pigeon voyageur veut susciter la curiosité de l'autre pigeon "Je le désennuierai", "Mon voyage dépeint / Vous sera d'un plaisir extrême". Exagération grotesque avec l'adjectif "extrême".
Les arguments du pigeon voyageur ne sont pas nobles : envie de paraître "quiconque ne voit guère / N'a guère à dire aussi.", "conter de point en point / Mes aventures" avec rejet qui souligne la prétention.
Egocentrisme du pigeon voyageur : "Je dirai : J'étais là ; telle chose m'avint ;"
=> Critique de la vanité par La Fontaine.

Le pigeon voyageur ne laisse pas l'occasion à l'autre de réagir : "À ces mots en pleurant ils se dirent adieu".

Registre lyrique pour les adieux : "en pleurant" -> la séparation est douloureuse.


II. Le récit du voyage

1. La dramatisation du voyage

Gradation des dangers qui deviennent de plus en plus grands :
- Le premier opposant est un simple "nuage",
- puis un orage,
- puis un piège ("las"),
- puis des prédateurs ("vautour" et "aigle"),
- puis la fronde d'un enfant.

Ces événements se succèdent rapidement, et donne l'impression que le sort s'acharne contre le pigeon, de façon de plus en plus forte.
"Il y vole, il est pris" : parallélisme de construction qui montre que ses actions anodines "vole" ont des conséquences immédiates "pris".
Certains événements s'enchainent dans un même vers. Par exemple le vers 43 contient la fin d'un événement et l'annonce du suivant : "Quelque plume y périt ; et le pis du destin".

Registre tragique.
Registre épique : " Vautour à la serre cruelle", "aux ailes étendues".


2. Le pigeon tourné en ridicule

La Fontaine tourne en ridicule le pigeon pour montrer la folie de son idée de voyage.

La Fontaine utilise des termes de moins en moins noble pour désigner le pigeon : "pigeon", "oiseau", "volatile".

Effet comique car décalage entre les attentes du pigeon et la réalité de son voyage : "Un voyage en lointain pays", et la réalité : "Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite".

Effet comique qui vient du ridicule du pigeon qui petit à petit est de plus en blessé et pitoyable au cours de son voyage, alors que les épreuves qu'il traverse deviennent de plus en plus épiques.

"Les menteurs et traîtres appas" -> personnification des appâts -> ironie de La Fontaine.

Le pigeon est naïf :
"S'envola, s'abattit auprès d'une masure, / Crut, pour ce coup, que ses malheurs / Finiraient par cette aventure ;"
"Crut est mis e, relief par sa position en rejet.

Ironiquement, c'est un enfant a priori inoffensif qui infligera au pigeon sa pire blessure "tua plus d'à moitié".
"tua plus d'à moitié" -> effet comique car on ne peut tuer à moitié.

"Traînant l'aile et tirant le pié, / Demi-morte et demi-boiteuse,"
-> Parallélisme de construction de ces 2 vers -> dévalorisation du pigeon

Utilisation du présent de narration, qui vient rompre le récit au passé simple et à l'imparfait -> rend le récit plus vivant.

Les effets comiques rendent également le récit plaisant.


III. Un récit au service de la morale

1. Un retour salutaire

Le pigeon reconnaît son erreur "maudissant sa curiosité".

Dès que le pigeon décide de rentrer, les malheurs cessent, et le retour ne dure que 3 vers :
"Droit au logis s'en retourna.
Que bien, que mal, elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse."


2. Le bonheur est dans le couple

Le vers 1 de la fable pose la situation initiale : un couple de deux pigeons qui s'aiment tendrement. L'utilisation de l'imparfait montre une situation qui durait. L'adjectif "tendrement" indique la tranquillité et stabilité de ce couple.
Dès le vers 2, l'élément perturbateur (l'envie de voyage d'un des 2 pigeons) est annoncé. L'adjectif "fou" au vers 3 montre déjà que La Fontaine prend parti et désapprouve cette envie de voyage.

Champ lexical de la souffrance pour évoquer le départ du pigeon : "maux", "pleurez"


3. La morale délivrée par le fabuliste

La fable Les deux pigeons est un apologue au service de la morale.

La morale est délivrée par le fabuliste en se basant sur l'histoire des deux pigeons, mais également sur son expérience personnelle.
Pour la Fontaine, la richesse est à chercher chez l'autre, et non dans le voyage. Le sentiment d'amour doit l'emporter sur le caprice égoïste, représenté ici par le voyage.

La Fontaine prend le lecteur comme juge : emploi de "notre" pour qualifier le pigeon comme pour associer le lecteur à son jugement ironique du pigeon voyageur, "je laisse à juger".

Utilisation de questions rhétoriques adressées au lecteur : "voulez-vous voyager ?"
Utilisation de l'impératif "Soyez"...

"Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau, / Toujours divers, toujours nouveau" : anaphore de toujours pour insister sur l'attitude que La Fontaine préconise. Après "toujours", les 3 adjectifs sont ceux qu'on pourrait attribuer au voyage, pourtant c'est bien aux amants qu'ils se rapportent.

Le ton est lyrique. Le poète nous livre les souvenirs de ses amours.

La Fontaine cherche donc à convaincre (faire appel à la raison) et persuader (faire appel aux sentiments) le lecteur.





Conclusion

Dans sa fable Les deux Pigeons, La Fontaine utilise comme à son habitude un récit avec des animaux personnifiés pour nous délivrer sa morale. Cependant ici, il livre également au lecteur son expérience amoureuse personnelle pour nous convaincre et persuader que la richesse est à chercher chez l'autre, et non dans le désir égoïste, représenté ici par le voyage.


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