La Jeune Veuve

Jean de la Fontaine









Introduction

Jean de La Fontaine est un auteur célèbre du 17eme siècle -> Classicisme = Époque où l'Art doit être au service de l’État et du Roi et au rayonnement de la France en s'inspirant de l'Antiquité. But : Plaire pour instruire.
La Fontaine va s’essayer au genre le plus décrié de son époque, dans lequel il va connaître le succès : Les Fables, d’où est tirée la fable La Jeune Veuve.
La Jeune Veuve reprend l'intrigue d'une femme qui jure fidélité à son mari défunt et qui ne s'y tiendra pas du tout. Le texte est plutôt une comédie de caractère, plus proche d’un conte que d’une fable.


Texte de la fable


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La Jeune Veuve

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    La perte d'un époux ne va point sans soupirs.
On fait beaucoup de bruit, et puis on se console.
Sur les ailes du Temps la tristesse s'envole ;
Le Temps ramène les plaisirs.
Entre la Veuve d'une année
Et la veuve d'une journée
La différence est grande : on ne croirait jamais
Que ce fût la même personne.
L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne ;
C'est toujours même note et pareil entretien :
On dit qu'on est inconsolable ;
On le dit, mais il n'en est rien,
Comme on verra par cette Fable,
Ou plutôt par la vérité.

L'Epoux d'une jeune beauté
Partait pour l'autre monde. A ses côtés sa femme
Lui criait : « Attends-moi, je te suis ; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler. »
Le Mari fait seul le voyage.
La Belle avait un père, homme prudent et sage :
Il laissa le torrent couler.
A la fin, pour la consoler,
« Ma fille, lui dit-il, c'est trop verser de larmes :
Qu'a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?
Puisqu'il est des vivants, ne songez plus aux morts.
Je ne dis pas que tout à l'heure
Une condition meilleure
Change en des noces ces transports ;
Mais, après certain temps, souffrez qu'on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
Que le défunt.- Ah ! dit-elle aussitôt,
Un Cloître est l'époux qu'il me faut. »
Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
Un mois de la sorte se passe.
L'autre mois on l'emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l'habit, au linge, à la coiffure.
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d'autres atours.
Toute la bande des Amours
Revient au colombier : les jeux, les ris, la danse,
Ont aussi leur tour à la fin.
On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence.
Le Père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
Mais comme il ne parlait de rien à notre Belle :
« Où donc est le jeune mari
Que vous m'avez promis ? dit-elle. ».

Jean de la Fontaine - Les Fables




Annonce des axes

I. Un éloge du temps, force de guérison
1. La morale de la fable mise en exergue
2. Le temps : seul personnage important
3. Le temps a un allié : le père

II. Un éloge de la vie
1. Refus de ce qui est contre nature
2. Un éloge du plaisir



Commentaire littéraire

I. Un éloge du temps, force de guérison

1. La morale de la fable mise en exergue

- Le lecteur sait dès le début du texte ce qui va se passer : morale (vers 1 à 15) = antéposé.
- L'histoire débute par le vers 16 : « Jeune beauté » = jeune et belle : toutes les raisons réunies pour retrouver une autre vie (notamment sentimentale).
- Au contraire de la veuve elle-même, le lecteur sait comment l'histoire va finir. Ignorance de la veuve due au chagrin ?
- Morale répétitive -> insiste sur le fait qu'après le chagrin, on se console toujours. Oppositions : « soupirs » contre « console » (vers 1 et 2), « tristesse contre « plaisirs » (vers 3 et 4), « veuve d'une année » contre « Veuve d'une journée » (vers.5 et 6), « On le dit, mais il n'en est rien » (vers 13).
=> C'est le destin, l'ordre des choses -> présent de vérité générale et utilisation du « on » -> loi universelle.

2. Le temps : seul personnage important

- Temps personnifié :
   * Majuscule (vers 3 et 4)
   * Divinisé (vers 3) -> mythologie
   * Fait des actions (vers 4)   
- Abondant vocabulaire du temps : vers 5, 6, 27, 30, 32, 35, 36, 43 (sur 8 vers).
- Texte découpé en étapes, associées à un passage du temps : 3 étapes :
  * Désir de mort (vers 17-19) -> désir de Cloître (vers 33),
  * Désir de Cloitre -> retour au désir/ séduction (vers 36-39),
  * Séduction -> exige un autre mari (vers 47-48).

3. Le temps a un allié : le père

- Le père a fait l'expérience du temps qui passe car il est âgé.
- Il se met en retrait, soutient sa fille avec douceur, sans s'imposer ni la presser (vers 30). Le père veut restimuler le désir dans le cœur de sa fille (vers 31) : « beau, bien fait et jeune » au lieu de riche, cultivé et noble par exemple.
-> Le père est prudent et sage => il est le porte-parole du fabuliste qu'est La Fontaine.

Derrière le Temps,  La Fontaine voit une force de la vie.


II. Un éloge de la vie

1. Refus de ce qui est contre nature

- L'évolution du récit annule les deux souhaits de la jeune veuve jugés contre-nature par La Fontaine : la mort et le cloître.
=> Critique 2 morales :
  * héroïque ou romanesque : avec l'idée de l’âme sœur unique que La Fontaine réfute implicitement ici,
  * morale catholique qui encourage l'enfermement de jeunes filles qui ont toute la vie devant elles.
- Opposition illusion / vérité (vers 13) : « on le dit » contre « il n'en est rien ».

2. Un éloge du plaisir

- Idée du plaisir omniprésente dans cette fable.
- Désir de plaire :
  * insistance sur sa beauté de la jeune veuve (vers 16 et 21)
  * insistance sur apparence physique (vers 36 et 39) : vêtements
  * insistance sur les plaisirs de la vie : « Toute la bande des Amours / Revient au colombier » -> colombe = métaphore de l'amour et fait penser au pigeon messager qui revient naturellement au point de départ => la femme est faite pour l'amour : « L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits. » (hyperbole).
- Eudémonisme (= philosophie qui repose sur le fait que le bonheur est le but premier de la vie) :
  * jeu sur les temps : plaisir au présent, tristesse au passé.
  * insistance sur sa jeunesse (vers 16/44) : « On se plonge soir et matin / Dans la fontaine de Jouvence » => idée de profiter de la jeunesse.
-> La Fontaine montre une veuve qui au départ est triste puis retrouve le bonheur => eudémonisme de La Fontaine et hédonisme (recherche du plaisir contrôlé).
Cette vision de la vie fondée sur la recherche du plaisir et du bonheur est condamnée par la morale chrétienne dominante de l'époque => Contestation de la religion.





Conclusion

Finalement, Jean de la Fontaine ne condamne pas la veuve car son comportement est naturel. Par une fable bien structurée et l'omniprésence du temps, La Fontaine réussi à nous faire comprendre qu'il est important de profiter de la vie. En effet, celle-ci n'est pas éternelle et le temps guérit les blessures de la vie.

Questions possibles :
- Quel est l’intérêt du Texte ?
- Quelle leçon tirer de ce cette Fable ?
- S'agit d'un texte argumentatif ?
- A qui s'adresse la morale de la fable ?
- La jeune Veuve tire-t-elle une leçon de ce qui lui arrive ?
- Cette fable n'offre-t-elle pas une vision restrictive de la liberté humaine ?


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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur la Jeune veuve de La Fontaine