Introduction
Ce texte est extrait des
Mémoires d'Outre-Tombe de
Chateaubriand.
Le temps est très important tout au long du texte; cf temps verbaux: le passé -simple
et l'imparfait qui désignent deux époques différentes. Le souvenir joue ici
un rôle très important dans l'écriture, et suscite une réflexion sur le temps
(caractéristique des textes autobiographiques). La réflexion sur la fuite du
temps est un thème romantique important.
A partir d'un simple son, deux époques se superposent: Combourg et Montboissier, et cela fait renaître le passé enfoui. On trouve quatre époques au long de texte:
passé récent, promenade et grive de Montboissier
évocation passée lointaine: Combourg
présent du narrateur
époque de Gabrielle
Lecture du texte
Hier au soir je me promenais seul ; le ciel ressemblait à un ciel d'automne ; un vent froid soufflait par intervalles. A la percée d'un fourré, je m'arrêtai pour regarder le soleil : il s'enfonçait dans des nuages au-dessus de la tour d'Alluye, d'où Gabrielle, habitante de cette tour, avait vu comme moi le soleil se coucher il y a deux cents ans. Que sont devenus Henri et Gabrielle ? Ce que je serai devenu quand ces Mémoires seront publiés.
Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une
grive perchée sur la plus haute branche d'un bouleau.
A l'instant, ce son magique fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. J'oubliai
les catastrophes dont je venais d'être le témoin, et, transporté subitement
dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent siffler la grive.
Quand je l'écoutais alors, j'étais triste de même qu'aujourd'hui. Mais cette
première tristesse était celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on
est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance
des choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les bois de Combourg
m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le
parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la poursuite de cette félicité insaisissable.
Je n'ai plus rien à apprendre, j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait
le tour de la vie. Les heures fuient et m'entraînent ; je n'ai pas même
la certitude de pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de lieux ai-je déjà commencé à les
écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? Combien de temps
me promènerai-je
au bord des bois ? Mettons à profit le peu d'instants qui me restent ;
hâtons-nous
de peindre ma jeunesse, tandis que j'y touche encore : le navigateur, abandonnant
pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s'éloigne
et qui va bientôt disparaître.
Annonce des axes
Analyse méthodique
I L'importance du temps
1. l'expression du temps
On trouve dans le texte un très grand nombre d'indications temporelles sous différentes
formes: « hier au soir »(adverbe), « il y'a deux cent ans », « quand ces mémoires
seront publiés » (prop. Circonstancielle de temps), « à l'instant », « alors », « aujourd'hui », « bientôt »,
etc. => Très grande variété dans l'évocation du temps absolue et relative. On
remarque la même variété dans les temps verbaux :
Temps de l'évènement récent (imparfait: « ressemblait » et passé simple: « fut
tiré »)
Temps de l'évènement passé: même temps verbaux, mais évoquent des actions plus éloignées
dans le temps.
Temps historique: époque de Gabrielle, exprimée par le plus-que-parfait.
Présent: actualité du narrateur; présent et passé composé.
Présent de vérité générale: « le navigateur [...] écrit son journal ».
2. la fuite du temps
La grande diversité des temps montre la sensibilité de Chateaubriand par rapport
au temps qui s'écoule; constatation négative du présent par rapport à un passé mis
en valeur, exprimé par certains procédés : évocation d'éléments devant lesquels
le temps n'a pas de prise (tour, coucher du soleil) et la similitude des situations:
promenade dans un parc, même perception du chant de la grive, mais un contexte
temporel et spatial différent, malgré un état d'âme semblable. « les heures fuient
et m'entraînent » : gradation, impuissance de l'Homme.
3. la hantise de l'avenir
« le peu d'instants qui me restent » : notion du temps qui passe, rapprochement
passé-présent; opposition entre les espoirs passés déçus et sa tristesse actuelle.
II Le bilan
Chateaubriand dresse une comparaison entre le passé à Combourg et le présent
par un jeu de comparaisons et de similitudes. « quand je l'écoutais alors »/ « je
l'écoute actuellement ». Tristesse à Combourg exprimée par un « vague désir de
bonheur », « je croyais », « félicité » : mélange entre bonheur et tristesse.
Découverte progressive de la connaissance jusqu'à Montboissier qui n'apporte
que des déceptions à Chateaubriand : opposition entre soif de connaissances et
la certitude que le bonheur est inaccessible. Mise en relief par un système d'analogie:
même lieu, même faits, même sons, mais formules négatives, images amères : « j'ai
fait le tour de ma vie ».
III Le rôle de l'écriture autobiographique
1. une écriture d'analyse des sentiments
Même analyse des sentiments qu'autrefois, avec un décalage temporel, qui permet
une meilleure compréhension et un jugement. Lexique de l'affectivité: introspection,
volonté de comprendre sa propre tristesse.
2. l'écriture redonne vie au passée
Le récit fait exister une expérience présentée comme agréable, elle redonne vie à des
instants passés et fait exister la réalité vécue et la pensés, dans le présent,
par une perception aléatoire : le chant de l'oiseau. C'est à travers les mots
que le passé reparaît, le narrateur revit : « je revis ces campagnes où j'entendis ».
Même temps, mais époques différentes; l'écriture atténue la souffrance.
3. une écriture salvatrice
L'écriture sauve de l'oubli, estompe un passé douloureux
en le faisant momentanément
oublier : « j'oubliais les catastrophes » ; volonté de garder ce qui est beau,
impératif « mettons à profit le peu d'instants » ; l'écriture
sauve les souvenirs
de l'oubli : métaphore « journal » = autobiographie, plaisir du lecteur.
Conclusion
Ce texte se présente comme une méditation romantique sur la fuite du temps qui fait accidentellement découvrir à Chateaubriand qu'il y a tout de même des choses qui subsistent parmi les moments qui nous échappent, il y a des sensations qui sont permanentes. Il faut donc explorer d'avantage dans une préoccupation métaphysique que dans un souci d'introspection. C'est donc l'occasion pour l'auteur de prendre conscience de cet état de chose est ça le renforce dans le désir de faire ses mémoires. Sa réflexion sur la volonté de fixer ces instants prend un sens métaphysique.
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