Mai

Apollinaire - Alcools




Situer le poème

Le poème Mai se trouve dans la section des poèmes des rhénanes du recueil Alcools d’Apollinaire.

Versification

Mai se présente sous la forme de 4 strophes d’alexandrins. Les rimes sont embrassées, riches (rosiers/osier) et suffisantes (montagne/s’éloigne).



Explication du titre

Le titre place le poème dans le temps. L’indication Mai 1902 à la publication de ce poème montre le caractère personnel que l’auteur a voulu faire ressortir en relatant sa passion non partagée pour Annie Playden.

Thèmes

- Un amour impossible,
- passage du temps et des sentiments opposé à une idée de permanence.


Lecture du poème


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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com


Mai

Le mai le joli mai en barque sur le Rhin
Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains

Or des vergers fleuris se figeaient en arrière
Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentement
Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment

Le mai le joli mai a paré les ruines
De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes

Apollinaire, Alcools


Deux études vous sont présentées pour ce poème : une analyse méthodique et une étude linéaire.


Analyse méthodique

I. L’ambiguïté du titre

A. Le temps qui passe

Image centrale : le fleuve, le courant de l’eau entraîne la barque = le courant de la vie + champs lexicaux de la vue et de l’eau par un défilé d’images = déroulement de la ballade, de la vie.
La variété des paysages = cycle des saisons qui montre le temps qui passe + « pétales tombés des cerisiers de mai » et « flétris » => idée de dégradation de la beauté et de la jeunesse jusqu’à la mort.
La 3ème strophe : lente = un quintil et une coupe différente des alexandrins : 4-5-3 ou 2-2-2-6 => impression de lenteur.
Evocation du vent et de l’eau qui entraînent tout, montrant le cours de la vie

=> Fuite du temps.

B. Idée de permanence

Place du souvenir : « Figé en arrière » => il y a des traces malgré l’éloignement
Ambiguïté avec « ruines » (tout est détruit, a disparu) cachées, parées par le « mai » mais les souvenirs sont toujours là.
Résistance des osiers : « secoue sur le bord les osiers » => les plantes plient mais ne cassent pas, comme le souvenir qui reste éternel.
Impuissance de la parole, quoi qu’on dise il se souviendra : « roseaux jaseurs ».
Musicalité de la dernière strophe avec la reprise comme un vieux refrain : « le mai le joli mai » => idée que tout revient.
=> Mai revient tous les ans + rimes embrassées qui amène une répétition.


II. La mélancolie amoureuse du poète

A. Un amour impossible

Au début : image d’un amour printanier = « Le mai le joli mai » + champ lexical des fleurs, les personnages d’une romance = « Des dames » + « je » un jeune homme, sentiment d’admiration avec amplification (hyperbole) = « Vous êtes si jolies ».
Mais les dames sont inaccessibles étant en en « haut de la montagne » et le jeune homme en barque sur le Rhin => rencontre impossible, idée d’obstacle avec « vous êtes si jolies mais » avec un jeu de mots : « le mai le joli mai » sur les sonorités.
Le protagoniste se résigne : personnification de sa mélancolie avec « pleurer les saules » = les saules déplorent l’amour impossible.

B. Un amour qui n’est plus que souvenir

L’amour est fini : présence du passé composé = « celle que j’ai tant aimée ».
Souvenir de la femme aimée avec une métaphore = « pétales tombés », « sont les ongles » ; et comparaison : « pétales flétris sont comme ses paupières ».
Le souvenir demeure, reste « en arrière » et « se figeaient » mais aussi avec « éloignait et « lointain ».
On peut voir les restes de l’amour par « les ruines » : il reste des souvenirs.

C. Effacement du poète

Les deux premières strophes suggèrent un jeune homme « je » + s’adresse à ses interlocutrices par « vous êtes si jolies ».
Puis il se parle à lui-même : « que j’ai tant aimée ».
Dans les strophes 3 et 4 : il n’y a plus de pronom, le poète est remplacé par un mini cirque = « Un ours un singe un chien », « tziganes » « roulotte traînée par un âne » + idée qu’il ne reste presque plus rien avec l’anaphore de « un ».
Dans la strophe 4 : présence de ruine et de végétaux (champ lexical du végétal) => les êtres humains ont disparu, l’accent est mis sur la nature et le paysage, il ne reste plus personne.


Conclusion

Apollinaire reflète ses sentiments personnels, sa mélancolie. Mélange du lyrisme traditionnel avec le thème de l’amour, du regret, de la force du temps, de la résignation face à cette continuité mais modernité par la forme du poème.




Etude linéaire

Le ton du poème est lyrique.

1ère strophe :

Cette strophe traite d’une rencontre impossible. Tout paraît annoncer une idylle printanière : Vers 1 -> on est en mai, le jeune homme passe « en barque sur le Rhin ». Vers 2, des « dames » regardent et le vers 3 marque l’exclamation admirative du jeune homme face à leur beauté « Vous êtes si jolies ».
Mais au vers 2, les femmes sont inaccessibles et, au vers 3, « la barque s’éloigne » -> la rencontre est impossible.
Le jeune homme accepte son destin, mais, sur la rive, les arbres déplorent à sa place les amours impossibles : « qui donc a fait pleurer les saules riverains ».


2ème strophe :

Evocation allusive de la femme aimée.
Passé composé « celle que j’ai tant aimée » au vers 7 -> l’amour est fini. Le souvenir demeure « figé en arrière ». Le souvenir est comme « les vergers fleuris ».
Vers 5 : le temps qui passe -> les « vergers fleuris » restent en arrière et se figent dans les souvenirs. Mais ils sont comme figés, ce qui représente la permanence du souvenir.
Vers 6 : la chute des pétales rappelle le souvenir de la femme aimée.
L’enjambement des vers 6 et 7 renforce l’analogie entre les pétales et les « ongles de celle que j’ai tant aimée ». Le « tant » marque l’affectivité.
Au vers 8, comparaison entre les « pétales flétris » et les paupières de la femme.
« Or » marque une séparation avec la strophe 1.
Le passage du temps est suggéré par le cycle des saisons « les cerisiers de mai » dont les pétales se flétrissent -> suggère une dégradation de la beauté et de la jeunesse. Cette allusion est renforcée par l’emploi du passé simple « celle que j’ai tant aimée ».

Dans les strophes 1 et 2, le poète est présent : « je ». Il disparaît totalement dans les strophes 3 et 4 -> plus de pronom ni de marque de discours.


3ème strophe :

La place du poète est prise par un pauvre cirque composé d’animaux, l’idée de pauvreté est renforcée par l’anaphore du « un » au vers 10. La présence d’êtres vivants s’efface et on ne nous donne pas à voir le cortège des soldats « le son du fifre ».
Les deux cortèges de cette strophe suggèrent le passage du temps. Ce temps passe très lentement comme le suggère le rythme de cette strophe et de sa longueur (strophe de 5 vers dans un contexte de quatrains). De plus, le cortège s’éloigne comme la barque du premier quatrain : représente le passage du temps.


4ème strophe :

Il n’y a plus de présence humaine, la vie a disparu pour laisser place à un monde végétal et minéral où le seul bruit est celui du vent.
On a une vision de ruines qui contraste avec l’idée du temps qui passe différente de l’idée de permanence des ruines : même si détruit, continue d’exister sous forme de traces, comme le sentiment amoureux sous forme de souvenir.
Les vers 16 et 17 donnent à entendre le bruit du vent par l’allitération des sons « s », « v », « f », « z ».



Conclusion

    Dans le poème Mai s’expriment des thèmes qui apparaissent dans le poème La chanson du mal-aimé. Ces thèmes sont ici évoqués plus doucement par Apollinaire, avec plus de simplicité.
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Merci à Mathilde et Emilie pour ces fiches sur Mai, de Apollinaire