Le Paysan parvenu

Marivaux - 1735

Incipit

Du début à "...qui confond un orgueil impertinent."




Plan de la fiche sur l'incipit de Le paysan parvenu de Marivaux :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

Biographie de Marivaux

   Le lecteur qui commence à lire le roman ne connaît qu’un titre au moment où il ouvre le livre : Le Paysan parvenu. Ce titre oriente vers l’univers de la campagne et vers l’idée de réussite, d’ascension sans qu’on puisse savoir si il y a changement d’état social. Il faut donc lire les premières lignes (incipit) pour ne savoir plus.

    Ces premières lignes du Paysan parvenu permettent de découvrir plusieurs informations relatives au temps de l’écriture, au personnage qui se présente indirectement au moyen d’un petit préambule et à ce qui semble le préoccuper : la conscience de son appartenance sociale. Si ces premières lignes n’explicitent pas le titre, elles donnent une idée sur la tonalité du roman.


Texte étudié

Première partie

    Le titre que je donne à mes Mémoires annonce ma naissance ; je ne l’ai jamais dissimulée à qui me l’a demandée, et il semble qu’en tout temps Dieu ait récompensé ma franchise là-dessus ; car je n’ai pas remarqué qu’en aucune occasion on en ait eu moins d’égard et moins d’estime pour moi.
    J’ai pourtant vu nombre de sots qui n’avaient et ne connaissaient point d’autre mérite dans le monde, que celui d’être né noble, ou dans un rang distingué. Je les entendais mépriser beaucoup de gens qui valaient mieux qu’eux, et cela seulement parce qu’ils n’étaient pas gentilshommes ; mais c’est que ces gens qu’ils méprisaient, respectables d’ailleurs par mille bonnes qualités, avaient la faiblesse de rougir eux-mêmes de leur naissance, de la cacher, et de tâcher de s’en donner une qui embrouillât la véritable, et qui les mît à couvert du dédain du monde.
    Or, cet artifice-là ne réussit presque jamais ; on a beau déguiser la vérité là-dessus, elle se venge tôt ou tard des mensonges dont on a voulu la couvrir ; et l’on est toujours trahi par une infinité d’événements qu’on ne saurait ni parer, ni prévoir ; jamais je ne vis, en pareille matière, de vanité qui fît une bonne fin.
    C’est une erreur, au reste, que de penser qu’une obscure naissance vous avilisse, quand c’est vous-même qui l’avouez, et que c’est de vous qu’on la sait. La malignité des hommes vous laisse là ; vous la frustrez de ses droits ; elle ne voudrait que vous humilier, et vous faites sa charge, vous vous humiliez vous-même, elle ne sait plus que dire.
    Les hommes ont des mœurs, malgré qu’ils en aient ; ils trouvent qu’il est beau d’affronter leurs mépris injustes ; cela les rend à la raison. Ils sentent dans ce courage-là une noblesse qui les fait taire ; c’est une fierté sensée qui confond un orgueil impertinent.    

[...]

    Le Paysan parvenu (incipit) - Marivaux - 1735




Annonce des axes

I. Relation entre le titre, la première phrase du texte et son contenu

II. La problématique du texte
1. Naissance, Noblesse et sottise
2. Absence de naissance et honte
3. Absence de naissance et valeur personnelle

III. Rôle du narrateur / Information d'un début de roman
1. De brefs éléments narratifs
2. Une réflexion sociale et morale
3. La démarche du narrateur et le rôle qu'il se donne
4. Les informations qui figurent traditionnellement dans un incipit de roman



Commentaire littéraire

I. Relation entre le titre, la première phrase du texte et son contenu

Juxtaposition de mots met l’accent sur 2 points importants :
  - présentation de l’œuvre sous forme de mémoire
  - insistance sur les origines sociales

Le mot mémoire implique une écriture à la 1ère personne et une démarche rétrospective.

Celui qui parle se présente comme l’auteur : adjectif possessif "mes" devant "mémoires" -> définit un genre littéraire mais ne précise pas contenu.

L'auteur donneune image de lui-même en exposant ce qu’a été son comportement à une époque passé -> retour en arrière avec utilisation du passé dès la première ligne.

L'ensemble des réflexions (morales, psychologiques) est le fruit d'une expérience accumulée que souligne l'emploi du présent de vérité générale et le ton sentencieux avec l'emploi du pronom personnel "vous" généralisant.

Problème traditionnellement lié aux mémoires est la sincérité qui est affirmée dès le début du texte ("je ne l’ai jamais dissimulée", "franchise").

L'idée de vérité revient au cours d'une présentation par contraste de ceux qui rougissent de leur naissance et la dissimule.

Le problème de la naissance, c'est-à-dire des origines sociales, revient tout au long du passage et est déjà signalé dans le titre par "paysan". On le retrouve à partir des mots "nés nobles", "rang distingué", "gentilshommes", "naissance", "noblesse" au cœur d'une problématique relative à la manière de "décrire sa naissance".

Ce texte est en effet construit sur l'analyse des différentes attitudes sociales.


II. La problématique du texte

1. Naissance, Noblesse et sottise

Le deuxième paragraphe texte du associe "sot", "nés nobles". Ce constat souligne l'existence de gens pour lesquemsla naissance ne donne aucune qualité personnelle particulière mais qui au contraire tirent de leurs origines le droit d'être arrogants. Constat établi par le narrateur à titre personnel, fruit de son expérience ("j'ai pourtant vu").


2. Absence de naissance et honte

L'arrogance des uns est favorisée par la honte des autres de ne pas avoir de naissance. : "faiblesse", "cacher", "mettre à couvert", qui traduisent de façon claire et imagée le refus d'assumer ses origines sociales.


3. Absence de naissance et valeur personnelle

Distinction établie entre nobles arrogants et sots d'un coté et roturiers honteux de l'autre se résout par l'affirmation d'un constat social : une naissance "obscure" ou une absence de naissance n'a rien de honteux ou avilissant. Ce qui est sous-entendu ici est une noblesse de cœur et d'esprit exprimée plus nettement par "noblesse de courage" qui s'établit sur d'autres critères que l'origine sociale, et ce au terme d'une sorte de démonstration qui confère au passage une portée qui n'est pas tout à fait celle d'un récit romanesque.


III. Rôle du narrateur / Information d'un début de roman

Cet incipit n'est que partiellement narratif car le texte présente analyse et réflexion.

1. De brefs éléments narratifs

Au début du passage lorsque narrateur fait état d'une expérience. Verbes au passé composé font du narrateur un observateur de la vie sociale.

Temps verbaux employés -> imparfait + présent ce qui montre une transformation au sein du texte : le narrateur passe du récit à des considérations générales.


2. Une réflexion sociale et morale

Parallèlement à la modification des temps verbaux, on peut observer disparition progressive du "je" et son remplacement par "on".

Les éléments narratifs sont remplacés par des considérations qui mettent en jeu des catégories sociales (nobles et non-nobles), des comportements (arrogance et dissimulation) puis par des recommandations adressées de manière très générales au lecteur dont témoignent les utilisations de "vous".


3. La démarche du narrateur et le rôle qu'il se donne

Le titre évoque une évolution sociale.

La réflexion du narrateur est appuyée sur ses expériences, et aboutit à la nécessité de sa sincérité.

Taire le côté humble de ses origines suscite arrogance et mépris des supposés nobles. Il vaut mieux être sincère pour faire reconnaître ses qualités propres.

Cette démarche se révèle sur un double plan :
- d'un côté c'est la justification a posteriori d'une décision de franchise dans la rédaction de ses mémoires,
- d'un autre, c'est l'exposé d'une réflexion sociale et psychologique qui l'apparente à un moraliste et à un sociologue. Ces remarques conduisent à observer qu'il ne reste plus guère de place pour les informations qui figurent traditionnellement dans un incipit de roman.


4. Les informations qui figurent traditionnellement dans un incipit de roman

Si le lecteur fait le bilan de ce texte, qu'a-t-il appris ?

Il a appris que le narrateur, à la fois auteur et héros des mémoires, est un paysan et qu'au cours de sa vie il a réfléchi aux problèmes posés par la hiérarchisation sociale.

Le lecteur peut aussi deviner que ce narrateur, observateur de la société, se situe idéologiquement sur une trajectoire qui va de Montesquieu à Beaumarchais.

Il peut enfin remarquer que l'un des traits de caractère du narrateur est sans doute l'optimisme, condition nécessaire à une ascension sociale dans la société de l'époque.

Il peut donc attendre le récit d'aventure mené sous le signe de la sincérité, du dynamisme et de la conscience de soi.





Conclusion

    Analytique et critique plus que narratif, ce début de roman semble annoncer une œuvre représentative des préoccupations de l'époque mais aussi des centres d'intérêts propres à Marivaux. Parmi les préoccupations de l'époque, on peut souligner le souci de réussir dans une société économiquement dynamique dont les forces vives st constituées par la bourgeoisie, classe qui souhaite voir ses talents reconnus et récompensés. Sur le plan des centres d'intérêts de Marivaux, on peut distinguer les interrogations sur les jeux de masques sociaux, problèmes de dissimulations et de déguisement et le goût constant de l'analyse psychologique.

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Merci à Diabolical pour cette analyse sur l'incipit de Le paysan parvenu de Marivaux