Zadig

Voltaire - 1747

Extrait du chapitre XVI (16) - Le brigand

De "Le seigneur du château..." à "...point du tout celle de payeur."




Plan de la fiche sur un extrait du chapitre XVI (Le brigand) de Zadig de Voltaire :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion




Introduction

    Au cours de ses mésaventures, Zadig est sauvé par le seigneur d’un château qui se révèle être un voleur. La figure du brigand se révèle donc double : mauvaise par ses actions mais animée par de bons sentiments (cf. Les milles et une nuits, un long épisode est consacré à Ali Baba et les quarante voleurs).


Lecture du texte


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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com


    Le seigneur du château était un de ces Arabes qu’on appelle voleurs ; mais Il faisait quelquefois de bonnes actions parmi une foule de mauvaises : il volait avec une rapacité furieuse, et donnait libéralement ; intrépide dans l’action, assez doux dans le commerce, débauché à table, gai dans la débauche, et surtout plein de franchise. Zadig lui plut beaucoup ; sa conversation, qui s’anima, fit durer le repas. Enfin Arbogad lui dit : Je vous conseille de vous enrôler sous moi : vous ne sauriez mieux faire ; ce métier-ci n’est pas mauvais ; vous pourrez un jour devenir ce que je suis. - Puis-je vous demander, dit Zadig, depuis quel temps vous exercez cette noble profession ? - Dès ma plus tendre jeunesse, reprit le seigneur : j’étais valet d’un Arabe assez habile ; ma situation m’était insupportable ; j’étais au désespoir de voir que, dans toute la terre, qui appartient également aux hommes, la destinée ne m’eût pas réservé ma portion. Je confiai mes peines à un vieil Arabe, qui me dit : Mon fils, ne désespérez pas : il y avait autrefois un grain de sable qui se lamentait d’être un atome ignoré dans les déserts ; au bout de quelques années, il devint diamant, et il est à présent le plus bel ornement de la couronne du roi des Indes. Ce discours me fit impression : j’étais le grain de sable, je résolus de devenir diamant : je commençai par voler deux chevaux ; je m’associai des camarades ; je me mis en état de voler de petites caravanes : ainsi je fis cesser peu à peu la disproportion qui était d’abord entre les hommes et moi ; j’eus ma part aux biens de ce monde, et je fus même dédommagé avec usure : on me considéra beaucoup ; je devins seigneur brigand ; j’acquis ce château par voie de fait. Le satrape de Syrie voulut m’en déposséder ; mais j’étais déjà trop riche pour avoir rien à craindre ; je donnai de l’argent au satrape, moyennant quoi je conservai ce château, et j’agrandis mes domaines. Il me nomma même trésorier des tributs que l’Arabie Pétrée payait au roi des rois. Je fis ma charge de receveur, et point du tout celle de payeur.

Voltaire - Zadig ou La Destinée - Extrait du chapitre XVI : Le brigand



Annonce des axes

I. Un brigand atypique
1. Un portrait nuancé du brigand
2. Le brigand philosophe
3. Un seigneur brigand

II. L’art du récit
1. Le registre comique
2. Le récit enchâssé
3. Paradoxes et oxymore



Commentaire littéraire

I. Un brigand atypique

1. Un portrait nuancé du brigand

Le portrait, s’il n’est pas un éloge, n’est pas non pus un blâme. Après beaucoup de nuances et un jeu subtil d’adverbes et d’adjectifs, Voltaire met en exergue quelques qualités essentielles d’Arbogad. Ainsi, il note qu’« il faisait quelques bonnes actions ». Il remarque également sa générosité : « il donnait libéralement », était « doux dans le commerce ». L’auteur n’en souligne pas moins sa tendance à la débauche mais utilise également l’adjectif « gai » soulignant ainsi que le voleur aime la vie. Le portrait se clôt sur le mot « franchise » qui est une qualité.


2. Le brigand philosophe

Dans la suite du texte, Arbogad raconte sa jeunesse comme pour justifier ce qu'il est à l'âge adulte. En fait, il utilise une brève fable émise par un vieil arabe, celle du grain de sable et du diamant pour illustrer son ascension peu morale : « j’étais le grain de sable, je résolus de devenir diamant ». En fait, jamais le sage ne lui a conseillé de devenir brigand. La métaphore utilisée seule montre la possibilité de changement et éloigne toute idée de fatalité. Notre voleur se livre donc à une interprétation qui lui est personnelle et qui va dans le sens de ses intérêts. Pour devenir diamant, il se fait brigand et réduit « la disproportion qui était d'abord entre les hommes et moi ».


3. Un seigneur brigand

On constate que le personnage se prévaut d’un vrai pouvoir et même d’une forme de morale puisqu’il se permet de donner des conseils à Zadig : « je vous conseille de vous enrôler sous moi ». Dès le début de l'extrait, Voltaire précise que l’homme est « Le seigneur du château » et à la fin de l’extrait le personnage précise qu’il est considéré (« on me considéra beaucoup »), et il affirme avec fierté son identité et sa profession : « je devins seigneur brigand ».
Ainsi, le personnage, même s’il est immoral, devient une figure positive grâce à la philosophie qu’il développe et surtout par le portrait amusé qu’en fait Voltaire.


II. L’art du récit

1. Le registre comique

Voltaire utilise le registre comique pour mettre en scène Arbogad. Ainsi, lorsque Zadig s’adresse à lui, il utilise avec ironie l’expression « noble profession ». La manière dont le brigand interprète dans son seul intérêt la fable du philosophe arabe prête à sourire car il érige en principe une conduite immorale, mais ne dupe ni son interlocuteur, ni le lecteur. Ce qui fait sourire, c’est la manière méticuleuse avec laquelle Arbogad relate le caractère lucratif de son métier.


2. Le récit enchâssé

Voltaire, qui varie les techniques narratives, utilise ici le récit enchâssé qui permet d’introduire dans un récit léger une réflexion d’ordre philosophique. La fable relatée par le brigand par l’intermédiaire du vieil arabe permet un effet une mise à distance et une analyse sur la polysémie. En effet, il n’a jamais été dit que pour devenir « diamant » il fallait commettre des crimes...


3. Paradoxes et oxymore

Voltaire joue sur des paradoxes qui servent à faire réfléchir le lecteur. Ainsi dans les chapitres précédents, Zadig a été mis en danger ou menacé de mort par des grands de ce monde, alors qu’ici c’est un voleur qui le protège. La figure du voleur est le plus souvent associée à la notion de pauvreté : or ici le brigand se vante d’être riche et vante les "qualités" de sa "profession" (« ce métier n’est pas mauvais ») ce qui est évidemment un paradoxe. Enfin Arbogad se définit lui-même comme un « seigneur brigand », un oxymore pour souligner le caractère pittoresque du personnage.





Conclusion

    En quelques lignes, passant du récit au discours, utilisant l’art du portrait, insérant avec habileté un récit enchâssé, Voltaire nous invite à suivre un « brigand », personnage par définition peu recommandable. Mais Voltaire rend immédiatement ce personnage  sympathique : un tel paradoxe nous invite à réfléchir sur la condition humaine et sur les préjugés.




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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur un extrait du chapitre XVI (Le brigand) de Zadig de Voltaire