Le Ventre de Paris

Emile Zola

Extrait du chapitre 5

De "Elles en revinrent à Florent..." à "...je vous récompenserai."





Plan de la fiche sur un extrait du chapitre 5 de Le Ventre de Paris de Emile Zola :
Introduction
Texte étudié
Commentaire littéraire


Introduction

    Cet extrait de Le Ventre de Paris, de Emile Zola, marque la dernière étape de la séance de commérages lors de laquelle Mlle Saget, enfin en possession de l'identité de Florent, révèle celle-ci à Mme Lecœur et à sa nièce, la Sarriette. Les méfaits de ce dernier sont grossis et son rôle de bouc émissaire transparaît d'autant plus dans ce passage que sa chute peut entraîner celle de Gavard dont les trois femmes convoitent le magot. Conformément à ce qui précède, ces commérages sont ponctués par la description des fromages et de leurs odeurs.

Le Ventre de Paris - Zola



Texte étudié

    Elles en revinrent à Florent. Elles le déchirèrent avec plus de fureur encore. Puis, posément, elles calculèrent où ces mauvaises histoires pouvaient les mener, lui et Gavard. Très loin, à coup sûr, si l’on avait la langue trop longue. Alors, elles jurèrent, quant à elles, de ne pas ouvrir la bouche, non que cette canaille de Florent méritât le moindre ménagement, mais parce qu’il fallait éviter à tout prix que le digne monsieur Gavard fût compromis. Elles s’étaient levées, et comme mademoiselle Saget s’en allait :
    - Pourtant, dans le cas d’un accident, demanda la marchande de beurre, croyez-vous qu’on pourrait se fier à madame Léonce ?… C’est elle peut-être qui a la clef de l’armoire ?
    - Vous m’en demandez trop long, répondit la vieille. Je la crois très honnête femme, mais, après tout, je ne sais pas ; il y a des circonstances… Enfin, je vous ai prévenues toutes les deux ; c’est votre affaire.
    Elles restaient debout, se saluant, dans le bouquet final des fromages. Tous, à cette heure, donnaient à la fois.
    C’était une cacophonie de souffles infects, depuis les lourdeurs molles des pâtes cuites, du gruyère et du hollande, jusqu’aux pointes alcalines de l’olivet. Il y avait des ronflements sourds du cantal, du chester, des fromages de chèvre, pareils à un chant large de basse, sur lesquels se détachaient, en notes piquées, les petites fumées brusques des neufchâtels, des troyes et des mont-d’or. Puis les odeurs s’effaraient, roulaient les unes sur les autres, s’épaississaient des bouffées du Port-Salut, du limbourg, du géromé, du marolles, du livarot, du pont-l’évêque, peu à peu confondues, épanouies en une seule explosion de puanteurs. Cela s’épandait, se soutenait, au milieu du vibrement général, n’ayant plus de parfums distincts, d’un vertige continu de nausée et d’une force terrible d’asphyxie. Cependant, il semblait que c’étaient les paroles mauvaises de madame Lecœur et de mademoiselle Saget qui puaient si fort.
    - Je vous remercie bien, dit la marchande de beurre. Allez ! si je suis jamais riche, je vous récompenserai.

Extrait du chapitre 5 - Le Ventre de Paris - Emile Zola




Commentaire littéraire

Les commérages

La variété des différents modes de discours rapporté restitue les propos tenus de manière vivante : elle en souligne aussi, en creux, l'ignominie.
Dans les deux premières phrases du texte, le discours est narrativisé ce qui permet au narrateur, de par le choix des verbes déclaratifs, d'insister sur la nature même du commérage. Le retour qu'elles opèrent sur Florent signale l'aspect cyclique, inépuisable de celui-ci. Le verbe "déchirèrent" renvoie à la bestialité déchaînée et transforme Florent en morceau de viande que les prédateurs carnivores se partagent à belles dents. Le complément "avec plus de fureur encore" insiste sur cette frénésie. Le moment d'accalmie qui suit nous fait entrer dans le détail des propos.
La narration alterne discours indirect et style indirect libre. Ce dernier mode restitue la vivacité des propos et leur charge affective. Les trois femmes semblent très préoccupées par le sort de Gavard, leur parent pour deux d'entre elles. Il est nommé dans la subordonnée interrogative dépendant du verbe "elles calculèrent", il est le motif du silence qu'elles "jur[ent]" de respecter, il est même caractérisé avec déférence comme le "digne monsieur Gavard". Toutefois le hiatus entre leur inquiétude pour le marchand de volailles et leur haine à l'égard de "cette canaille de Florent" est un des indices de leur mauvaise foi.
Le verbe "calculèrent" est révélateur : appliqué au sort hypothétique de Gavard, le verbe renvoie implicitement à l'argent de celui-ci, à son "tas d'or", ce que l'expression "à tout prix" suggère aussi. L'adverbe "posément" désigne une attitude calme, réfléchie et contraste avec l'inquiétude affichée. Le premier propos direct du passage dévoile le véritable objet de l'inquiétude de Mme Lecœur, à savoir la confiance qu'"on pourrait" avoir en Mme Léonce, éventuelle détentrice de la clef de l'armoire où Gavard a caché son trésor. Ainsi, le vœu d'"éviter [...]" qu'il soit compromis résonne comme une antiphrase tout comme le serment "de ne pas ouvrir la bouche". La dénonciation qu'elles semblent rejeter, qu'elles évoquent de manière imagée - le sort de Gavard et celui de Florent sont menacés "si l'on avait la langue trop longue" -, apparaît comme une tentation pour les trois femmes. Le pronom "on" désigne un dénonciateur anonyme que l'une des trois femmes, ou les trois à la fois, pourrait devenir. De même, l'expression "dans le cas d’un accident" prend une valeur d'euphémisme masquant à peine l'éventualité d'une délation.
En uniformisant leurs propos derrière le pronom "elles" et par le biais du style indirect libre, le narrateur souligne l'alliance momentanée des trois personnages, le pacte latent qu'elles passent et qu'elles respecteront le jour de l'arrestation.
La duplicité de Mlle Saget est aussi très nette : alors qu'elle est le chef d'orchestre des commérages, elle feint, par les réponses allusives qu'elle donne aux questions inquiètes de Mme Lecœur, de ne pas savoir, de n'être pas concernée, de ne faire qu'accomplir une mission - "Enfin, je vous ai prévenues [...]" - monnayant son activité de mauvaise langue comme s'il s'agissait d'un service rendu. C'est d'ailleurs sur ce terrain que Mme Lecœur lui répond plus bas : "Allez ! si je suis jamais riche, je vous récompenserai."


Fromages et commérages

Comme dans le reste de la séquence, les odeurs de fromage viennent souligner la nature infecte des trois femmes et de leurs propos. Non seulement le narrateur choisit des fromages réputés pour leur arôme rude, leur parfum soutenu - les "troyes", "mont-d'or", "marolles", "livarot", "pont-l'évêque", etc.- mais il insiste sur les " souffles infects " selon une gradation qui va des " pointes alcalines ", rappelant l'odeur des guanos des volailles à " l'explosion de puanteurs " créant une sensation "terrible d'asphyxie". Les odeurs sont à la fois distinctes et confondues, comme les propos des trois femmes. Les fromages "donn[ent] [tous] à la fois". Leur fusion - "cela s'épandait, se soutenait" - est à l'image de celle des trois personnages. Ce jeu de miroir entre les odeurs de fromage et les commérages ainsi que leurs locutrices est explicité dans la dernière phrase : les "paroles mauvaises de Mme Lecœur et Mlle Saget" sont à l'origine de la puanteur. Cette identification est préparée par la métaphore du bruit visant à rendre compte de l'effet désagréable des odeurs par un effet auditif. Le bruit est ici l'objet d'un traitement péjoratif, celui de la cacophonie, des ronflements, où un chant large de basse alterne avec des notes piquées, le participe passé renvoyant aussi bien au caractère détaché et aigu des notes qu'à la moisissure des fromages. L'expression "bouquet final", évoquant la fin d'un feu d'artifice, participe à créer l'impression de cacophonie tout en signalant le caractère définitif de cette étape des commérages.
L'évocation des fromages participe pleinement à la narration en soulignant les effets de sens : les trois "mauvaises langues" sont caricaturées et montrées dans toute leur "puanteur", leur méchanceté. Ce dévoilement relève d'une volonté satirique tout en faisant avancer l'action : le sort de Florent est entre les mains des mauvaises langues.





Conclusion




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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur le chapitre 5 de Le Ventre de Paris de Emile Zola