Plan de la fiche sur
le chapitre 2 de Pierre et Jean de Maupassant :
Introduction
Dans le chapitre précédent de Pierre et Jean, le notaire est venu annoncer qu'un héritage de 20000 francs est laissé à Jean par un ami de la famille: c'est l'élément déclencheur du malaise de Pierre. La mère a une réaction émotionnelle, comme sortie d'un rêve.
Pierre apprend que Maréchal était allé chercher le médecin, comme s'il était plus qu'un ami => doute de Pierre.
Ensuite, Jean part se promener suivi peu après par Pierre qui a besoin de solitude à cause de son énervement et de son dégoût.
Pierre arrive à analyser ses réactions, dédoublant ainsi sa personnalité. Il fait un lien entre son errance intérieure et extérieure.
Texte étudié
Dès qu'il fut dehors, Pierre se dirigea vers la rue de Paris, la principale rue du Havre, éclairée, animée, bruyante. L'air un peu frais des bords de mer lui caressait la figure, et il marchait lentement, la canne sous le bras, les mains derrière le dos.
Il se sentait mal à l'aise, alourdi, mécontent comme lorsqu'on a reçu quelque fâcheuse nouvelle. Aucune pensée précise ne l'affligeait et il n'aurait su dire tout d'abord d'où lui venaient cette pesanteur de l'âme et cet engourdissement du corps. Il avait mal quelque part, sans savoir où. ; il portait en lui un petit point douloureux, une de ces presque insensibles meurtrissures dont on ne trouve pas la place, mais qui gênent, fatiguent, attristent, irritent, une souffrance inconnue et légère, quelque chose comme une graine de chagrin.
Lorsqu'il arriva place du Théâtre, il se sentit attiré par les lumières du café Tortoni, et il s'en vint lentement vers la façade illuminée ; mais au moment d'entrer, il songea qu'il allait trouver là des amis, des connaissances, des gens avec qui il faudrait causer ; et une répugnance brusque l'envahit pour cette banale camaraderie des demi-tasses et des petits verres. Alors, retournant sur ses pas, il revint prendre la rue principale qui le conduisait vers le port.
Il se demandait : "Où irais-je bien ?" cherchant un endroit qui lui plût, qui fût agréable à son état d'esprit. Il n'en trouvait pas, car il s'irritait d'être seul, et il n'aurait voulu rencontrer personne.
En arrivant sur le grand quai, il hésita encore une fois, puis tourna vers la jetée ; il avait choisi la solitude.
Comme il frôlait un banc sur le brise-lames, il s'assit, déjà las de marcher et dégoûté de sa promenade avant même de l'avoir faite.
Il se demanda : "Qu'ai-je donc ce soir ?" Et il se mit à chercher dans son souvenir quelle contrariété avait pu l'atteindre, comme on interroge un malade pour trouver la cause de sa fièvre.
Il avait l'esprit excitable et réfléchi en même temps, il s'emballait, puis raisonnait, approuvait ou blâmait ses élans ; mais chez lui la nature première demeurait en dernier lieu la plus forte, et l'homme sensitif dominait toujours l'homme intelligent.
Donc il cherchait d'où lui venait cet énervement, ce besoin de mouvement sans avoir envie de rien, ce désir de rencontrer quelqu'un pour n'être pas du même avis, et aussi ce dégoût pour les gens qu'il pourrait voir et pour les choses qu'ils pourraient lui dire.
Et il se posa cette question : "Serait-ce l'héritage de Jean ?" Oui, c'était possible après tout. Quand le notaire avait annoncé cette nouvelle, il avait senti son coeur battre un peu plus fort. Certes, on n'est pas toujours maître de soi, et on subit des émotions spontanées et persistantes, contre lesquelles on lutte en vain.
Il se mit à réfléchir profondément à ce problème physiologique de l'impression produite par un fait sur l'être instinctif et créant en lui un courant d'idées et de sensations douloureuses ou joyeuses, contraires à celles que désire, qu'appelle, que juge bonnes et saines l'être pensant, devenu supérieur à lui-même par la culture de son intelligence.
Il cherchait à concevoir l'état d'âme du fils qui hérite d'une grosse fortune, qui va goûter, grâce à elle, beaucoup de joies désirées depuis longtemps et interdites par l'avarice d'un père, aimé pourtant et regretté.
Il se leva et se remit à marcher vers le bout de la jetée. Il se sentait mieux, content d'avoir compris, de s'être surpris lui-même, d'avoir dévoilé l'autre qui est en nous.
Guy de Maupassant - Pierre et Jean - Début du chapitre II
Annonce des axes
I. La promenade et le regard objectif du personnage
II. L'auto-analyse
Commentaire littéraire
I. La promenade et le regard objectif du personnage
Itinéraire improvisé qui le conduit progressivement de la demeure parentale
vers la mer, c'est-à-dire du bruit au silence, de la lumière à l'obscurité,
et de la compagnie familiale à la solitude.
Utilisation fréquente de verbes de mouvement qui montrent le déplacement. Les
adverbes, quant à eux, montrent le ralentissent et l'absence de dynamisme.
=> Il déambule passivement.
On note un accord entre le paysage et son état d'âme : il est perdu dans ses pensées comme dans sa promenade.
Il utilise des termes empruntés au domaine médical afin de décrire son malaise.
Gradation et accumulation de verbes qui notent le malaise croissant.
L'état de souffrance est également noté par une
allitération en [tr].
Pierre, en tant que médecin, découvre qu'il a un problème physiologique dont il est incapable de donner la nature exacte.
On s'attendait à une promenade d'un soir et on découvre qu'il s'agit d'un malaise profond qui tend à l'obsession, ce qui va le pousser à une auto-analyse.
II. L'auto-analyse
Visible par 3 interrogations successives au discours direct.
Gradation dans la recherche mentale du personnage : on part d'une première question ambiguë jusqu'au mot précis d'"héritage" d'où découle son malaise.
Ces questions restent sans réponse, ce qui est accentué par des contradictions
(il ne supporte pas la solitude mais ne veut voir personne).
Termes du lexique psychologique ("irrita, dégoût") se rapprochant du spleen
baudelairien.
Pierre a conscience de ces contradictions et cherche dans ses pensées la solution à son malaise.
Il a étudié les sciences ; il dit qu'un fait peut produire sur un être instinctif des sensations douloureuses (cf. présent de permanence (généralité) qui souligne sa réflexion).
Sa méthode de réflexion le met en position de juger les autres.
Tout se passe comme s'il savait ce que le lecteur suppose : Maréchal est le père réel de Jean.
Sa méthode d'analyse lui permet de découvrir en lui-même des éléments qui lui sont inconnus.
Ce passage est sur le thème principal de Pierre et Jean : la dualité de l'être
(cf.
Rimbaud : "je est un autre") ; le nous
de la fin du texte englobe le lecteur et met Pierre comme détenteur d'un savoir
sur lui-même et sur chacun de nous.
Son introspection a des limites, car un peu plus loin dans le texte il repart
dans son errance mentale.
Conclusion
Pierre apparaît comme étranger à lui-même et capable de réflexion.
Maupassant accentue le thème du double et de l'autre qui habite l'homme.
Le lecteur découvre avec Pierre une des causes du mal.
L'habileté de l'écrivain est de mêler le lecteur et le personnage dans une même quête d'identité.