Phèdre

Jean Racine - 1677

Acte II, scène 5 - L'aveu de Phèdre

Scène entière






Plan de la fiche sur l'Acte II, scène 5 de Phèdre de Racine :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Plan et éléments de commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

     Phèdre est la tragédie la plus connue de Jean Racine. Il devient avec cette pièce en 1677 le grand tragédien du classicisme. Après l'avoir écrite, Racine devint historiographe du roi.
Phèdre, l'épouse de Thésée, aime Hippolyte, le fils que Thésée a eu avec sa première femme.

Au début de l'acte II, nous apprenons la mort de Thésée (fausse mort).
Dans la scène 5 de l’acte II, Phèdre et Hippolyte se rencontrent suite à l’annonce de la mort de Thésée. Phèdre qui se croit veuve avoue dans cette scène son amour pour Hippolyte.

Plan de la scène :
- L'aveu de Phèdre amené peu à peu
- Hippolyte qui tente de se dérober
- Le rejet d'Hippolyte
- La colère et la passion de Phèdre

Problématique : Comment Racine nous expose la relation de Phèdre et d'Hippolyte dans cet aveu poignant ? Quelles sont les caractéristiques de la tragédie dans cette scène ?


Texte étudié


Phèdre - Acte II, scène 5


Phèdre, Hippolyte, Œnone.

 

PHÈDRE, à Œnone, dans le fond du théâtre.
Le voici : vers mon cŒur tout mon sang se retire.
J’oublie, en le voyant, ce que je viens lui dire.

ŒNONE
Souvenez-vous d’un fils qui n’espère qu’en vous.

PHÈDRE
On dit qu’un prompt départ vous éloigne de nous,
Seigneur. À vos douleurs je viens joindre mes larmes ;
Je vous viens pour un fils expliquer mes alarmes.
Mon fils n’a plus de père ; et le jour n’est pas loin
Qui de ma mort encor doit le rendre témoin.
Déjà mille ennemis attaquent son enfance :
Vous seul pouvez contre eux embrasser sa défense.
Mais un secret remords agite mes esprits :
Je crains d’avoir fermé votre oreille à ses cris ;
Je tremble que sur lui votre juste colère
Ne poursuive bientôt une odieuse mère.

HIPPOLYTE
Madame, je n’ai point des sentiments si bas.

PHÈDRE
Quand vous me haïriez, je ne m’en plaindrais pas,
Seigneur : vous m’avez vue attachée à vous nuire ;
Dans le fond de mon cŒur vous ne pouviez pas lire.
À votre inimitié j’ai pris soin de m’offrir :
Aux bords que j’habitais je n’ai pu vous souffrir ;
En public, en secret, contre vous déclarée,
J’ai voulu par des mers en être séparée ;
J’ai même défendu, par une expresse loi,
Qu’on osât prononcer votre nom devant moi.
Si pourtant à l’offense on mesure la peine,
Si la haine peut seule attirer votre haine,
Jamais femme ne fut plus digne de pitié,
Et moins digne, seigneur, de votre inimitié.

HIPPOLYTE
Des droits de ses enfants une mère jalouse
Pardonne rarement au fils d’une autre épouse ;
Madame, je le sais : les soupçons importuns
Sont d’un second hymen les fruits les plus communs.
Tout autre aurait pour moi pris les mêmes ombrages,
Et j’en aurais peut-être essuyé plus d’outrages.

PHÈDRE
Ah, seigneur ! que le ciel, j’ose ici l’attester
De cette loi commune a voulu m’excepter !
Qu’un soin bien différent me trouble et me dévore !

HIPPOLYTE
Madame, il n’est pas temps de vous troubler encore :
Peut-être votre époux voit encore le jour ;
Le ciel peut à nos pleurs accorder son retour.
Neptune le protège ; et ce dieu tutélaire
Ne sera pas en vain imploré par mon père.

PHÈDRE
On ne voit point deux fois le rivage des morts,
Seigneur : puisque Thésée a vu les sombres bords,
En vain vous espérez qu’un dieu vous le renvoie ;
Et l’avare Achéron ne lâche point sa proie.
Que dis-je ? Il n’est point mort, puisqu’il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux :
Je le vois, je lui parle ; et mon cŒur... je m’égare,
Seigneur ; ma folle ardeur malgré moi se déclare.

HIPPOLYTE
Je vois de votre amour l’effet prodigieux :
Tout mort qu’il est, Thésée est présent à vos yeux ;
Toujours de son amour votre âme est embrasée.

PHÈDRE
Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée :
Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du dieu des morts déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cŒurs après soi,
Tel qu’on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage ;
Cette noble pudeur colorait son visage,
Lorsque de notre Crête il traversa les flots,
Digne sujet des vŒux des filles de Minos.
Que faisiez-vous alors ? Pourquoi, sans Hippolyte,
Des héros de la Grèce assembla-t-il l’élite ?
Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ?
Par vous aurait péri le monstre de la Crête,
Malgré tous les détours de sa vaste retraite :
Pour en développer l’embarras incertain,
Ma sŒur du fil fatal eût armé votre main.
Mais non : dans ce dessein je l’aurais devancée ;
L’amour m’en eût d’abord inspiré la pensée.
C’est moi, prince, c’est moi, dont l’utile secours
Vous eût du labyrinthe enseigné les détours.
Que de soins m’eût coûtés cette tête charmante !
Un fil n’eût point assez rassuré votre amante :
Compagne du péril qu’il vous fallait chercher,
Moi-même devant vous j’aurais voulu marcher ;
Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée ou perdue.

HIPPOLYTE
Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? Madame, oubliez-vous
Que Thésée est mon père, et qu’il est votre époux ?

PHÈDRE
Et sur quoi jugez-vous que j’en perds la mémoire,
Prince ? Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire ?

HIPPOLYTE
Madame, pardonnez : j’avoue, en rougissant,
Que j’accusais à tort un discours innocent.
Ma honte ne peut plus soutenir votre vue ;
Et je vais…

PHÈDRE
Ah, cruel ! tu m’as trop entendue !
Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur.
Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur :
J’aime ! Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,
Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même ;
Ni que du fol amour qui trouble ma raison
Ma lâche complaisance ait nourri le poison ;
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;
Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cŒur d’une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé :
C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé ;
J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine ;
Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine.
De quoi m’ont profité mes inutiles soins ?
Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ;
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J’ai langui, j’ai séché dans les feux, dans les larmes :
Il suffit de tes yeux pour t’en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder…
Que dis-je ? cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n’osais trahir,
Je te venais prier de ne le point haïr :
Faibles projets d’un cŒur trop plein de ce qu’il aime !
Hélas ! je ne t’ai pu parler que de toi-même !
Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour :
Digne fils du héros qui t’a donné le jour,
Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.
La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !
Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’échapper ;
Voilà mon cŒur : c’est là que ta main doit frapper.
Impatient déjà d’expier son offense,
Au-devant de ton bras je le sens qui s’avance.
Frappe : ou si tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m’envie un supplice si doux,
Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée ;
Donne.

ŒNONE
Que faites-vous, madame ! Justes dieux !
Mais on vient : évitez des témoins odieux !
Venez, rentrez ; fuyez une honte certaine.




Phèdre de Racine
Acte II, scène 5
Illustration Anne-Louis Girodet de Roucy-Trioson (1767 - 1824)




Annonce des axes

I. Un aveu troublant
1. Le conditionnement d'Hippolyte, préparé pour l'aveu
2. La difficulté d'avouer
3. L'importance des émotions dans cet aveu

II. Le rejet d'Hippolyte face à Phèdre
1. Les passions de Phèdre atténuées par Hippolyte
2. Les dérobades d'Hippolyte
3. Une situation tragique dont l'issue est fatale

III. La force des passions
1. Phèdre en proie à l'émotion
2. Un jeu de séduction qui se transforme en colère
3. Un combat intérieur suite au déchirement



Plan et éléments de commentaire littéraire

I. Un aveu troublant

1. Le conditionnement d'Hippolyte, préparé pour l'aveu

- L'implicite et l'explicite qui donne des indications, et préparent Hippolyte
* Deuxième réplique de Phèdre (l'implicite dans le rapport père/fils)
* Cinquième réplique de Phèdre qui associe l'idée de son époux avec Hippolyte

- La persuasion comme moyen de faire fléchir Hippolyte
* Deuxième réplique de Phèdre (persuasion par les sentiments)

2. La difficulté d'avouer

- Une situation qui est contraire au devoir
* Tergiversations dans les premières répliques de Phèdre, qui abandonne rapidement ses explications

- L'impossibilité de s'exposer
* Troisième réplique de Phèdre qui montre le rapport avec la loi, et la difficulté de s'exposer

3. L'importance des émotions dans cet aveu

- Le registre pathétique et tragique
* Deuxième réplique de Phèdre (registre pathétique)

- Une raison incontrôlable, origine de l'aveu
* La raison abandonnée rapidement après la quatrième réplique de Phèdre
* Thésée délaissé pour l'émotion et Hippolyte


II. Le rejet d'Hippolyte face à Phèdre

1. Les passions de Phèdre atténuées par Hippolyte

- Un rôle d'apaisement, Hippolyte ne se laisse pas emporter par les émotions
* Deuxième réplique d'Hippolyte qui veut calmer Phèdre, et banalise la situation
* Troisième réplique d'Hippolyte qui veut replacer Thésée au centre de la conversation

- La raison qui veut convaincre Phèdre
* Première réplique d'Œnone qui donne la raison
* Cinquième réplique d'Hippolyte qui vient montrer la situation impossible

2. Les dérobades d'Hippolyte

- L'insensibilité face au discours de Phèdre
* Première réplique d'Hippolyte (réponse courte et insensibilité)
* Quatrième réplique d'Hippolyte qui fait abstraction du message caché de Phèdre

- La situation difficilement supportable
* Sixième réplique d'Hippolyte qui montre sa honte, il veut partir

3. Une situation tragique dont l'issue est fatale

- La fatalité du destin de Phèdre
* Le rapport avec les dieux et la lignée maudite

- Une situation familiale qui n'a qu'une issue possible
* La situation ne laisse aucune chance d'issue heureuse (rejet d'Hippolyte)


III. La force des passions

1. Phèdre en proie à l'émotion

- Des émotions fortes toujours présentes et changeantes
* Première réplique montre Phèdre très troublée
* Troisième réplique de Phèdre (mélange des champs lexicaux)

- Un amour irrépressible qu'elle tente de cacher
* Quatrième réplique de Phèdre, qui ne peut cacher son aveu
* Cinquième réplique de Phèdre, qui montre qu'elle essaye de cacher son aveu, qu'elle le retient

2. Un jeu de séduction qui se transforme en colère

- La séduction de la « charmante » Phèdre
* Cinquième réplique de Phèdre qui voit Thésée en Hippolyte
* Sixième réplique de Phèdre, le « prince » qu'elle regrette de ne pas avoir connu plus tôt

- La colère du « monstre » Phèdre
* Dernière tirade de Phèdre avec le mélange des champs lexicaux (colère vengeresse)

3. Un combat intérieur suite au déchirement

- Une émotion qui cache la honte
* Dernière tirade de Phèdre : dans l'évolution des sentiments, elle montre les aspects de la honte (victime de son destin, puis victime de sa passion)

- Le déchirement intérieur tragique
* Dernière tirade de Phèdre : mène à l'envie de mort, aucune issue différente possible




Conclusion

Par cette scène 5 de l'Acte II, Racine marque un rebondissement dans l'intrigue de Phèdre.
Prise par la honte, l'amour, la haine et la colère, Phèdre intente son propre procès, et se déclare coupable.
Pour Racine, le plus important n'est pas la découverte du secret de Phèdre, mais plutôt la violence de ses émotions, ainsi que son caractère profondément tragique.




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Merci à Ivann pour cette fiche sur la scène 5 de l'Acte II, de Phèdre