Lettres d'une Péruvienne (1747)

Lettre 34

Françoise de Graffigny





Plan de la fiche sur Lettres d'une Péruvienne (Lettre 34) de Françoise de Graffigny :
Introduction
Texte de la lettre
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    La lettre 34 est extraite des Lettres d'une Péruvienne écrites par Françoise de Graffigny. Cette œuvre fut, au milieu du XVIIIème siècle, un succès. Elles connurent plus de 40 éditions en 50 ans, et furent traduites en 5 langues.
    Reprenant la veine exotique et le style épistolaire des Lettes Persanes (1721) de Montesquieu, Mme de Graffigny dénonce les travers de la société sous la plume fictive de Zilia, jeune Péruvienne exilée en France, qui écrit à son amant Aza resté au Pérou. C'est à travers ces lettres qu'elle fait un tableau sévère de la société de son époque. Dans le texte, elle dénonce l'éducation des jeunes filles sous la forme d'un discours.

Lettres d'une Péruvienne - Françoise de Graffigny




Texte de la lettre

Lettres d’une Péruvienne, XXXIV
Françoise de Graffigny (1747)


    Je ne sais quelles sont les suites de l’éducation qu’un père donne à son fils : je ne m’en suis pas informée. Mais je sais que du moment que les filles commencent à être capables de recevoir des instructions, on les enferme dans une maison religieuse, pour leur apprendre à vivre dans le monde ; que l’on confie le soin d’éclairer leur esprit à des personnes auxquelles on ferait peut-être un crime d’en avoir, et qui sont incapables de leur former le cœur qu’elles ne connaissent pas.
    Les principes de la religion, si propres à servir de germe à toutes les vertus, ne sont appris que superficiellement et par mémoire. Les devoirs à l’égard de la divinité ne sont pas inspirés avec plus de méthode. Ils consistent dans de petites cérémonies d’un culte extérieur, exigées avec tant de sévérité, pratiquées avec tant d’ennui, que c’est le premier joug dont on se défait en entrant dans le monde, et si l’on en conserve encore quelques usages, à la manière dont on s’en acquitte, on croirait volontiers que ce n’est qu’une espèce de politesse que l’on rend par habitude à la divinité. […]
    Régler les mouvements du corps, arranger ceux du visage, composer l’extérieur, sont les points essentiels de l’éducation. C’est sur les attitudes plus ou moins gênantes de leurs filles que les parents se glorifient de les avoir bien élevées. […]
    Quand tu sauras qu’ici l’autorité est entièrement du côté des hommes, tu ne douteras pas, mon chez Aza, qu’ils ne soient responsables de tous les désordres de la société. Ceux qui, par une lâche indifférence, laissent suivre à leurs femmes le goût qui les perd, sans être les plus coupables, ne sont pas les moins dignes d’être méprisés ; mais on ne fait pas assez d’attention à ceux qui, par l’exemple d’une conduite vicieuse et indécente, entraînent leurs femmes dans le dérèglement, ou par dépit ou par vengeance. Et en effet, mon cher Aza, comment ne seraient-elles pas révoltées contre l’injustice des lois qui tolèrent l’impunité des hommes, poussée au même excès que par leur autorité ? Un mari, sans craindre aucune punition, peut avoir pour sa femme les manières les plus rebutantes, il peut dissiper en prodigalités, aussi criminelles qu’excessives, non seulement son bien, celui des enfants, mais même celui de la victime qu’il fait gémir par l’indigence, par une avarice pour les dépenses honnêtes, qui s’allie très communément ici avec la prodigalité. Il est autorisé à punir rigoureusement l’apparence d’une légère infidélité, en se livrant sans honte à toutes celles que le libertinage lui suggère. Enfin, mon cher Aza, il semble qu’en France les liens du mariage ne soient réciproques qu’au moment de la célébration, et que dans la suite les femmes seules y doivent être assujetties.
    Je pense et je sens que ce serait les honorer beaucoup de les croire capables de conserver de l’amour pour leur mari, malgré l’indifférence et les dégoûts dont la plupart sont accablées. Mais qui peut résister au mépris ?



Annonce des axes

I. Une société inégalitaire
1. De quoi s'agit-il ?
2. Relation homme / femme

II. La dénonciation par une femme
1. Une argumentation destinée aux femmes
2. Les champs lexicaux

III. La dénonciation des désordres de la société
1. Les responsables de cette organisation sociale
2. Conséquences de cette situation sociale



Commentaire littéraire

I. Une société inégalitaire

1. De quoi s'agit-il ?

    Ce texte consiste en une lettre qui emploie les pronoms de la première personne et de la seconde personne (lignes 1, 2, 3…) ainsi que le présent de l'indicatif. Il s'agit donc d'un discours. Zilia écrit à son amant pour lui exposer le mode de fonctionnement de la société française du point de vue de la séparation des sexes "Un mari… rebutantes".


2. Relation homme / femme

    La jeune femme écarte la question de l'éducation des hommes pour introduire son thème : l'éducation des filles. Sur ce sujet, elle se dit "informée", sure de son savoir. L'opposition entre les deux éducations est fortement marquée par la conjonction "Mais" et renforcée par la proposition "Je sais". La jeune péruvienne présente donc, dès les premières lignes, une société cloisonnée qui sépare les gens de sexes différents et les laisse dans l'ignorance les uns les autres : "on les enferme… connaissent pas". Cette relation se poursuit dans le texte à travers l'énoncé des griefs contre les "Hommes", le "Mari" et "Les lois".
    Mme de Graffigny montre ainsi que la société laisse l'inégalité s'installer. La situation est présentée comme exceptionnelle avec l'utilisation de "ici", au début du 4ème paragraphe : "Quand tu sauras qu'ici…" dit-elle à son amant comme si cela était bien différent d'ailleurs et que ce dernier ne pouvait imaginer les conditions des femmes. Elle laisse donc penser qu'il n'y a qu'en France que les choses se passent ainsi, soulignant le caractère anormal de la situation endurée par les femmes. D'où la fin du texte, la menace voilée d'une révolte des femmes contenue dans le final "Mais qui peut résister au mépris ?".

    Donc Mme de Graffigny emploie un vocabulaire, des termes forts pour montrer sa colère. Elle dénonce une société qui n'aide en rien les femmes.


II. La dénonciation par une femme

1. Une argumentation destinée aux femmes

    Cette argumentation est destinée aux femmes mais surtout aux hommes, lecteurs de Françoise de Graffigny afin qu'ils se rendent compte de la situation dans laquelle se trouvent les femmes. La situation d'énonciation Je / Tu n'est donc qu'un prétexte pour permettre à l'auteur de dénoncer l'injustice consécutive de l'inégalité des droits entre les femmes et les hommes.
    Cette dénonciation est subjective car elle se fait à la première personne du singulier, l'énonciatrice utilise le verbe savoir d'une manière personnelle et catégorique : elle commence sa lettre par "Je ne sais pas" et "Je sais" et la termine par "Je pense" et "Je sens". En outre, la jeune fille utilise un vocabulaire fort pour exprimer son sentiment d'indignation et de colère face à la condition des femmes. Elle utilise notamment de nombreux objectifs ou verbes à valeur péjorative pour décrire la société "superficiellement", "lâche", "méprisés", "indécente", "accablées".


2. Les champs lexicaux

    On trouve dans le texte le champ lexical de l'autorité : "enferme", "sévérité", "joug", "autorité", "punition".
    Le champ lexical du vice, "Tous les désordres", "lâche indifférence".
    Les femmes subissent donc l'autorité tandis que le vice caractérise les hommes. On constate que l'autorité appartient à ceux qui font preuve de tous les vices : la Péruvienne décrit une société sexiste et autoritaire qui incarcère la femme mais autorise l'homme à toutes les conduites.

    Françoise de Graffigny s'inscrit dans la lignée des philosophes des Lumières qui dénoncent les inégalités et réclament la liberté pour tous. Néanmoins, l'auteur se situe sur un plan plus restreint et souvent occulté, celui de la condition féminine.


III. La dénonciation des désordres de la société

1. Les responsables de cette organisation sociale

    La jeune fille incrimine les éducateurs pour n'avoir ni "esprit" ni "cœur" : les parents qui se contentent des apparences ("Régler les mouvements du corps...") et enfin "les lois qui tolèrent l'impunité des hommes" et leur permettent de se comporter d'une manière infâme. Le pronom "on" représente la société : il a une valeur exclusive, au sens où il n'induit pas l'énonciateur. Il permet une dénonciation générale qui rend la société toute entière responsable de l'inégalité subie par les femmes.


2. Conséquences de cette situation sociale

    Les femmes ne peuvent pas posséder réellement de "vertu" puisque leur éducation est différente : leurs "vertus" ne sont pas exploitées. Cette situation est "responsable" "de tous les désordres de la société".
    L'auteur évoque ainsi les femmes dévoyées martyrisées, laissées dans "l'indigence", trompée ce mépris de la femme risque de les emmener à la révolte, comme le montre la question rhétorique : "Comment ne seraient-elles pas révoltées [...] ?". C'est parce qu'ils possèdent "l'autorité" et "l'impunité" que les hommes peuvent se comporter de cette manière. En outre, la séparation des sexes et l'absence d'éducation des filles permet à cette situation de perdurer => Auteur assez pessimiste.





Conclusion

    Françoise De Graffigny souligne dans cette lettre l'imperfection d'une société, dû selon elle à l'inégalité homme/ femme. La société et les hommes, sont mis en cause la femme n'est qu'une victime que l'on maintient volontairement dans l'ignorance, pour mieux la dominer et la soumettre.

    L'auteur sous son discours, rêve d'une société d'égalité où la femme serait douée de raison et d'un sens critique, qui la rendrait l'égale des hommes.

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Merci à Marylène pour cette analyse sur Lettres d'une Péruvienne (Lettre 34) de Françoise de Graffigny