Plan de la fiche sur un extrait de 
Les Mots de Sartre :
 
Introduction
     Jean-Paul Sartre est l'un des  auteurs français les plus fameux du XXème siècle, son œuvre est variée et s'étend  sur presque tous les genres : le roman (
La Nausée), le théâtre (
Huis Clos, 
Les Mains sales)...  L'ensemble de son œuvre est influencé par une doctrine philosophique qu'il a  élaborée, l'existentialisme.
     Dans 
Les Mots, son autobiographie publiée en 1964, il explique le  pourquoi et le comment du métier d'écrivain.
     A la fin de la première partie  (« Lire »), il évoque ses moments de solitude lors de ses sorties au  parc d'enfants. N'arrivant pas à s'intégrer dans le monde réel, il voit en ses  livres le refuge idéal, et ce, à l'encontre des envies de sa mère. Aussi, on  peut se demander quel regard Sartre porte sur l'enfant rêveur et renfermé qu'il  était.
Texte étudié
     Il y avait une autre vérité. Sur les terrasses du  Luxembourg, des enfants jouaient, je m'approchais d'eux, ils me frôlaient sans  me voir, je les regardais avec des yeux de pauvre : comme ils étaient forts et  rapides ! comme ils étaient beaux ! Devant ces héros de chair et d'os, je perdais  mon intelligence prodigieuse, mon savoir universel, ma musculature athlétique,  mon adresse spadassine ; je m'accotais à un arbre, j'attendais. Sur un mot du  chef de la bande, brutalement jeté : « Avance, Pardaillan, c'est toi qui feras  le prisonnier », j'aurais abandonné mes privilèges. Même un rôle muet m'eût  comblé ; j'aurais accepté dans l'enthousiasme de faire un blessé sur une  civière, un mort. L'occasion ne m'en fut pas donnée : j'avais rencontré mes  vrais juges, mes contemporains, mes pairs, et leur indifférence me condamnait.  Je n'en revenais pas de me découvrir par eux : ni merveille ni méduse, un  gringalet qui n'intéressait personne. Ma mère cachait mal son indignation :  cette grande et belle femme s'arrangeait fort bien de ma courte taille, elle  n'y voyait rien que de naturel : les Schweitzer sont grands et les Sartre  petits, je tenais de mon père, voilà tout. Elle aimait que je fusse, à huit  ans, resté portatif et d'un maniement aisé : mon format réduit passait à ses  yeux pour un premier âge prolongé. Mais, voyant que nul ne m'invitait à jouer, elle  poussait l'amour jusqu'à deviner que je risquais de me prendre pour un nain —  ce que je ne suis pas tout à fait — et d'en souffrir. Pour me sauver du  désespoir elle feignait l'impatience : « Qu'est-ce que tu attends, gros benêt ?  Demande-leur s'ils veulent jouer avec toi. » Je secouais la tête : j'aurais  accepté les besognes les plus basses » je mettais mon orgueil à ne pas les  solliciter. Elle désignait des dames qui tricotaient sur des fauteuils de fer :  « Veux-tu que je parle à leurs mamans ? » Je la suppliais de n'en rien faire ;  elle prenait ma main, nous repartions, nous allions d'arbre en arbre et de  groupe en groupe, toujours implorants, toujours exclus. Au crépuscule, je  retrouvais mon perchoir, les hauts lieux où soufflait l'esprit, mes songes : je  me vengeais de mes déconvenues par six mots d'enfant et le massacre de cent  reîtres. N'importe : ça ne tournait pas rond.
Extrait de Les mots - Jean-Paul Sartre
Annonce des axes
I. Un souvenir marquant pour l'auteur
1. Le jeune Sartre se découvre  inexistant au regard des autres, lors de ses sorties au jardin d'enfants
2. Malgré les  tentatives de sa mère, ce n'est que dans les livres que l'enfant trouve sa  place
II. Les liens entre le  jeune Sartre et le monde qui l'entoure
1. Sartre enfant et les autres de  son âge, un lien invisible
2. La mère, avec  laquelle le lien est bien réel
III. L'introspection de  Sartre mélange les registres, mais est révélatrice du regard qu'il porte sur  son enfance
1. Une introspection  pathétique ? Comique ?
2. Un regard  définitivement ironique
Commentaire littéraire
I. Un souvenir marquant pour l'auteur
1. Le jeune Sartre se découvre  inexistant au regard des autres, lors de ses sorties au jardin d'enfants :
- Le premier verbe  du texte est à l'imparfait « avait », temps de la narration, que l'on  retrouve dans tout le texte => l'auteur va raconter un souvenir, qui se  déroulera sous nos yeux comme un film.
- Sartre nous place  spatialement « Sur les terrasses du Luxembourg » pour ancrer spatialement  son souvenir, lieu de jeu ordinaire pour les enfants.
- Opposition  entre le « je » et le nombre indéfini « des enfants », ses  tentatives vaines pour entrer en contact avec les autres « je m'approchais  d'eux » => il révèle immédiatement son isolement.
- Rien ne peut lui  donner d'existence au regard des autres enfants, il ne joue aucun  « rôle » dans leur bande et dans leur vie.
- Les échecs  successifs de ses ambitions, faire « le prisonnier », « le  blessé », mènent progressivement le jeune garçon à la conscience de son  néant => s'il doit jouer le rôle d'un « mort », ce rôle est  réel car il n'est rien aux yeux de ses semblables.
Le drame de l'enfant résulte du conflit entre ce qu'il croit et veut être, et la façon dont les autres le voient.  On reconnaît ici un des thèmes sartriens : les autres nous transforment en choses en niant la dimension intérieure qui fait, à nos propres yeux, notre valeur (« L'enfer, c'est les autres »).
2. Malgré les  tentatives de sa mère, ce n'est que dans les livres que l'enfant trouve sa  place :
- La mère du  jeune Sartre refuse la solitude de son fils et tente par tous les moyens de l'aider ;  malgré son « indignation », elle n'est que superficiellement atteinte  par la réalité, ses réactions la montrent dépendante d'illusions.
  - Il y a le scénario  de l'amour maternel : la mère joue à son fils une comédie subtile faite de  psychologie « deviner que je risquais de me prendre pour un nain »,  de ruse « elle feignait l'impatience », et d'habile stratégie  « veux-tu que je parle à leurs mamans ? ».
  - Pour fuir le  néant où l'a repoussé l'indifférence des autres, l'enfant se réfugie dans un  univers de fiction ; il fuit la réalité, le « crépuscule »  favorise les « songes ».
  - Il s'isole  du monde dans son « perchoir », un appartement au sixième étage où il  vivait avec sa famille.
  - Il se  replonge dans son imposture qui consiste à répondre complaisamment à l'image qu'on  attend de lui (« mots d'enfants ») et à compenser par un imaginaire  où il triomphe des échecs que lui inflige le réel.
Ce souvenir d'enfance  est mémorable pour Sartre, parce qu'il lui a révélé sa différence.  Mais  son isolement ne l'empêche pas d'avoir des liens, réels ou non, avec le monde  qui l'entoure.
II. Les liens entre le  jeune Sartre et le monde qui l'entoure :
1. Sartre enfant et les autres de  son âge, un lien invisible :
- Nous l'avons  vu, l'enfant n'arrive pas à communiquer avec ses semblables, la juxtaposition  de propositions indépendantes dans la deuxième phrase le montre, tout comme le  rythme de cette même phrase (5/7/10) qui donne une amplification à son attente.
- Il n'est  malheureusement que spectateur et les autres ne le remarquent pas (« sans  me voir »).
- « Comme  ils étaient forts et rapides ! Comme ils étaient beaux ! » =>  ce balancement prend un effet hyperbolique, Sartre voit derrière les autres enfants  le héros qu'il n'est pas.
- Sartre insiste sur le désir qu'éprouve l'enfant de participer, de partager les jeux des autres. Son humilité est telle qu'il en est à accepter des rôles de moins en moins glorieux (gradation jusqu'à « un mort »).
- « J'avais  rencontré mes vrais juges, mes contemporains, mes pairs » : il vit  son exclusion comme une condamnation, les termes qu'il attribue aux autres sont  forts, et le dernier, « pair », le met à leur égalité => ses  « juges » ne sont que ses semblables.
  - Le lien qui unit  le jeune Sartre et les autres enfants n'est qu'invisible, car il n'a aucun  contact direct avec eux, mais l'envie ne semble pourtant pas manquer « j'aurais  accepté les besognes les plus basses ».
2. La mère, avec  laquelle le lien est bien réel :
- La première  information que nous avons sur la mère de Sartre est son portrait  physique : c'est une « grande et belle femme » => l'admiration  pour la mère apparaît ici et sa description est en opposition avec le  « gringalet » qu'est l'enfant.
- Elle est  pleine d'illusions, ses idées sont préconçues : si l'enfant est de  « courte taille », c'est uniquement parce que « les Sartre sont  petits » => elle se voile la vérité et prends pour prétexte l'hérédité.
- De plus, elle  rêve d'un temps immobile, elle veut que son fils reste un bébé, sa chose à elle  => « elle aimait que je fusse (…) resté portatif ».
  - L'enfant souffre  de la tendresse mal exprimée de sa mère, comme le souligne le verbe supplier  dans « Je la suppliais de ne rien faire » => pour l'enfant Sartre,  ce serait une torture si sa mère en venait à parler aux autres mamans.
- Mais le  petit Sartre n'est pas dupe, il sait que sa mère refuse sa solitude « Ma  mère cachait mal son indignation ».
  - L'enfant ne  parvient ni à tisser des liens avec ses semblables, et le lien qui l'unit à sa  mère l'étouffe et le rabaisse => une sorte de spirale infernale, qui fait  fortement penser à la célèbre sentence de l'auteur dans 
Huit Clos :  « L'enfer c'est les autres ».
Les rapports que le  jeune Sartre entretenaient avec les autres étaient soit inexistants, soit  écrasants. Mais l'enfant a grandi, est devenu un écrivain, et a par conséquent  pris du recul sur cet épisode.
III. L'introspection de  Sartre mélange les registres, mais est révélatrice du regard qu'il porte sur  son enfance :
1. Une introspection  pathétique ? Comique ?
  - « je  les regardais avec des yeux de pauvres » => l'isolement de l'enfant  apparaît dans un premier temps dramatique et inspire la pitié, mais d'un autre  regard, l'expression porte à sourire : on imagine le jeune Sartre mendiant  du regard l'attention des autres.
  - « j'aurais  abandonné mes privilèges » : le conditionnel suggère que l'enfant n'a  jamais pu arriver à ce niveau, et qu'il n'a ainsi jamais été invité à jouer  => à nouveau le texte inspire à la pitié.
  - L'adjectif  qu'il s'attribue, « gringalet », est très péjoratif mais a une  sonorité irrégulière et peut également porter au sourire du lecteur.
  - Le lecteur prend  à nouveau pitié quand Sartre avoue que sa mère voyait toujours en lui un jeune  enfant, quelqu'un de « portatif » => ironiquement, l'adjectif  porte au rire et on imagine le pauvre enfant transporté « d'un maniement  aisé » par sa mère.
  - « elle  prenait ma main, nous repartions » : Sartre s'amuse du couple  pitoyable qu'il formait avec sa mère ; les balancements « nous (…)  nous »  « toujours  (…) toujours » et l'exagération  « implorants » donnent un ton parodique à la scène => on pense au  duo Don Quichotte / Sancho Panza, à la recherche d'un abri.
2. Un regard  définitivement ironique :
  - Rétrospectivement,  Sartre se moque de son envie d'entrer en contact avec les autres : l'hyperbole  « héros » souligne avec dérision la valeur accordée ordinairement à  la force et à la beauté.
  - Les qualités qu'il  peut leur opposer sont énumérées avec une exagération ironique et purement  imaginaires « musculature athlétique » « adresse spadassine » ou sont le produit de l'illusion bienveillante des adultes  « intelligence prodigieuse » « savoir universel ».
  - « Devant ces  héros (…) je perdais mon intelligence » => pseudo valorisation qui l'oppose  à nouveau aux autres enfants ; mais le regard que le Sartre adulte leur  jette est autant ironique car exagéré « comme ils étaient forts et  rapides ! ».
  - Regard ironique  sur sa petite taille : comme les livres qu'il adorait tant, il était  « d'un maniement aisé ».
  - Regard ironique  sur le couple d'« exclus » qu'il formait avec sa mère.
  - Au final, un  jugement ironique sur la personne pour qui il se prenait : un enfant  vivant dans ses rêves, là « où soufflait l'esprit », se créant des  qualités imaginaires d'après ses lectures.
Conclusion
     Le petit Sartre est  devenu grand et porte dans ce passage de son autobiographie 
Les Mots un regard  ironique sur son enfance, passée à l'écart des autres dans un monde de rêves et  de livres. Ses réflexions sur l'existentialisme sont visibles dans cet extrait,  car il expose les difficultés de la relation à autrui. Le jugement qu'il donne  sur lui-même, si l'on ne conserve que la première et la dernière phrase de  l'extrait, est d'ailleurs explicite : « Il y avait une autre vérité  (…) : ça ne tournait pas rond ».