Le Mariage de Figaro

Beaumarchais

Acte II, scène 1






Plan de la fiche sur la scène 1 de l'Acte 2 de Le Mariage de Figaro de Beaumarchais :
Introduction
Lecture de la scène 1 de l'acte 2
Vidéo de la scène 1 de l'acte 2
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Dans le premier acte du Mariage de Figaro, comédie de Beaumarchais jouée pour la première fois en 1784, le spectateur découvre une partie de l'exposition : Figaro, le valet du compte Almaviva doit épouser Suzanne, la camériste de la Comtesse, mais le Comte est bien décidé à faire échouer ce projet, en faisant de Suzanne sa maîtresse : outre le fait de tromper sa femme, le Comte remet également en cause ses engagements passés en voulant rétablir pour sa servante un droit de cuissage qu'il avait aboli à l'occasion de son mariage.

    Dans cette scène 1 de l'acte II, nous retrouvons ainsi Suzanne exposant à sa maîtresse la situation qui s'est mise en place à l'acte I. C'est l'occasion pour le spectateur de découvrir pour la première fois, de façon détaillée le personnage de la Comtesse. Et c'est surtout l'opportunité pour Beaumarchais de camper pour la première fois un duo féminin qui, face à l'adversité, va jouer un rôle essentiel dans le reste de l'action.


Lecture de la scène 1 de l'acte 2

Acte II - Scène I

SUZANNE ; LA COMTESSE entre par la porte à droite.


La Comtesse se jette dans une bergère.
Ferme la porte, Suzanne, et conte-moi tout dans le plus grand détail.
Suzanne.
Je n’ai rien caché à madame.
La Comtesse.
Quoi ! Suzon, il voulait te séduire ?
Suzanne.
Oh ! que non ! monseigneur n’y met pas tant de façon avec sa servante : il voulait m’acheter.
La Comtesse.
Et le petit page était présent ?
Suzanne.
C’est-à-dire caché derrière le grand fauteuil. Il venait me prier de vous demander sa grâce.
La Comtesse.
Hé ! pourquoi ne pas s’adresser à moi-même ? Est-ce que je l’aurais refusé, Suzon ?
Suzanne.
C’est ce que j’ai dit : mais ses regrets de partir, et surtout de quitter madame ! Ah ! Suzon, qu’elle est noble et belle ! mais qu’elle est imposante !
La Comtesse.
Est-ce que j’ai cet air-là, Suzon ? Moi qui l’ai toujours protégé.
Suzanne.
Puis il a vu votre ruban de nuit que je tenais ; il s’est jeté dessus…
La Comtesse, souriant.
Mon ruban ?… Quelle enfance !
Suzanne.
J’ai voulu le lui ôter ; madame, c’était un lion ; ses yeux brillaient… Tu ne l’auras qu’avec ma vie, disait-il en forçant sa petite voix douce et grêle.
La Comtesse, rêvant.
Eh bien, Suzon ?
Suzanne.
Eh bien, madame, est-ce qu’on peut faire finir ce petit démon-là ? Ma marraine par-ci ; je voudrais bien par l’autre : et parce qu’il n’oserait seulement baiser la robe de madame, il voudrait toujours m’embrasser, moi.
La Comtesse, rêvant.
Laissons… laissons ces folies… Enfin, ma pauvre Suzanne, mon époux a fini par te dire…
Suzanne.
Que si je ne voulais pas l’entendre, il allait protéger Marceline.
La Comtesse se lève et se promène, en se servant fortement de l’éventail.
Il ne m’aime plus du tout.
Suzanne.
Pourquoi tant de jalousie ?
La Comtesse.
Comme tous les maris, ma chère ! uniquement par orgueil. Ah ! je l’ai trop aimé ; je l’ai lassé de mes tendresses et fatigué de mon amour : voilà mon seul tort avec lui ; mais je n’entends pas que cet honnête aveu te nuise, et tu épouseras Figaro. Lui seul peut nous y aider : viendra-t-il ?
Suzanne.
Dès qu’il verra partir la chasse.
La Comtesse, se servant de l’éventail.
Ouvre un peu la croisée sur le jardin. Il fait une chaleur ici !…
Suzanne.
C’est que madame parle et marche avec action.
(Elle va ouvrir la croisée du fond.)
La Comtesse, rêvant longtemps.
Sans cette constance à me fuir… Les hommes sont bien coupables !
Suzanne crie, de la fenêtre.
Ah ! voilà monseigneur qui traverse à cheval le grand potager, suivi de Pédrille, avec deux, trois, quatre lévriers.
La Comtesse.
Nous avons du temps devant nous. (Elle s’assied.) On frappe, Suzon !
Suzanne court ouvrir en chantant.
Ah ! c’est mon Figaro ! ah ! c’est mon Figaro !

    Le Mariage de Figaro - Beaumarchais - Acte II, scène 1




Vidéo de la scène 1 de l'acte 2







Annonce des axes

I. Un nouveau couple maître/valet au féminin
1. Le pendant féminin d'un couple maître valet traditionnel
2. Au-delà des conventions et face à l'adversité, l'alliance de deux femmes

II. Un beau portrait de femme : la Comtesse
1. Une femme amoureuse, en proie aux doutes et au tourment
2. Une femme volontaire
3. La richesse du non-dit



Commentaire littéraire

I. Un nouveau couple maître/valet au féminin

1. Le pendant féminin d'un couple maître valet traditionnel

a. Des relations a priori conventionnelles : supériorité hiérarchique de la Comtesse sur Suzanne :

Nous avons une relation classique, traditionnelle de subordination.

La Comtesse tutoie Suzanne mais Suzanne vouvoie la Comtesse.
La Comtesse donne des ordres à Suzanne (utilisation de l’impératif), par exemple "Ouvre un peu la croisée sur le jardin".

Les désignations qu'utilisent Suzanne montrent son infériorité sociale :
- "Madame"
- "Monseigneur", "sa servante" pour se désigner
- Rectification / interrogation de la Comtesse : le Comte ne veut pas la séduire, ce qui serait la mettre au même rang que la Comtesse ; il "n'y met pas tant de façons" et veut "l'acheter" = montre bien la conscience de son statut.

C'est toujours la Comtesse qui mène la conversation, qui pose les questions, Suzanne ne faisant qu'y répondre : on voit qui dirige :
- Impératif "conte-moi"
- Repérer les différentes questions
- C'est la Comtesse qui réoriente la conversation après la parenthèse concernant le page : cf. points de suspensions qui équivalent à un ordre de parler : "mon époux a fini par te dire ?…"


b. Suzanne apparaît comme un personnage de soubrette traditionnelle : fidèle à sa maîtresse, mais sachant garder la spontanéité et l'espièglerie de son rôle :

Quand elle rapporte la scène qui s'est déroulée avec Chérubin, Suzanne apparaît comme le messager fidèle de sa maîtresse :
- Elle montre son accord avec sa maîtresse : "C'est ce que j'ai dit"
- Elle montre comment, par fidélité pour la Comtesse, elle a voulu enlever le ruban à Chérubin : "J'ai voulu le lui ôter".

En même temps que cette fidélité inébranlable, Suzanne ne se départit cependant pas d'une certaine espièglerie qui caractérise traditionnellement au théâtre les emplois de serviteurs : elle rapporte l'épisode avec Chérubin en imitant ses propos ("Ah ! Suzon, qu’elle est noble et belle !"…), dramatisant avec malice la situation pour mieux aiguiser les sentiments de la Comtesse.
Les points d'exclamation donnent plus de force à l'admiration de Chérubin pour la Comtesse.
Exagération de l'action : "c'était un lion ; ses yeux brillaient" ; elle ne retient volontairement que les propos susceptibles de toucher la Comtesse : "Tu ne l'auras qu'avec ma vie" (l. 21).
En même temps, elle montre ironiquement qu'elle n'est pas dupe de ce petit jeu : "en forçant sa petite voix douce et grêle" = contraste ironiquement avec l'évocation du lion !

TRANSITION
Cette relation maîtresse/servante semble se situer sur un terrain assez conventionnel. Cependant, à y regarder de plus près, le lien qui unit les deux femmes est bien plus fort et se trouve conforté par la nécessité d'une alliance face à l'adversité que constitue le Comte : plus qu'une maîtresse et sa servante, on a ici deux femmes qui s'allient pour être plus fortes.


2. Au-delà des conventions et face à l'adversité, l'alliance de deux femmes

a. Délicatesse mutuelle et recherche d'une réelle complicité :

La Comtesse utilise des termes affectifs qui témoignent d'une réelle affection, au-delà d'une relation maîtresse servante :
- Diminutif "Suzon"
- "ma pauvre Suzanne"
- "ma chère"

En parallèle, Suzanne manifeste beaucoup de tact envers sa maîtresse :
- Euphémisme "m'acheter".
- Quand elle évoque de façon détournée le trouble visible de sa maîtresse : "C'est que Madame parle et marche avec action".

D'un côté comme de l'autre, il y a un respect mutuel qui va au-delà d'une simple relation de classe. On pourrait parler ici de relation amicale.

De même, d'un côté comme de l'autre, on sent une totale confiance :
- Volonté d'intimité rassurante pour elles deux : "Ferme la porte" (début du texte),
- "conte-moi tout dans le plus grand détail - Je n'ai rien caché à Madame" = vocabulaire de l'absolu qui témoigne d'une confiance mutuelle.


b. Des intérêts communs :

En parallèle de cette proximité affective, il est clair que, face au Comte, les deux femmes ont intérêt à s'allier ; d'où l'évocation dans la fin de la scène du recours à la seule aide commune qui puisse leur être efficace à toutes deux : Figaro, que Suzanne accueille avec un grand enthousiasme ("Ah ! c’est mon Figaro ! ah ! c’est mon Figaro !").

TRANSITION
A ce stade de la pièce, et dès leur première apparition côte à côte, l'alliance des femmes semble donc assez solide du fait de leur complicité et de leur solidarité ; mais ce n'est pas le seul intérêt de cette scène 1 de l'acte 2 qui nous livre aussi, tout en finesse, un beau portrait de la psychologie de la Comtesse.


II. Un beau portrait de femme : la Comtesse

1. Une femme amoureuse, en proie aux doutes et au tourment

a. A ce stade, la Comtesse apparaît encore amoureuse de son mari :

La Comtesse emploie le champ lexical de l'amour dans son aveu : "Ah ! je l'ai trop aimé ! je l'ai lassé de mes tendresses et fatigué de mon amour ; voilà mon seul tort avec lui".
Les exclamations témoignent du trouble de la Comtesse.

En parallèle, on voit que la Comtesse emploie le passé pour évoquer le Comte, et les termes "lassé" et "fatigué" laissent à penser qu'elle ne se fait pas beaucoup d'illusion sur la suite de leur relation : "Il ne m'aime plus du tout".
En apparence, la Comtesse semble assez fataliste et lucide : elle emploie des généralisations avec le présent de vérité générale à propos du Comte : "Comme tous les maris", "Les hommes sont bien coupables !" = une manière d'affirmer que ce qui lui arrive est assez commun.

Pourtant sous cet apparent détachement, c'est une femme qui apparaît blessée : si ses mots ne la trahissent pas, ce sont ses attitudes qui le font :
- didascalie "se lève et se promène en se servant fortement de l'éventail".
- paroles de Suzanne : "C’est que madame parle et marche avec action."


b. Outre cette détresse amoureuse, un autre sentiment contradictoire semble animer la Comtesse : un attachement trouble à Chérubin :

C'est la Comtesse qui, au début de la scène, par ses questions va orienter la conversation sur Chérubin : "Et le petit page était présent ?".

Ensuite les nombreux points d'interrogation qui émaillent ses propos témoignent de son vif intérêt pour ce que dit Suzanne.

Au lieu de s'indigner (ce qui serait l'attitude attendue pour une femme de son rang), la Comtesse apparaît complaisante et attendrie : "Mon ruban ?… Quelle enfance !", et les didascalies évoquent de sa part une attitude un peu équivoque : "rêvant" répété à deux reprises.

Curieusement, la Comtesse met un terme à cette discussion au moment où Suzanne évoque les tentatives de Chérubin pour l'embrasser : trouble ? jalousie ? la porte est ouverte à toutes les interprétations pour le spectateur.

=> Il y a là, de la part de la Comtesse, une attitude ambiguë qui fait toute la profondeur de son personnage : "Laissons… laissons ces folies…" = les folies sont-elles les siennes ou celles de Chérubin ? Les points de suspension entretiennent habilement l'ambiguïté.


2. Une femme volontaire

La décision d'une femme capable de surmonter sa jalousie :
- "mais" => opposition et phrase négative "mais je n'entends pas que cet honnête aveu te nuise" => volonté de la Comtesse de passer à l'action.
- Utilisation du futur avec valeur d'impératif "et tu épouseras Figaro".

La Comtesse est une femme malheureuse mais lucide. Elle imagine peut-être une tentation mais la raison l'emporte. Elle est une femme d'action.

Ainsi, elle montre son futur rôle actif dans l’intrigue. La Comtesse garde de la combativité pour aider Suzanne et ramener le Comte à elle.


3. La richesse du non-dit

En fait, toute la profondeur des sentiments de la Comtesse repose dans cette scène sur le non-dit :
- De toute évidence, la Comtesse est bien plus blessée par l'attitude de son mari qu'elle ne veut bien l'admettre devant Suzanne, sans doute par pudeur : elle se trahit cependant l'espace d'un instant : didascalie ("rêvant longtemps") + "Sans cette constance à me fuir…" : les points de suspension témoignent ici d'une réflexion intérieure faite de prise de conscience et de regrets non-dits.
- De même, la Comtesse éprouve pour Chérubin bien plus de sentiments qu'elle ne peut (ou ne veut) admettre : voir à nouveau les didascalies et les points de suspension qui témoignent de cela.





Conclusion

    Au terme de cette étude, on voit donc cette scène 1 de l'acte 2 est assez riche en informations : le duo formé par la Comtesse et Suzanne semble mettre en place une complicité assez forte pour entraver les projets du Comte.
    De même, le personnage de la Comtesse que le spectateur découvre en détail pour la première fois laisse entrevoir des sentiments complexes et ambigus qui risquent de compliquer la suite de l'intrigue : habilement, Beaumarchais suggère sans tout révéler, ce qui témoigne d'un talent dramaturgique remarquable : poussé par la curiosité, le spectateur est déjà projeté dans la suite de la pièce.

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Merci à Anne-Laure pour cette analyse sur la scène 1 de l'acte 2 de Le Mariage de Figaro de Beaumarchais