Lettres à Sophie Volland - 1er Novembre 1759

Diderot

De "J'ai vu toute la sagesse des nations..." à la fin de la lettre




Plan de la fiche sur Lettres à Sophie Volland du 1er Novembre 1759 de Diderot :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Diderot est une figure emblématique de l'esprit des lumières : c'est un philosophe, un écrivain, un critique d'art, un romancier qui entreprît la rédaction de L'Encyclopédie. Cependant il est également l'auteur des Bijoux indiscrets, un roman libertin et fantaisiste.

    Pour Diderot le corps doit être un thème privilégié ; c'est sur lui qu'il fait reposer le fondement de sa morale. Pour lui, plaisir et vertu sont indissociables. Ainsi la vertu n'a pas à être austère, elle doit procurer du plaisir ou alors elle ne sert à rien.

    Dans cette lettre, Sophie Volland est sa maîtresse ; il est alors marié, c'est une correspondance réelle, elle est abondante et Diderot y fait son autoportrait.

    Cette lettre est libertine car : il y fait l'éloge du corps de la passion et du sensible et de plus il s'agit d'une lettre à une amante.

Denis Diderot
Denis Diderot




Texte étudié

Lettres à Sophie Volland
XXVI

Le 1er novembre 1759.
[...]

    J’ai vu toute la sagesse des nations, et j’ai pensé qu’elle ne valait pas la douce folie que m’inspirait mon amie. J’ai entendu leurs discours sublimes, et j’ai pensé qu’une parole de la bouche de mon amie porterait dans mon âme une émotion qu’ils ne me donnaient pas. Ils me peignaient la vertu, et leurs images m’échauffaient ; mais j’aurais encore mieux aimé voir mon amie, la regarder en silence, et verser une larme que sa main aurait essuyée ou que ses lèvres auraient recueillie. Ils cherchaient à me décrier la volupté et son ivresse, parce qu’elle est passagère et trompeuse ; et je brûlais de la trouver entre les bras de mon amie, parce qu’elle s’y renouvelle quand il lui plaît, et que son cœur est droit, et que ses caresses sont vraies. Ils me disaient : Tu vieilliras ; et je répondais en moi-même : Ses ans passeront avec les miens. Vous mourrez tous deux ; et j’ajoutais : Si mon amie meure avant moi, je la pleurerai, et serai heureux la pleurant. Elle fait mon bonheur aujourd’hui ; demain elle fera mon bonheur, et après-demain, et après-demain encore, et toujours, parce qu’elle ne changera point, parce que les dieux lui ont donné le bon esprit, la droiture, la sensibilité, la franchise, la vertu, la vérité qui ne change point. Et je fermai l’oreille aux conseils austères des philosophes ; et je fis bien, n’est-ce pas, ma Sophie ?



Annonce des axes

I. Un dialogue entre l'épistolier et les philosophes
1. Le système d'opposition
2. La reprise d'un même schéma syntaxique
3. La matérialisation du dialogue

II. L'éloge du bonheur et de la passion de vivre
1. Expression du lyrisme
2. Emploi d'un vocabulaire d'une affectivité heureuse
3. Les images du corps



Commentaire littéraire

I. Un dialogue entre l'épistolier et les philosophes

Les lettres de Diderot à Sophie Vollant sont souvent marquées par la tendresse, Diderot laisse paraître ses sentiments intimes. Il célèbre les charmes de son amante. Dans ce passage, cette célébration va prendre la forme d'un dialogue entre ceux qui prône une austérité rigoureuse et peu attrayante et Diderot. Ce dialogue va lui permettre de définir un art de vivre reposant sur une soumission à la passion amoureuse.

1. Le système d'opposition

Ce dialogue entre les philosophes et l'épistolier met en parallèle des points de vue différents. D'où les multiples antithèses qui structurent la lettre.
"sagesse" / "folie", " discours" / "parole" (discours : propos abstrait, préparé / parole : naturelle et spontanée).
"Ils me peignaient la vertu" (construction qui connote l'artéfact), cela s'oppose à la présence physique de Sophie Volland. "verser une larme" : Diderot pleure devant sa maîtresse.
"décrier la volupté et son ivresse [...] je brûlais" puis ensuite un effet de parallélisme. Donne l'idée de quelque chose qui dure. De plus l'adjectif dépréciatif "passagère" s'oppose à "renouveler" ; "trompeuse" s'oppose à "droit" et "vrai" ; "vous mourrez" s'oppose à "je serai heureux" et à "qui ne change point".


2. La reprise d'un même schéma syntaxique

Ce jeu d'opposition constant est conduit selon un même schéma syntaxique. Le procédé hyperbate (renverser l'ordre habituel des mots) : la phrase est prolongée de façon inattendue et c'est dans le second élément de la phrase que réside l'opinion de l'auteur : la polysyndète met en relief cette hyperbate.
Il donne d'abord l'opinion des philosophes puis il prolonge sa phrase.
Exemple :
"Ils me peignaient la vertu, et leurs images m’échauffaient ; mais j’aurais encore mieux aimé voir mon amie, la regarder en silence, et verser une larme que sa main aurait essuyée ou que ses lèvres auraient recueillie.

D'ailleurs la polysyndète est générale. Ces procédés opposent donc toujours les philosophes et Diderot.


3. La matérialisation du dialogue

Ce dialogue, exprimé par les oppositions, finit même par se matérialiser. On peut observer des éléments de discours direct (exemple : "Ils me disaient"). La lettre devient un échange de répliques : "je disais", "je répondais".
Le dialogue devient vivant car Diderot donne une voix à une abstraction, on peut parler de prosopopée car la parole est donnée à une entité qui peut la prendre (façon d'actualiser).


Conclusion :
Le dialogue fictif de Diderot avec les philosophes nous révèle une conception de la vie qui donne toute sa place à l'émotion et au sensible. La célébration de son amante lui permet d'exposer les principes d'un art de vivre lié au monde terrestre.


II. L'éloge du bonheur et de la passion de vivre

1. Expression du lyrisme

Les choix de Diderot sont mis en relief par un ton lyrique qui indique son enthousiasme, la ferveur de ses sentiments.
La polysyndète générale de la lettre crée un rythme ample, ouvert qui déborde. Elle crée également un effet d'accumulation gra^ce à des anaphores qui donne une dynamique à l'énoncé.
Exemples : "et que son cœur est droit, et que ses caresses".
"et après demain, et après demain encore"
Il libère ses sentiments.
"Si mon amie meure avant moi, je la pleurerai, et serai heureux la pleurant. Elle fait mon bonheur aujourd’hui ; demain elle fera mon bonheur" : une gradation et un chiasme qui fait écho.
C'est un emportement fiévreux et passionné. Il y a aussi des effets d'échos et de répétition, il répète "mon amie" 7 fois ; c'est un leitmotiv un motif obsessionnel. D'ailleurs la lettre se termine par "ma Sophie", possessif affectueux.
La tonalité lyrique permet d'exalter des sentiments et elle s'accompagne également d'une expression de joie et de bonheur.


2. Emploi d'un vocabulaire d'une affectivité heureuse

La tonalité lyrique est amplifiée par un vocabulaire de l'affectivité heureuse. Diderot accorde de l'importance à tout ce qui est émotion et sentiment.
On observe ce choix à travers un champ lexical de l'émotion et de la passion : "larme, je brûlais, cœur, caresses, heureux, bonheur, émotion"
De plus, Diderot évoque deux fois "les larmes".
Cette affectivité est associée à des termes appréciatifs relevant du domaine de la philosophie : "caresses" est associé à "vrai" et "vertu" à "vérité".
Le corps est associé à des termes abstrait. Il fait fusionner le sensible et le philosophe. Cette foi dans les sentiments conduit également l'auteur à une croyance du corps comme langage et être authentique.


3. Les images du corps

Le corps de Sophie Volland est omniprésent dans cette lettre, il se manifeste par des éléments anatomiques qui correspondent à une géographie érotique : "la bouche, main, lèvre, entre les bras, caresses".
Ce corps est également présent à travers une sollicitation des sens : "le toucher, la vue, l'ouie".
Pour Diderot, ce corps est langage, il est spontané, il exprime également le "moi" profond de la personne.
Exemple : le "cœur" est associé à "droit" qui signifie qui ne trompe pas.
Ce corps lui parle au point qu'il lui fait verser une larme. Il pleure d'émotion et également comme s'il avait une révélation dans cette vérité.





Conclusion

    Ce texte est un éloge enthousiaste et émouvant de la passion. De plus, l'auteur refuse de dissocier plaisir et vertu. C'est aussi un aveu touchant d'un philosophe qui sait maintenir à distance les systèmes philosophiques lorsqu'ils deviennent trop contraignants.
    A travers l'aspect anecdotique de la lettre à une amante, on assiste à une mise en scène de la philosophie matérialiste de Diderot.
    Ce texte s'inscrit dans le groupement sur le libertinage car il prône un bonheur de vivre terrestre.

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Merci à Marie-Pierre pour cette analyse sur La Lettre à Sophie Volland du 1er Novembre 1759 de Diderot