Le Vampire

Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal

Analyse linéaire



Plan de l'analyse linéaire de Le Vampire de Baudelaire :
Introduction
Texte du poème Le Vampire
Plan du poème
Analyse linéaire
Conclusion


Introduction

    Le poème Le Vampire de Charles Baudelaire (1821 - 1867) , est extrait de la section "Spleen et idéal" du recueil Les Fleurs du mal.

    Ce poème a certainement été inspiré par Jeanne Duval, une femme que Baudelaire a aimée et avec qui il entretenait des relations tumultueuses. Jeanne Duval est aussi l'inspiratrice d'autres poèmes de Baudelaire comme Parfum exotique, La Chevelure et bien d'autres.

    Dans ce poème Le Vampire, composé de 6 quatrains en octosyllabes, Baudelaire dépeint une vision sombre de l’amour, dans laquelle l'amour passionnel devient destructeur sous l'emprise de la femme, mais on peut également y voir une vive déclaration d'amour.



Lecture du poème Le Vampire


Télécharger Le Vampire - de Baudelaire en version audio (clic droit - "enregistrer sous...") - Lu par Pauline Pucciano - source : litteratureaudio.com

XXXI - Le Vampire


Toi qui, comme un coup de couteau,
Dans mon cœur plaintif es entrée ;
Toi qui, forte comme un troupeau
De démons, vins1, folle et parée2,

De mon esprit humilié
Faire ton lit et ton domaine ;
- Infâme à qui je suis lié
Comme le forçat à la chaîne,

Comme au jeu le joueur têtu,
Comme à la bouteille l'ivrogne,
Comme aux vermines la charogne
- Maudite, maudite sois-tu !

J'ai prié le glaive rapide
De conquérir ma liberté,
Et j'ai dit au poison perfide
De secourir ma lâcheté.

Hélas ! le poison et le glaive
M'ont pris en dédain et m'ont dit :
"Tu n'es pas digne qu'on t'enlève
A ton esclavage maudit,

Imbécile ! - de son empire
Si nos efforts te délivraient,
Tes baisers ressusciteraient
Le cadavre de ton vampire !"

1 vins : passé simple du verbe "venir"
2 parée : certainement parée de beaux habits, de bijoux, etc.


Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal



Vampire - Edvard Munch
Vampire - Edvard Munch



Plan du poème

Vers 1 à 12 - Le poète esclave de sa relation avec la femme aimée
Vers 13 à 20 - La tentation de la libération
Vers 21 à 24 - L'impossible libération



Analyse linéaire

Vers 1 à 12 - Le poète esclave de sa relation avec la femme aimée

Toi qui, comme un coup de couteau,
Dans mon cœur plaintif es entrée ;
Toi qui, forte comme un troupeau
De démons, vins, folle et parée,


Le poème débute par une apostrophe à la femme ("Toi"), même si on ne sait pas encore à qui s'adresse ce "toi". Le tutoiement montre que le poète s'adresse à quelqu'un qu'il connaît bien.
L'allitération en [k] dans les 3 premiers vers rappelle le son des coups de couteau. Le son [cou] est d'ailleurs prononcé deux fois dans le vers 1.

Au vers 2, avec "cœur plaintif", on comprend que le poète parle de la femme qu'il aime, puisque la femme est "entrée" dans son cœur, de force comme un coup de couteau. La comparaison avec le coup de couteau pour présenter l'amour est inhabituelle et très violente.

Le poète se dévalorise avec l'adjectif "plaintif" qui le laisse voir comme une victime, et il le fera tout au long de ce poème. La femme est montrée comme un agresseur.

Au vers 3, l'anaphore de "Toi qui" commence à sonner comme une accusation envers la personne à qui s'adresse ce "toi". Cette anaphore montre également l'omniprésence de la femme dans l'esprit du poète.

Dès les vers 3 et 4, on voit la relation déséquilibrée entre le poète et la femme aimée avec la métaphore hyperbolique "forte comme un troupeau / de démons", le poète montre la puissance de la femme, alors qu'au vers précédent il se montrait comme faible ("cœur plaintif"). Le rejet de "De démons" au vers 4 met en relief ce mot et insiste donc sur le côté démoniaque de la femme. Le démon a une dimension quasiment religieuse, mystique.

(à noter que à ce vers 4 "vins" est le passé simple du verbe venir, et non la boisson)

Au vers 4, les deux adjectifs "folle et parée" montre l'ambiguïté du poète envers la femme : "folle" dévalorise la femme alors que "parée" la valorise en indiquant qu'elle s'est faite belle.

De mon esprit humilié
Faire ton lit et ton domaine ;
- Infâme à qui je suis lié
Comme le forçat à la chaîne,


Au vers 5, l'adjectif "humilié" montre une fois de plus la relation déséquilibrée entre la femme et le poète, le poète ne peut que subir l'amour de la femme qui l'humilie. Nous avons ici le premier signe d'un amour masochiste.

Au vers 6, on retrouve le champ lexical de l'amour avec "lit". La femme fait de l'esprit du poète son "domaine", comme si l'esprit du poète appartenait à la femme.

Le mot "Infâme" au vers 7 est très péjoratif pour s'adresser à la femme aimée. Il y a un jeu sur les sonorités, "in"-"fâme" -> préfixe privatif "in" pour donner un sens négatif suivi de "fâme" = "femme" -> ce n'est pas une femme.

Avec "à qui je suis lié", l'attachement devient plus que psychologique, il semble physique avec le mot "lié".
Cette notion d'attachement forcée est encore augmentée au vers 8, avec la comparaison "Comme le forçat à la chaîne" -> notion d'esclavage, le poète est esclave de l'amour à cette femme. Les mots "forçat" et "chaîne" appartiennent au champ lexical de l'esclavage.

Comme au jeu le joueur têtu,
Comme à la bouteille l'ivrogne,
Comme aux vermines la charogne
- Maudite, maudite sois-tu !


Des vers 8 à 11, l'anaphore de "Comme" permet une accumulation de comparaisons, avec une gradation dans la puissance des images de ces comparaisons, pour montrer à quel point le poète subit son attachement à la femme aimée, et ne peut s'en défaire.

Ici, la relation à la femme est assimilée à des vices, jeu et alcoolisme, vices qui privent en général ceux qui s'y adonnent de liberté car ce sont des vices addictifs. L'amour est une addiction.
Au vers 11, "aux vermines la charogne" fait référence à la mort. La vermine dévore la charogne, idée de destruction.

Ce sont des comparaisons bien loin de ce que l'on peut trouver dans un traditionnel poème d'amour.
Malgré le danger qu'il représente, le poète ne peut échapper à son amour pour cette femme.

Au vers 12, la répétition du mot "maudite" insiste sur celui-ci. Le poète voudrait lancer une malédiction sur la femme, comme pour se venger ou se libérer de la malédiction que celle-ci semble avoir jetée sur lui.

C'est une vision sombre de l'amour, vu comme un esclavage. La femme prive le poète de ses libertés, mais en même temps son amour l'empêche de se libérer de cette emprise.


Vers 13 à 20 - La tentation de la libération

J'ai prié le glaive rapide
De conquérir ma liberté,
Et j'ai dit au poison perfide
De secourir ma lâcheté.


Dans ce quatrième quatrain, à travers deux structures identiques de deux vers, le poète évoque son envie de libération, en voulant supprimer la femme aimée (ou se suicider ?). Le poète veut lutter comme le montre le champ lexical du combat ("glaive", "conquérir", "secourir").
Pourtant, il ne fait aucune action concrète, puisqu'il ne fait que "prier" ou "dire", mais ne fait pas l'action de tuer lui-même cette femme -> lâcheté du poète.

Les verbes d'action "conquérir" et "secourir" sont rattachés à des objets personnifiés, "glaive" et "poison", qui ne peuvent pas effectuer d'action par eux-mêmes, comme si finalement le poète ne souhaitait pas que ces actions se réalisent.

Hélas ! le poison et le glaive
M'ont pris en dédain et m'ont dit :
"Tu n'es pas digne qu'on t'enlève
A ton esclavage maudit,


Au vers 17, le mot "Hélas" et le point d'exclamation montrent la déception du poète de ne pouvoir se débarrasser de la femme.

Au vers 17 et 18 ("le poison et le glaive/ M'ont pris en dédain et m'ont dit"), Baudelaire fait parler le poison et le glaive, c'est une prosopopée (faire parler ou agir une personne absente, un défunt, un animal ou une chose personnifiée). Au travers une série d'assonances ([oi], [on], [ai], [en], [é], [in], [i]) qui résonne comme une plainte du poète, le poison et le glaive refusent d'aider le poète. Ils le prennent même "en dédain", le poète se dévalorise encore.

Au vers 19 et 20 ("Tu n'es pas digne qu'on t'enlève / A ton esclavage maudit"), la liberté se refuse au poète. On retrouve le champ lexical de l'esclavage. L'amour est comme un "esclavage", esclavage envers la femme aimée.

Le poète est impuissant face à la femme vampire.


Vers 21 à 24 - L'impossible libération

Imbécile ! - de son empire
Si nos efforts te délivraient,
Tes baisers ressusciteraient
Le cadavre de ton vampire !"


(Au vers 21 et 22, "de son empire / Si nos efforts te délivraient" signifie si le poison ou le glaive tuait la femme aimée.)

Au vers 21, la prosopopée continue. Le poète se fait insulter par des objets ("Imbécile !"), nous avons comme au vers 5, un signe d'un amour masochiste.
Le mot hyperbolique "empire", qui représente l'emprise de la femme, montre la puissance de la femme sur Baudelaire. Ce mot "empire" est mis en valeur par un contre-rejet et une inversion grammaticale (complément d'objet placé avant le sujet et le verbe) qui insistent sur ce mot.

Au vers 23, on retrouve le champ lexical de l'amour avec "baisers".

L'emprise de la femme sur le poète est tellement puissante que même la mort ne permettrait pas de l’en délivrer ("Tes baisers ressusciteraient / Le cadavre de ton vampire"). On peut finalement voir cela comme une déclaration d'amour très forte !

Dans ce dernier quatrain, qui est une déclaration d'amour, les rimes sont embrassées. On voit ici toute l'ambivalence et la complexité de l'amour du poème, qui oscille entre haine et amour : le poète veut tuer la femme aimée mais une fois morte il lui donnerait des baisers qui la ressusciteraient.

Le poème finit comme le titre, avec le mot vampire. Une allitération en [v] dans les 3 deniers vers ("délivraient", "cadavre", "vampire") insiste sur la sonorité de ce mot.
Le lecteur comprend maintenant l'image du vampire pour représenter l'amante : c'est une figure à la fois séductrice et effrayante, et qui se nourrit du sang et de l'âme de sa victime, donc de son énergie vitale.





Conclusion

    Dans son poème Le Vampire, Baudelaire donne une version sombre de l'amour, emprise de spleen. Il dépeint une relation déséquilibrée dans laquelle la femme est toute puissante et l'homme, sous l'emprise de cette femme, est comme prisonnier de cette relation. Pour ce faire, il emploie des images qui sont à l'opposé de ce que veut montrer un poème d'amour romantique, mais c'est en réalité une déclaration d'amour en négatif, car le poète semble se complaire dans cette relation à la limite du masochisme.


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