L'Ingénu

Voltaire

L'Incipit - Chapitre premier

De "Un jour saint Dunstan..." à "...de Notre-Dame de la Montagne."




Plan de la fiche sur le chapitre 1 de L'Ingénu de Voltaire :
Introduction
Texte du chapitre 1 (extrait)
Annonce des axes
Commentaire littéraire


Introduction

    Le récit du conte philosophique de Voltaire, L'Ingénu, se déroule sous le règne Louis XIV, époque antérieure à l'époque de Voltaire.
    L'Ingénu est le nom donné au héros, c'est une qualité morale qui le caractérise (comme Candide) : c'est sa candeur, son ingénuité. La candeur du héros permet à Voltaire de faire une critique du monde civilisé.

    Nous allons étudier un extrait du Chapitre 1 de L'Ingénu.


Texte du chapitre 1 (extrait)


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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com


L'Ingénu - CHAPITRE PREMIER - Extrait
Comment le prieur de Notre-Dame de la Montagne et Mademoiselle sa sœur rencontrèrent un Huron.


      Un jour saint Dunstan, Irlandais de nation et saint de profession, partit en Irlande sur une petite montagne qui vogua vers les côtes de France, et arriva par cette voiture à la baie de St Malo. Quand il fut à bord, il donna la bénédiction à sa montagne, qui lui fit de profondes révérences et s’en retourna en Irlande par le même chemin qu’elle était venue.
      Dunstan fonda un petit prieuré dans ces quartiers-là, et lui donna le nom de prieuré de la Montagne, qu’il porte encore, comme chacun sait.
      En l’année 1689, le 15 juillet au soir, l’abbé de Kerkabon, prieur de Notre-Dame de la Montagne, se promenait sur le bord de mer avec mademoiselle de Kerkabon, sa sœur, pour prendre le frais. Le prieur, déjà un peu sur l’âge, était un très bon ecclésiastique, aimé de ses voisins, après l’avoir été autrefois de ses voisines. Ce qui lui avait donné surtout une grande considération, c’est qu’il était le seul bénéficier du pays qu’on ne fût pas obligé de porter dans son lit quand il avait soupé avec ses confrères. Il savait assez honnêtement de théologie ; et quand il était las de St Augustin, il s’amusait avec Rabelais ; aussi tout le monde disait du bien de lui.
      Mademoiselle de Kerkabon, qui n’avait jamais été mariée, quoiqu’elle eût grande envie de l’être, conservait de la fraicheur à l’âge de quarante-cinq anas ; son caractère était bon et sensible ; elle aimait le plaisir et était dévote.
      Le prieur disait à sa sœur, en regardant la mer : « Hélas ! c’est ici que s’embarqua notre pauvre frère avec notre chère belle-sœur madame de Kerkabon, sa femme, sur la frégate l’Hirondelle, en 1669, pour aller servir au Canada. S’il n’avait pas été tué, nous pourrions espérer le revoir encore.
- Croyez-vous, disait mademoiselle de Kerkabon, que notre belle-sœur ait été mangée par les Iroquois, comme on nous l’a dit ? Il est certain que si elle n’avait pas été mangée, elle serait revenir au pays. Je la pleurerai toute ma vie : c’était un femme charmante ; et notre frère, qui avait beaucoup d’esprit, aurait fait assurément une grande fortune. »
      Comme ils s’attendrissaient l’un et l’autre à ce souvenir, ils virent entrer dans la baie de Rance un petit bâtiment qui arrivait avec la marée : c’étaient des Anglais qui venaient vendre quelques denrées de leur pays. Ils sautèrent à terre, sans regarder monsieur le prieur ni mademoiselle sa sœur, qui fut très choquée du peu d’attention qu’on avait pour elle.
      Il n’en fut pas de même d’un jeune homme très bien fait qu’il s’élança s’un saut par-dessus la tête de ses compagnons, et se trouva vis-à-vis mademoiselle. Il lui fit un signe de tête, n’étant pas dans l’usage de faire la révérence. Sa figure et son ajustement attirèrent les regards du frère et de la sœur. Il était nu-tête et nu-jambes, les pieds chaussés de petites sandales, le chef orné de longs cheveux en tresses, un petit pourpoint qui serrait une taille fine et dégagée ; l’air martial et doux. Il tenait dans sa main une petite bouteille d’eau des Barbades, et dans l’autre une espèce de bourse dans laquelle était un gobelet et de très bon biscuit de mer. Il parlait français fort intelligiblement. Il présenta de son eau des Barbades à mademoiselle de Kerkabon et à monsieur son frère ; il en but avec eux ; il leur en fit reboire encore, et tout cela d’un air si simple et si naturel que le frère et la sœur en furent charmés. Ils lui offrirent leurs services, en lui demandant qui il était et où il allait. Le jeune homme leur répondit qu’il n’en savait rien, qu’il était curieux, qu’il avait voulu voir comment les côtes de France étaient faites, qu’il était venu, et allait s’en retourner.
      Monsieur le prieur, jugeant à son accent qu’il n’était pas Anglais, prit la liberté de lui demander de quel pays il était. « Je suis Huron », lui répondit le jeune homme.
      Mademoiselle de Kerkabon, étonnée et enchantée de voir un Huron qui lui avait fait des politesses, pria le jeune homme à souper ; il ne se fit pas prier deux fois, et tous trois allèrent de compagnie au prieuré de Notre-Dame de la Montagne.

Voltaire - extrait de l'Ingénu


Indien Huron
Indien Huron - par David Wright



Annonce des axes

I. L’incipit
1. La mise en place du récit
2. Un incipit annonciateur de la suite du récit
3. Eléments du conte

II. La présentation des personnages
1. Le Huron
2. Saint Dunstan et les Kerkabon

III. Les critiques de Voltaire
1. Critique de l’Eglise
2. Critique de la société



Commentaire littéraire

I. L’incipit

1. La mise en place du récit

- Présence de descriptions, à l’imparfait : « comme ils s’attendrissaient ».
- Où ? « baie de St Malo ».
- Quand ? « 1689, le 15 juillet au soir ».
- Qui ? les Kerkabon et le Huron.
- Quoi ? Rencontre entre un individu étrange et deux nobles : un prêtre et sa sœur.


2. Un incipit annonciateur de la suite du récit

- Mise en place de l’intrigue : arrivée du Huron au moment où les nobles se souviennent du frère.
- Date : 1689 = Louis XIV, monarchie absolue, pas de libertés individuelles, ni de liberté d’expression et 1685 = révocation de l’Edit de Nantes.
- Contraste entre les personnages.
     => Codes implicites.


3. Eléments du conte

- Le merveilleux : histoire de St Dunstan = fausse légende inventée par Voltaire.
- Situation initiale : promenade des Kerkabon.
- Elément perturbateur : arrivée du bateau.
- Provenance du Huron : de très loin, d’un pays inconnu.


II. La présentation des personnages

1. Le Huron

- Portrait physique : simple, coiffure, sandales, habits.
- Portrait moral : aimable, sociable, curieux.
- Insistance sur les traits qui le différencient de la société occidentale.
- Antithèse : « martial et doux » = imposant mais a l’air sympathique.


2. Saint Dunstan et les Kerkabon

- Saint Dunstan = personnage légendaire.
- Ironie : « saint de profession » (l.1) car il n’est pas possible de choisir et la sainteté accordée après la mort.
- Abbé de Kerkabon, un bénéficier (= qui reçoit de l’argent du tiers état et du roi), qualité présentée ironiquement : n’est pas soul « le seul » = hyperbole ; cultivé : lit St-Augustin (confessions) et Rabelais (XVIème, Gargantua, Pantagruel, humour et critique sur la religion notamment et morale épicurienne).
- Abbé présenté avec humour : métonymie = « s’amusait avec Rabelais », euphémisme = « déjà un peu sur l’âge », antithèse = « aimé de ses voisins, après l’avoir été autrefois de ses voisines ».
- Mlle de Kerkabon : euphémisme = « conservait de la fraîcheur pour son âge », gentille car pas seulement stricte dans sa morale : antithèse = « elle aimait le plaisir et était dévote ».
     => Les Kerkabon sont sympathiques, on apprend qu’ils ont un frère commun, mais ils sont naïfs.



III. Les critiques de Voltaire

1. Critique de l’Eglise

- Contradiction entre le discours et les actes : ivresse des repas ; bénéficier qui utilise l’argent des plus pauvres pour des excès ; contradiction « elle aimait le plaisir et était dévote ».
- Moquerie des légendes de l’Eglise irrationnelles avec St-Dunstan, « saint de profession ».


2. Critique de la société

- Manque d’ouverture, préjugés sur les Iroquois : « étonnée et enchantée de voir un Huron qui lui avait fait des politesses ».
- Opposition entre simplicité du Huron et complexité de la société européenne : « Le jeune homme leur répondit qu’il n’en savait rien, qu’il était curieux, qu’il avait voulu voir comment les côtes de France étaient faites, qu’il était venu, et allait s’en retourner », contact simple, sans souci d’étiquette…
- Egocentrisme de Mlle de Kerkabon : « très choquée du peu d’attention qu’on avait pour elle ».




Conclusion



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Merci à Mathilde pour cette analyse sur le Chapitre 1 de L'Ingénu de Voltaire