L’illusion Comique

Corneille - 1635

ACTE IV, scène 7






Plan de la fiche sur la scène 7 de l'Acte 4 de L’illusion comique de Corneille :
Introduction
Lecture de la scène 7 de l'acte 4
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Durant le XVIIème siècle, deux mouvements littéraires cohabitaient : le baroque et le classicisme. Le baroque est moins strict du point vue de l’écriture par rapport au classicisme : non respect des trois unités, de la bienséance et bien d’autres.

    Dans cette scène 7 de l'acte 4 de L'Illusion comique (1635) de Corneille (1606 - 1684), Clindor est en prison à cause de la mort d’Adraste. Ce dernier est désespéré, la mort est présente dans son esprit mais Isabelle aussi. Cette scène est un nouveau départ pour Clindor.

    En quoi ce monologue est-il tragique ou pathétique ?

Corneille
Corneille



Lecture de la scène 7 de l'acte 4

ACTE IV - SCENE 7


CLINDOR, en prison
Aimables souvenirs de mes chères délices,
Qu'on va bientôt changer en d'infâmes supplices,
Que malgré les horreurs de ce mortel effroi,
Vos charmants entretiens ont de douceurs pour moi !
Ne m'abandonnez point, soyez-moi plus fidèles
Que les rigueurs du sort ne se montrent cruelles ;
Et lorsque du trépas les plus noires couleurs
Viendront à mon esprit figurer mes malheurs,
Figurez aussitôt à mon âme interdite
Combien je fus heureux par delà mon mérite.
Lorsque je me plaindrai de leur sévérité,
Redites-moi l'excès de ma témérité :
Que d'un si haut dessein ma fortune incapable
Rendait ma flamme injuste, et mon espoir coupable ;
Que je fus criminel quand je devins amant,
Et que ma mort en est le juste châtiment.
Quel bonheur m'accompagne à la fin de ma vie !
Isabelle, je meurs pour vous avoir servie ;
Et de quelque tranchant que je souffre les coups,
Je meurs trop glorieux, puisque je meurs pour vous.
Hélas ! que je me flatte, et que j'ai d'artifice
A me dissimuler la honte d'un supplice !
En est-il de plus grand que de quitter ces yeux
Dont le fatal amour me rend si glorieux ?
L'ombre d'un meurtrier creuse ici ma ruine :
Il succomba vivant, et mort il m'assassine ;
Son nom fait contre moi ce que n'a pu son bras ;
Mille assassins nouveaux naissent de son trépas ;
Et je vois de son sang, fécond en perfidies,
S'élever contre moi des âmes plus hardies,
De qui les passions, s'armant d'autorité,
Font un meurtre public avec impunité.
Demain de mon courage on doit faire un grand crime,
Donner au déloyal ma tête pour victime ;
Et tous pour le pays prennent tant d'intérêt,
Qu'il ne m'est pas permis de douter de l'arrêt.
Ainsi de tous côtés ma perte était certaine :
J'ai repoussé la mort, je la reçois pour peine.
D'un péril évité je tombe en un nouveau,
Et des mains d'un rival en celles d'un bourreau.
Je frémis à penser à ma triste aventure ;
Dans le sein du repos je suis à la torture :
Au milieu de la nuit, et du temps du sommeil,
Je vois de mon trépas le honteux appareil ;
J'en ai devant les yeux les funestes ministres ;
On me lit du sénat les mandements sinistres ;
Je sors les fers aux pieds ; j'entends déjà le bruit
De l'amas insolent d'un peuple qui me suit ;
Je vois le lieu fatal où ma mort se prépare :
Là mon esprit se trouble, et ma raison s'égare ;
Je ne découvre rien qui m'ose secourir,
Et la peur de la mort me fait déjà mourir.
Isabelle, toi seule, en réveillant ma flamme,
Dissipes ces terreurs et rassures mon âme ;
Et sitôt que je pense à tes divins attraits,
Je vois évanouir ces infâmes portraits.
Quelques rudes assauts que le malheur me livre,
Garde mon souvenir, et je croirai revivre.
Mais d'où vient que de nuit on ouvre ma prison ?
Ami, que viens-tu faire ici hors de saison ?

L’illusion Comique - Corneille - Acte IV, scène VII




Annonce des axes

I. L'exécution imminente
1. L'obsession de la mort
2. Une condamnation injuste
3. La description vivante de sa mort

II. Un monologue d'amour
1. Un amour héroïque
2. Son amour pour Isabelle le console



Note sur le monologue dans le théâtre

C’est le discours d’une personne qui est ou se croit seule sur scène. Il a longtemps eu la fonction de faire connaître le personnage de l’intérieur. Ce procédé est artificiel mais utile. L’aspect invraisemblable est réduit quand le personnage est placé dans un état émotionnel intense. Il prend l’allure d’un dialogue fictif avec soi-même, avec un personnage fictif ou absent, avec un objet ou avec un sentiment.
Exemple : Clindor apostrophe Isabelle (procédé rhétorique).



Commentaire littéraire

I. L'exécution imminente

1. L'obsession de la mort

Le champ lexical de la mort est dominant (« mortel effroi », « trépas », « noires couleurs », « mort », « fin de ma vie », « assassine », etc.).
Le champ lexical de la peur est aussi présent (« mortel effroi », « frémis », « la peur de la mort », « terreurs » etc.).

L'oxymore « les plus noires couleurs » représente les idées négatives liées à la mort et le superlatif insiste sur cette idée.

=> Clindor est obsédé par sa mort imminente.

Les antithèses « Il succomba vivant, et mort il m'assassine », « Mille assassins nouveaux naissent de son trépas » montrent le ressentiment de Clindor envers Adraste car Clindor est en prison à cause de lui. Dans ce dernier vers, on peut noter une allitération en [s] qui exprime le danger. Clindor pense qu’Adraste se venge même après sa mort.


2. Une condamnation injuste

Aux vers 1269 et 1270, Clindor oppose son courage au fait qu’il soit pris en victime, il remet en question ses motivations : « Demain de mon courage, ils doivent faire un crime, / Donner au déloyal ma tête pour victime ». Le balancement de l’alexandrin et la coupure à l’hémistiche met en évidence son innocence et condamne le caractère déloyal de sa condamnation.


3. La description vivante de sa mort

Clindor utilise le présent de vérité générale et de description pour décrire comment il imagine son exécution (prolepse) : « Je vois de mon trépas le honteux appareil ». Il vit en imagination toutes les étapes de sa mort, et cela l'effraie « Là mon esprit se trouble, et ma raison s'égare ».

Le procédé d’hypotypose (décrire une scène de manière si frappante, qu'on croit la vivre) permet de décrire très précisément et de rendre la mort de Clindor plus vivante.

Il s'agit d'un cauchemar (« Dans le sein du repos je suis à la torture : / Au milieu de la nuit, et du temps du sommeil ») mais qui révèle la vérité à venir.

On voit l’honnêteté du personnage car petit à petit, il prend conscience qu’il a réellement peur. C’est quand même un meurtrier (« crime »). Il y a la construction d’une tension épique due à l’hyperbole « mille assassins ».

Le personnage vient de vivre une mort fictive, il y a donc une nouvelle illusion : l’illusion de la mort. Le héros devient un personnage qui par son imagination est plus authentique et plus humain. Le monologue met en évidence le parcours de Clindor face à la mort.

On était donc parti d’un personnage qui déguise la honte et la peur de la mort par l’amour pour arriver à un personnage qui prend conscience de la peur : « Et la peur de la mort me fait déjà mourir » (vers 1288). Clindor met en avant ce qu’il ressent, et, de cette manière, crée une intensité dramatique. Finalement, son imagination va lui montrer quelqu’un de lâche donc ce n’est pas un héros, et de la même façon, ce n’est pas une tragédie. Il bascule vers un héros qui n’est pas un héros tragique et le personnage devient humain.

Il y a beaucoup d’assonances et d’allitérations, surtout au moment où il se représente son exécution ce qui crée une amplification du rythme : allitération en [t] au vers 1273 (« Ainsi de tous côtés ma perte était certaine »), assonances en [i].
Il y a de nombreuses hyperboles (« main fatale »), antithèses (exemple : « Dans le sein du repos je suis à la torture »).

Transition : Clindor est obsédé par la mort mais il prend conscience de celle qu’il aime et garde espoir.


II. Un monologue d'amour

1. Un amour héroïque

Clindor pense à son amour pour Isabelle et y trouve un certain bonheur dans le début du monologue : « Aimables souvenirs de mes chères délices ».

Clindor se place au service de l’amour. Tel Rodrigue dans Le Cid, il emploie un langage héroïque : « je meurs » (3 fois), « trop glorieux », « fatal amour qui me rend si glorieux » ; mais dans une autre destination : pour Clindor, le langage héroïque se met au service de l’amour, tandis que pour Rodrigue, il se place au service de l’honneur.

Le parallélisme (« Je meurs trop glorieux, puisque je meurs pour vous » vers 1256) montre que Clindor dédie sa mort à Isabelle.


2. Son amour pour Isabelle le console

Isabelle devient l’interlocutrice de Clindor (« Isabelle, je meurs pour vous avoir servie » vers 1254)

Au vers 1289 (« Isabelle, toi seule »…), on retourne à Isabelle. Clindor utilise le vocatif, ou plutôt un présent jussif à fonction impérative. Le seul moyen d’éviter la souffrance est de garder l’image d’Isabelle et qu’elle le garde en souvenir.
« Dissipes ces terreurs et rassures mon âme » (vers 1290) : Isabelle est invoquée pour chasser ses visions négatives.

Le verbe « revivre » montre que Clindor avait atteint un moment où il avait senti la mort très proche. On passe dans le registre lyrique.

Le ton est pathétique lorsqu’il exprime sa peur et sa souffrance en appelant Isabelle.

L’image de la mort est encadrée par la vision apaisante de la femme aimée qui lui donne un espoir de vivre dans la mémoire. On passe d’un discours héroïque dépourvu de sincérité où le langage est perverti (comédie) à un passage où le faux héroïsme a disparu et où l’expression d’un sentiment apparaît. Grâce à isabelle, Clindor acquiert un certain espoir de renaître grâce à la mémoire.





Conclusion

    Clindor est d’abord présenté comme un séducteur volage capable de servir un maître fanfaron et conscient de cette servitude. Dans ce monologue, Clindor change d’image, il se place en héros au service de l’amour ; mais la proximité de l’exécution le renvoie à sa peur de la mort.
    Cette scène 7 de l'acte 4 de L'illusion comique est pathétique car Clindor prend conscience de son amour pour Isabelle alors qu’il est proche de la fin. Parce que le monologue est encadré par deux apostrophes à Isabelle, le personnage s’inscrit dans un mouvement dramatique puisque engagé dans un dialogue fictif avec un personnage absent et qu’il se laisse aller à l’imaginaire.
    On peut se demander si ce passage n’est pas l’un des plus importants de l’œuvre et s’il n'opère pas un changement sur le comportement de Clindor par la suite ?

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur la scène 7 de l'Acte 4 de L’illusion comique de Corneille