Histoire de ma vie

George Sand - 1855

La condition des femmes

De "En méditant Montaigne dans le jardin d'Ormesson…" à "…constituer une infériorité morale ?"




Introduction

    George Sand (1804 - 1876), de son vrai nom Aurore Dupin, naît à Paris le 1er juillet 1804. Elle étudie les sciences et le latin tout en menant une vie champêtre qui inspirera plusieurs de ses grandes œuvres. Dès ses premiers écrits, elle s'inspire du nom de son amant, Jules Sandeau, pour prendre le pseudonyme de George Sand. Côtoyant les grandes plumes de l'époque, elle publie l'un de ses premiers romans, Indiana, en mai 1832, puis Valentine, la même année. Elle y défend ardemment le droit à la passion des femmes et s'oppose à toutes les oppressions dont elles sont victimes. Très vite, les talents de la jeune écrivaine sont reconnus, notamment par Sainte-Beuve et Chateaubriand. Auteur prolifique, George Sand écrira jusqu'à son dernier souffle. Après s'être consacrée quelques temps au théâtre, George Sand entreprend la rédaction de son autobiographie, Histoire de ma vie (1854-1855).


Lecture de l'extrait

    En méditant Montaigne dans le jardin d'Ormesson1, je m'étais souvent sentie humiliée d'être femme, et j'avoue que dans toute lecture d'enseignement philosophique, même dans les livres saints, cette infériorité morale attribuée à la femme a révolté mon jeune orgueil. « Mais cela est faux ! M'écriais-je ; cette ineptie et cette frivolité que vous nous jetez à la figure, c'est le résultat de la mauvaise éducation à laquelle vous nous avez condamnées, et vous aggravez le mal en le constatant. Placez-nous dans de meilleures conditions, placez-y les hommes aussi ; faites qu'ils soient purs, sérieux et forts de volonté, et vous verrez bien que nos âmes sont sorties semblables des mains du créateur. »
    Puis, m'interrogeant moi-même et me rendant bien compte des alternatives de langueur et d'énergie, c'est-à-dire de l'irrégularité de mon organisation essentiellement féminine, je voyais bien qu'une éducation rendue un peu différente de celle des autres femmes par des circonstances fortuites2 avait modifié mon être ; que mes petits os s'étaient endurcis à la fatigue, ou bien que ma volonté, développée par les théories stoïciennes de Deschartres3 d'une part et les mortifications4 chrétiennes de l'autre, s'était habituée à dominer souvent les défaillances de la nature. Je sentais bien aussi que la stupide vanité des parures, pas plus que l'impur désir de plaire à tous les hommes, n'avaient de prise sur mon esprit, formé au mépris de ces choses par les leçons et les exemples de ma grand-mère. Je n'étais donc pas tout à fait une femme comme celles que censurent et raillent les moralistes ; j'avais dans l'âme l'enthousiasme du beau, la soif du vrai, et pourtant j'étais bien une femme comme toutes les autres, souffreteuse, nerveuse, dominée par l'imagination, puérilement accessible aux attendrissements et aux inquiétudes de la maternité. Cela devait-il me reléguer à un rang secondaire dans la création et dans la famille ? Cela étant réglé par la société, j'avais encore la force de m'y soumettre patiemment ou gaiement. Quel homme m'eût donné l'exemple de ce secret héroïsme qui n'avait que Dieu pour confident des protestations de la dignité méconnue ?
    Que la femme soit différente de l'homme, que le cœur et l'esprit aient un sexe, je n'en doute pas. Le contraire fera toujours exception ; même en supposant que notre éducation fasse les progrès nécessaire (je ne la voudrais pas semblable à celle des hommes), la femme sera toujours plus artiste et plus poète dans sa vie, l'homme le sera toujours plus dans son œuvre. Mais cette différence, essentielle pour l'harmonie des choses et pour les charmes les plus élevés de l'amour, doit-elle constituer une infériorité morale ?

George Sand, Histoire de ma vie, IV, 13, 1855

1 ville d'Ormesson (Val-de-Marne)
2 fortuites = dues au hasard
3 précepteur du père de George Sand.
4 mortification = pratique religieuse consistant à s'imposer une souffrance



Commentaire littéraire

I. George Sand constate et conteste la prétendue infériorité morale des femmes dans une démonstration habilement construite

Une sensation d'infériorité en tant que femme, champs lexical de l'infériorité, impression que la femme est un personnage passif et sans réflexion, uniquement guidée par ses sentiments : « humilié d'être femme », « infériorité morale », « cette frivolité », « à dominer », « dominée par l'imagination », « puérilement » -> idée que la femme est un enfant, « de m'y soumettre », « une infériorité » -> idée d'un rapport de force dominant/dominé entre les hommes et les femmes.
George Sand estime qu' une mauvaise éducation est donnée aux femmes. Développement de la thèse dans le 2ème paragraphe -> les femmes ont besoin d'une meilleure éducation.
Critique des hommes et mentions des actions des hommes ayant des conséquences sur les femmes : « vous nous jetez à la figure », « vous nous avez condamnées... en le constatant », « placez-y... des mains du Créateur » -> allusion à Dieu, « l'impur désir de plaire à tous les hommes », « quel homme... la dignité méconnue ? », « que la femme soit... je n'en doute pas » -> concession, « je ne la voudrais pas semblable à celle des hommes », « l'homme le sera toujours plus dans son œuvre ».
George Sand utilise de l'impératif pour interpeller le lecteur « placez », « faites ». Elle utilise le discours direct pour rendre le récit plus percutant, plus vivant.
George Sand fait une critique implicite des hommes : « faites qu'ils soient purs, sérieux et forts de volonté » -> elle sous-entend donc qu'ils ne le sont pas.
Rapport homme/femme : « plaire », « la famille », « la création », « l'harmonie ».
« j'avais dans l'âme l'enthousiasme du beau, la soif du vrai, et pourtant j'étais bien une femme comme toutes les autres » -> l'utilisation de l'adverbe de relation logique « pourtant » dresse un portrait terrible des femmes de son époque qui, selon la pensée commune de cette époque, ne pourraient pas apprécier le « beau » ou le « vrai » -> constat terrible sur la condition des femmes.


II. George Sand se sert de sa propre vie comme illustration de son propos et implique le lecteur dans la réflexion qu'elle développe

Le texte est autobiographique -> texte subjectif, à la première personne du singulier, importance de la présence du « je » et du « nous » qui désigne les autres femmes.
Importance des pronoms à la première personne du singulier « ma », et première personne du pluriel, puisque Georges Sand se fait la porte-parole de toutes les femmes.
George Sand donne des exemples, exprime ses sentiments personnels.
L'opposition « langueur » / « énergie » au début du deuxième paragraphe souligne le caractère cyclique de la femme.
Le texte contient de nombreuses interrogations, cela permet d'interpeller, d'impliquer le lecteur et rend le texte plus vivant.
Alternance entre persuader et convaincre.
Le texte est construit comme une véritable argumentation logique : 3 paragraphes, 3 étapes, 3 mots de liaison : gérondif « En méditant », « Puis », « Que ».
« En méditant » -> montre que George Sand est un être en réflexion, un esprit en action.
Deuxième paragraphe -> verbes au passé, récit d'expérience.
Propre expérience de George Sand : elle a reçu une éducation différente des autres femmes car élevée par le même précepteur que son frère -> « d'enseignement philosophique », « de la mauvaise éducation », « qu'une éducation », « des circonstances fortuites », «  les théories stoïciennes de Deschartes », « les leçons », « mon esprit ».
George Sand est une femme révolté -> discours direct, phrase exclamative, « m'écriais-je ».
Paradoxe entre son éducation et sa nature même de femme.




Conclusion

    Dans cet extrait de son autobiographie, George Sand met en avant les défauts de la société française du 19ème siècle, notamment pour l'égalité au niveau de l'éducation entre les hommes et les femmes, ce qui place les femmes comme des êtres qui doivent être soumis aux hommes. Pour appuyer son propos, elle se sert donc de sa propre expérience où elle montre ce que peut devenir une femme si cette dernière possède une bonne éducation.

    Ouverture : « Femmes, soyez-soumises à vos maris » de Voltaire.
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Merci à Marie pour cette fiche sur Histoire de ma vie de George Sand