Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage

Joachim du Bellay - Les Regrets (1558)



Plan de la fiche sur Heureux qui, comme Ulysse de Joachim du Bellay :
Introduction
Texte du poème
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Joachim du Bellay est un poète français né en 1522 à Liré en Anjou, et mort en 1560 à Paris. Sa rencontre avec Pierre de Ronsard fut à l'origine de la formation de la Pléiade, groupe de poètes reconnus. De 1553 à 1557, il devient secrétaire du cardinal Jean du Bellay, cousin de son père et célèbre diplomate, avec qui il partira pour Rome. Le poète découvre alors la ville mythique de l'Antiquité, qui n'est plus que ruines, faste et débauche. Le regret s'empare du poète, sentiment qui lui inspirera ses plus belles pages. Heureux qui, qui comme Ulysse, a fait un beau voyage est un sonnet (forme poétique fixe née en Italie au tout début de la Renaissance, c’est-à-dire à la fin du XVème siècle, et composée de deux quatrains et deux tercets) mélancolique (la mélancolie était à la mode au XVIème siècle). Quelle est la raison de cette mélancolie ? Certainement le mal du pays Natal, éloge de ce qui le rend malheureux (le voyage).


Texte du poème


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Le Crapaud

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur angevine.

Joachim du Bellay, Les Regrets


Joachim du Bellay
Joachim du Bellay


Annonce des axes

I. Un poème mélancolique
1. Lamentation
2. Le regret du foyer natal

II. Critique de Rome au profit du pays natal


Commentaire littéraire

I. Un poème mélancolique

1. Lamentation

Deuxième quatrain : "Hélas !" -> expression d'une souffrance, terme qui allonge le son "s" -> soupir + point d'exclamation qui exprime l'émotion. Terme placé à la fin du premier hémistiche : donne une sorte de silence et montre une certaine douleur.
Le deuxième quatrain est une longue interrogation qui commence par le futur (normalement futur = certitude, mais avec forme interrogative = doute, incertitude qui renvoie à un certain mal-être). Le poète doute de revoir un jour son village natal -> pathétique voir même tragique.
L'expression "reverrai-je" est répétée dans la strophe : lamento (chant de lamentation) + enjambement (continuité) = longue lamentation.
Régularité dans le rythme du poème -> mélancolie -> tristesse rampante
Le découpage des alexandrins est un peu brouillé, enjambement brouille le découpage = déstabilisation du personnage.
Sonorités en [s] et [z] -> allitération "Hélas" "saison" "maison" -> souffrance
[i] -> "petit" "village" "cheminée" -> tristesse
 [l] -> "village" "Hélas" et [on] -> "maison", "saison" -> nasale qui exprime souvent la tristesse
 La mélancolie est très présente dans le poème.


2. Le regret du foyer natal

Ce sonnet s’ouvre sur deux vers qui présentent deux grands voyageurs de la mythologie grecque : Ulysse et Jason (celui qui a conquis la toison d’or). Ulysse est le héros de l’Odyssée d’Homère, tandis que Jason a participé à l’expédition des Argonautes, partis à la conquête de la toison d’or. Ces deux personnages évoquent le voyage.
Champ lexical -> "petit", "pauvres" puis "maison", "cheminée", "clos" = modestie, humilité
 La maison doit être vue ici sous un aspect sentimental plutôt que matériel = son entourage, sa vie tranquille en Anjou .
 "fumer la cheminée" -> impression qu'une seule cheminée pour tout le village = intimité et union du village
 "de mon petit village fumer la cheminée" -> mauvais ordre -> antéposition par rapport à cheminée -> mise en valeur de "petit village" traduisant l'affectif
 Au XVIème siècle, il y a beaucoup de différences sociales bourgeois / campagnard.
 Du Bellay inverse les conventions : il préfère son terroir à la ville.
 "mon", "ma", "mes", "m'"-> adjectifs possessifs -> affectif
 "beaucoup davantage" -> laisse rêver.


II. Critique de Rome au profit du pays natal

Le premier et deuxième tercet dressent une comparaison -> vers 9, 11, 12, 13 "plus que", vers 14 "Et" récapitulation. Les tercets se présentent comme une série d’oppositions brèves, rythmées par la répétition de "plus que", dont les deux éléments sont tantôt dissociés, tantôt réunis, pour introduire une légère variation. La rapidité de ces oppositions contrastant avec l’ampleur des quatrains donne le sentiment d’une précipitation et d’une accélération du rythme.
Opposition de 2 modes d'existence -> génère une certaine colère -> critique de Rome (Rome païenne)
- Palais = richesse, univers public, spacieux, brillant, Rome (civilisation) différent de "séjour"-> privé (famille), modeste
 - audacieux (doit se prononcer "audac-i-eux" pour que l’alexandrin fasse bien 12 syllabes) -> prend ici le sens de orgueilleux
 - "marbre dur" (Romains durs) comparé à fine ardoise -> fragile -> humaine en comparaison aux Romains qui sont donc présentés comme inhumains
 "dur", "latin", "palatin -> masculin comparé à "douceur", "fine" "angevine" -> féminin
 - Liré -> inconnu -> obscurité intime / "mont Palatin"-> connu
 - "air marin" (qualifie Rome car la ville est proche de la mer) -> salé rude / air angevin -> "douceur"
Critique de Rome au profit de son pays natal
Vers 9 "aïeux" fidèle au passé, aux racines
Vers 11 "gaulois" -> pays, patrie, régionalisme différent de Rome, universaliste, qui veut tout posséder.
Revendication patriotique contre envahissement de l'Italie, peut-être même nationaliste (avant on se sentait chrétien mais après on se sentait plus français).
Triste voyage à Rome (exil à Rome) différent de "heureux", "beau voyage", "usage et raison" -> expérience mène à la sagesse, voyage = leçon de vie
Il n'aurait pas mis autant de valeur à son pays natal si il n'était pas partit.
Exil, souffrance -> sagesse -> humanisme
Comme Ulysse qui fait un long voyage spirituel, quand il revient chez lui après un long voyage douloureux il a un cœur profond, il revient sage. "retourné, plein d'usage et raison" : le voyage enrichit l'âme.
"Le reste de son âge" -> on est sage quand on a vécu, quand on a grandit.




Conclusion

    Heureux qui, qui comme Ulysse, a fait un beau voyage parle en fait, au delà de la simple expérience autobiographique de Du Bellay, de la vie en général. Pour Du Bellay, la vie est un trajet, un voyage. Il parle de ses sentiments personnels, mais, en même temps, il donne une leçon spirituelle, celle de la vie de l’âme à travers le grand voyage que tous les hommes connaissent. En cela, il est bien un humaniste. C'est le poème le plus célèbre de Du Bellay. Précurseur de la poésie moderne. Poème = étendard revendiquant une révolte contre l'impérialisme Romain.




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