Gargantua

François Rabelais, 1534

L'abbaye de Thélème - Chapitre 57





Plan de la fiche sur le chapitre 57 de Gargantua (l'abbaye de Thélème) de Rabelais :
Introduction
Texte du chapitre 57
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

Ce texte est extrait de l'œuvre Gargantua de Rabelais, publié en 1534. Rabelais se situe dans le courant humaniste qui se développe en Europe au XVème siècle, et se réfère aux textes antiques des Grecs et des Romains anciens.
Nous sommes à la fin de la guerre Picrochole-Gargantua et pour récompenser frère Jean de sa lutte contre Picrochole, Gargantua fonde une abbaye nommée "Thélème". Elle est basée sur l'architecture du château de Chambord.

Ainsi dans le chapitre 57 qui constitue l'épilogue de Gargantua, Rabelais qui a lui-même été moine donne sa vision d'une abbaye idéale et utopique.

Rabelais
François Rabelais


Texte du chapitre 57


Télécharger cet extrait de Gargantua sur l'abbaye de Thélème en version audio (clic droit - "enregistrer sous...")
Lu par Pomme - source : litteratureaudio.com


Gargantua - Chapitre 57


    Toute leur vie était employée, non par lois, statuts ou règles, mais selon leur vouloir et franc arbitre. Se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur venait. Nul ne les éveillait, nul ne les parforçait ni à boire, ni à manger ni à faire chose autre quelconque. Ainsi l'avait établi Gargantua.
    En leur règle n'était que cette clause :
Fais ce que voudras,

    parce que gens libères, bien nés, bien instruits, conversant en compagnies honnêtes, ont par nature un instinct et aiguillon qui toujours les pousse à faits vertueux et retire de vice, lequel ils nommaient honneur. Iceux, quand par vile subjection et contrainte sont déprimés et asservis, détournent la noble affection, par laquelle à vertu franchement il tendaient, à déposer et enfreindre ce joug de servitude, car nous entreprenons toujours choses défendues et convoitons ce qui nous est dénié.
    Par cette liberté, entrèrent en louable émulation de faire tous ce qu'à un seul voyaient plaire. Si quelqu'un ou quelqu'une disait : " Buvons ", tous buvaient. Si disait : " Jouons ", tous jouaient. Si disait : " Allons à l'ébat ès champs ", tous y allaient. Si c'était pour voler ou chasser, les dames, montées sur belles haquenées, avec leur palefroi gourrier sur le point mignonnement engantelé portaient chacune ou un épervier ou un laneret, ou un émerillon ; les hommes portaient les autres oiseaux.
    Tant noblement étaient appris qu'il n'était entre eux celui ni celle qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d'instruments harmonieux, parler de cinq à six langages, et en iceux composer, tant en carme qu'en oraison solue. Jamais ne furent vus chevaliers tant preux, tant galants, tant dextres à pied et à cheval, plus verts, mieux remuant, mieux maniant tous bâtons, que là étaient. Jamais ne furent vues dames tant propres, tant mignonnes, moins fâcheuses, plus doctes à la main, à l'aiguille, à tout acte mulièbre honnête et libère, que là étaient. Par cette raison quand le temps venu était que aucun d'icelle abbaye, ou à la requête de ses parents, ou pour autre cause, voulût issir hors, avec soi il emmenait une des dames, celle laquelle l'aurait pris pour son dévot et étaient ensemble mariés ; et si bien avaient vécu à Thélème en dévotion et amitié, encore mieux la continuaient-ils en mariage ; d'autant s'entr'aimaient-ils à la fin de leurs jours comme le premier de leurs noces.



Annonce des axes

I. L'éloge de l'abbaye de Thélème
1. Une population hors-norme
2. L'éloge fait par Rabelais

II. Un abbaye contraire aux autres abbayes
1. Une population différente de celle d'une abbaye classique
2. Une abbaye sans contraintes
3. L'amour possible et idéalisé

III. La vie idéale dans l'abbaye de Thélème
1. Une utopie
2. Mais qui a ses limites



Commentaire littéraire

I. L'éloge de l’abbaye de Thélème

1. Une population hors-norme

Des hommes et des femmes, il y a des couples possibles à leur sortie de ce lieu.
- Origine noble, c’est une élite de la société "bien nés".
- Excellente éducation "bien construit" -> importance de l’éducation pour vivre dans cette abbaye.
- Les Thélémites possèdent des qualités sociales "conversant en compagnie honnête".
Ces qualités s’expriment dans la vie de chaque jour, le groupe suit la décision de l’individu = émulation avec les "si" -> antithèse entre tous.
- Ils ont des connaissances dans divers domaines, ce sont des humanistes.
- Ils sont des activités raffinées comme par exemple : chasse "lire, écrire, chanter, jouer d'instruments harmonieux, parler de cinq à six langages" -> Enumération de compétences, chaque compétence paraît supérieure à la précédente => Rabelais insiste sur la très bonne éducation des Thélémites.
- Mais ils ont également des activités plus triviales : "ébat aux champs", "boire".
Et activités communes aux hommes et aux femmes = récurrence de "portaient".
- Il y a des loisirs spécifiques : les hommes = les armes et les chevaux.
Les femmes = la couture.
- Ces qualités s’expriment aussi hors de l’abbaye, dernier paragraphe le chevalier devient "le dévot de sa dame". L’homme lui démontre un total dévouement, il se consacre à elle, il lui voue sa vie.
- Les Thélèmists ont "par nature"  le sens de l’honneur et de la responsabilité.


2. L'éloge fait par Rabelais

Rabelais veut montrer cette abbaye d'une façon idéalisée.
Ainsi, il utilise un vocabulaire mélioratif.
Utilisation de nombreuses anaphores pour montrer la qualité des Thélémites : "Jamais ne furent vus" répété deux fois, "tant"...
La population est idéale : Les hommes sont courageux, les femmes sont belles.



II. Un abbaye contraire aux autres abbayes

1. Une population différente de celle d'une abbaye classique

L'abbaye de Thélème est idéale, mais ses règles sont très différentes de celles d'une abbaye classique.

L'abbaye est peuplée d'homme et de femmes.
Toutes les personnes sont égales, il n'y a pas d'obéissance.


2. Une abbaye sans contraintes

- L'abbaye n'est pas dirigée par un supérieur, il n'y a pas d'horaires stricts et de règlement précis ("Se levaient du lit quand bon leur semblait"...).
- Il n'y a pas de tenue imposée.
- Les Thélémites peuvent sortir quand ils le veulent de l'abbaye de Thélème, au contraire de moines d'une vraie abbaye.

Abbaye traditionnelle = contrainte / Abbaye de Thélème = liberté

On remarque un paradoxe avec les autres monastères car l'obéissance à autrui et l'abdication de la volonté propre est le premier fondement de la société monastique.

Cette abbaye semble n'avoir aucne contrainte liée au culte de Dieu (pas de prière...).


3. L'amour possible et idéalisé

Les Thélémites peuvent se marier, et leur amour sera éternel : "s'entr'aimaient-ils à la fin de leurs jours comme le premier de leurs noces."


Ainsi, en montrant une abbaye idéalisée, Rabelais fait la critique des autres abbayes.


III. La vie idéale dans l'abbaye de Thélème

1. Une utopie

Dès la première phrase, le mode de vie semble une utopie : pas de loi, et possibilité pour chacun d'agir selon son "vouloir et franc arbitre".

" Thélème " signifie volonté livre. La vie dans Thélème se base sur une devise : "fais ce que voudras", mise en valeur par la mise en forme centrale -> liberté totale illimitée dans le temps "toute leur vie".
- Cette liberté s’exprime dans la vie quotidienne : imparfait d’habitude au premier paragraphe
- emploi des formes négatives + anaphore de "nul ne les" pour montrer que personne ne contraint les habitants de l'abbaye.
C’est grâce à la vertu que les habitants de l'abbaye peuvent rester en harmonie : aucun désordre (entente parfaite).
La vertu l’emporte sur le vice.

Point de vue humaniste de Rabelais : si les hommes n'ont pas de contrainte, alors ils vont s'incliner naturellement vers la vertu et peuvent aisinsi en communauté sans lois et selon leur bon vouloir.


2. Mais qui a ses limites

L'abbaye est réservée à une élite : "gens libères, bien nés, bien instruits, conversant en compagnies honnêtes", car Rabelais indique que cette élite a la capacité de vivre ensemble, sans céder au vice qui pourrait mettre la communauté en danger.

La communauté est obligée de se soumettre aux désirs de chacun : "faire tous ce qu'à un seul voyaient plaire". Ainsi si un Thélémite a une envie, tous doivent la suivre.
=> Remise en question du libre arbitre !

Le mode de vie des Thélémites se base sur la totale liberté des faits et gestes de chacun, si un des Thélémites contrarie cette dernière alors le système s’écroule. C’est pour cela que Rabelais rappelle l’importance de l’éducation dans son fragile système.





Conclusion

    L'abbaye de Thélème proposée par Rabelais au travers de Gargantua permet çà Rabelais de dresser une critique de la religion. Il affirme également ses aspirations humanistes avec cette abbaye sans contraintes dans laquelle la vertu des Thélémites permet une vie harmonieuse en communauté.
    Pourtant, à y regarder de plus près, cette vie a aussi ses contraintes (subir les désirs des autres), et elle est réservée à une élite bien éduquée.


Question possible

Justifier l’écriture de ce texte par Rabelais.
- Un lien avec sa propre vie de moine par son expérience personnel.
- Il fait une critique de l’église catholique de son organisation.
- Une critique de la noblesse du XVIème siècle qui passe son temps dans l’oisiveté, les plaisirs (peu d’illusion de travail dans le texte).
- Critique des courtisans de François Premier qui l’accompagnent dans les châteaux de la Loire.
- Texte situé à la fin de Gargantua : une conclusion qui rappelle les idées de l’humaniste Rabelais. Confiance totale en la nature humaine, pas question d’admettre des notions de pêché originel.

Retourner à la page sur Gargantua - Rabelais !
Retourner à la page sur l'oral du bac de français 2025 !
Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse du chapitre 57 (abbaye de Thélème) de Gargantua de Rabelais