La Fortune des Rougon

Emile Zola - 1870

Extrait du chapitre 5

De "Elle allait se retirer..." à "...des larmes d'argent."




Plan de la fiche sur un extrait de La Fortune des Rougon de Emile Zola :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

Situation du passage :
Ce passage se situe dans le chapitre 5 de La Fortune des Rougon, de Emile Zola, qui est centré autour du couple Miette et Silvère et de la colonne des insurgés. Ce chapitre se terminera par la mort de Miette. Dans cet extrait, Miette et Silvère se séparent des insurgés pendant la nuit, Miette s'endort et Silvère se remémore les premiers jours de leurs amours dans un long retour en arrière.
Les deux jeunes gens habitent de part et d'autre d'un mur qui les sépare. D'un côté, l'ancienne maison de Macquart où vit Adélaïde et Silvère, et de l'autre, le Jas-Meiffren dans laquelle habite Miette et qui était l'ex-propriété d'Adélaïde.
Jusqu'à présent Miette et Silvère se voyaient par le puits mitoyen avec le reflet de l'eau. Pour la première fois, ils vont se rencontrer et se voir sans aucun intermédiaire. Cette porte ouverte par Silvère avait été ouverte par Macquart pour qu'Adélaïde puisse retrouver son amant. Cette ouverture avait scandalisé tout Plassans.

Intérêt du passage :
Présenter un aspect de l'amour entre Miette et Silvère. Montrer la valeur symbolique du mur et enfin révéler une nouvelle fois la folie d' Adélaïde.


Emile Zola



Texte étudié

    Elle allait se retirer, fermer la porte maudite, sans chercher même à connaître la main qui l’avait violée, lorsqu’elle aperçut Miette et Silvère. La vue des deux enfants amoureux qui attendaient son regard, confus, la tête baissée, la retint sur le seuil, prise d’une douleur plus vive. Elle comprenait maintenant. Jusqu’au bout, elle devait se retrouver, elle et Macquart, aux bras l’un de l’autre, dans la claire matinée. Une seconde fois, la porte était complice. Par où l’amour avait passé, l’amour passait de nouveau. C’était l’éternel recommencement, avec ses joies présentes et ses larmes futures. Tante Dide ne vit que les larmes, et elle eut comme un pressentiment rapide qui lui montra les deux enfants saignants, frappés au cœur. Toute secouée par le souvenir des souffrances de sa vie, que ce lieu venait de réveiller en elle, elle pleura son cher Silvère. Elle seule était coupable ; si elle n’avait pas jadis troué la muraille, Silvère ne serait point dans ce coin perdu, aux pieds d’une fille, à se griser d’un bonheur qui irrite la mort et la rend jalouse.
    Au bout d’un silence, elle vint, sans dire un mot, prendre le jeune homme par la main. Peut-être les eût-elle laissés là à jaser au pied du mur, si elle ne s’était sentie complice de ces douceurs mortelles. Comme elle rentrait avec Silvère, elle se retourna, en entendant le pas léger de Miette qui s’était hâtée de reprendre sa cruche et de fuir à travers le chaume. Elle courait follement, heureuse d’en être quitte à si bon marché. Tante Dide eut un sourire involontaire, à la voir traverser le champ comme une chèvre échappée.
    — Elle est bien jeune, murmura-t-elle. Elle a le temps.
    Sans doute, elle voulait dire que Miette avait le temps de souffrir et de pleurer. Puis, reportant ses yeux sur Silvère, qui avait suivi avec extase la course de l’enfant dans le soleil limpide, elle ajouta simplement :
    — Prends garde, mon garçon, on en meurt.

    Ce furent les seules paroles qu’elle prononça en cette aventure, qui remua toutes les douleurs endormies au fond de son être. Elle s’était fait une religion du silence. Quand Silvère fut rentré, elle feutra la porte à double tour et jeta la clef dans le puits. Elle était certaine, de cette façon, que la porte ne la rendrait plus complice. Elle revint l’examiner un instant, heureuse de lui voir reprendre son air sombre et immuable. La tombe était refermée, la trouée blanche se trouvait à jamais bouchée par ces quelques planches noires d’humidité, vertes de mousse, sur lesquelles les escargots avaient pleuré des larmes d’argent.

Emile Zola, LA FORTUNE DES ROUGON, extrait du chapitre V (1870)



Annonce des axes

I. Les amours enfantines de Miette et Silvère
1. Une idylle touchante
2. Le bonheur de Miette et Silvère est fragile et promis à la mort

II. La valeur symbolique de la porte
1. La porte est au centre du texte
2. La porte a une valeur symbolique

III. Adélaïde et le temps
1. Souffrance et mémoire
2. Adélaïde identifie passé et présent



Commentaire littéraire

I. Les amours enfantines de Miette et Silvère

1. Une idylle touchante

- Jeunesse des deux héros :

Le terme enfant est reprit plusieurs fois et cette idée est reprise par Adélaïde "elle est bien jeune". Ils sont naïfs, purs, chastes, ils sont amoureux.

- Cet amour a une référence littéraire : Daphnis et Chloé roman de Longus II s Ap. JC :

=> p 215 "on retrouve encore parfois les amours primitives des anciens grecs". Ce roman grec raconte les amours de deux jeunes gens dans la campagne grec. Ils sont tous deux bergers et vivent dans la nature d'où les références à la nature : "chaume", "champ", "chèvre échappée" (berger dans D et C).
=> Ces amours sont liées à un lieu particulier et aussi à un temps particulier : l'éternel retour (temps cyclique différent de temps historique) : "une seconde fois", "l'amour passait de nouveau", "c'était l'éternel recommencement". Dans le roman, le couple est lié au rythme des saisons. Quand le couple intègre le temps historique en entrant dans la colonne des insurgés, il en meurt.


2. Le bonheur de Miette et Silvère est fragile et promis à la mort

Le texte est oppose la mort au bonheur : "joies présentes et larmes futures", "douceurs mortels", "un bonheur qui irrite la mort", "prends garde, mon garçon, on en meurt". Le bonheur de Miette et Silvère est lié à la clarté : "claire matinée", "soleil limpide", "trouée blanche".
Cette image de bonheur innocent est saisie comme éphémère (qui ne va pas durer) puisque apparemment, le couple heureux est promis à la mort.
Au centre de cet épisode, la porte joue un rôle important car elle va permettre au couple de se rapprocher physiquement.


II. La valeur symbolique de la porte

1. La porte est au centre du texte

- Importance du champ lexical :

"porte maudite", "porte complice", "trouée la muraille", "ferma la porte à double tour", "la porte ne la rendait plus complice", "la trouée blanche", "quelques planches noires d'humidité".
Dans ce texte, la porte est un véritable personnage, personnalisé. Elle est un objet, lorsqu'elle est fermée.

- La porte ouvre sur un espace qui aurait dû rester fermé :

Cette porte va mettre en communication 2 territoires : l'ancienne masure de Macquart et Le Jas-Meiffren (ancien territoire Fouque)

- La porte ouvre aussi sur le temps : le passé de Tante Dide :

"une seconde fois, la porte était complice"


2. La porte a une valeur symbolique

- La porte représente un interdit :

Silvère a accompli, en ouvrant la porte, un acte qui était défendu, il en a conscience. Il n'a jamais osé demander la clef, alors il l'a prit sachant qu'Adélaïde refuserait "la main qui l'avait violé". Cette expression permet de dire que Silvère a accompli un interdit par le viol qui a deux sens : celui des actes sexuels et celui dans le sens de violer une tombe. Cette tombe représente aussi le silence d'Adélaïde : "elle s'était fait une religion du silence".

- De quel interdit s'agit-il ? :

Elle est le symbole pour Adélaïde de ses relations avec Macquart, et pour Miette et Silvère, elle représente la même chose : relation amoureuse. Pour Adélaïde, ouvrir la porte est comme avoir fait l'acte sexuel : "elle voulait dire que Miette avait le temps de souffrir et de pleurer". Silvère n'a pas la même classe sociale : la masure appartient à la pauvreté et Jas-Meiffren, à la bourgeoisie.

- Cet interdit transgressé fait naître la culpabilité des personnages :

Miette et Silvère se sentent coupables: "ils sont confus", "tête baissée", "heureuse d'en être quitte à si bon marché". Ils s'apprêtent à être jugés alors qu'ils n'ont rien fait de mal. Ils ont passés un seuil. Le 2ème seuil : c'est lorsqu'ils se baignent dans la Viorne. Le 3ème seuil : le baiser sur le bout de la route. Seuil qui, comme le pressent Adélaïde, peut les amener à la mort.

- Culpabilité chez Adélaïde

On le voit car c'est elle qui considère que "la porte était complice", "si elle ne s'était sentie complice", "la porte ne la rendrait plus complice". Il y a aussi une culpabilité chez Adélaïde : "elle seule était coupable". La faute d'Adélaïde est d'avoir eu des relations interdites avec Macquart. Toujours des interdits sexuels et sociaux (enfant hors mariage). Il y a un pêcher originel chez Adélaïde qui est retransmis chez Miette et Silvère, 2 générations plus tard ; ils ont commis la même faute et celle-ci risque de les conduire à la mort (p364: délire d' Adélaïde)


III. Adélaïde et le temps

Adélaïde n'est que souffrance. Elle a souffert dans sa jeunesse et elle souffre aujourd'hui car elle se souvient du passé.

1. Souffrance et mémoire

Adélaïde est un personnage qui souffre :
"une douleur plus vive", "ses larmes futures", "les larmes", "souffrance de sa vie", "elle pleura", "de souffrir et de pleurer", "toutes les douleurs endormies au fond de son être". Elle a souffert de la mort de son père, lorsque Macquart la battait, à la mort de Macquart, P la torture, la terrorise, à la mort de S. Tous les gens qu'elle aime disparaissent.


2. Adélaïde identifie passé et présent

- Identification des personnages :

Elle identifie Silvère à Macquart et elle-même à Macquart : "jusqu'au bout, elle devait se retrouver, elle et Macquart, aux bras l'un de l'autre". Conséquence : le temps se répète : "c'était l'éternel recommencement".
L'histoire se répète: Silvère prend le fusil de Macquart, devient un hors la loi et se fera tuer par un gendarme.

- Si le temps se répète, elle peut prédire l'avenir :

"un pressentiment rapide qui lui montra les deux enfants saignants", "prends garde, mon garçon, on en meurt", "à se griser d'un bonheur qui irrite la mort", "elle a le temps".
Tante Dide est folle, mais sa folie lui permet de voir la vérité, la vision irrationnelle va se révéler juste. Elle a une vision hallucinatoire.





Conclusion

    Dans ce passage, Silvère se remémore son idylle avec Miette et en particulier, un moment heureux : celui où enfin, ils ont pu se rapprocher de l'un de l'autre. L'intervention d'Adélaïde vient rompre ce bonheur en introduisant l'idée de culpabilité et de mort. En ouvrant la porte, Silvère a transgressé un interdit, les amoureux en transgresseront d'autres : bain de la Viorne. Adélaïde manifeste sa folie en s'identifiant à Miette et en rapprochant le passé du présent. Mais sa folie prédit les deux enfants du danger de l'amour car elle fait des prémonitions où elle prévoit leur mort.

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Merci à Gwendoline pour cette analyse sur un extrait de La Fortune des Rougon de Zola