Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau

Les voyages à pied - Livre quatrième

De "La chose que je regrette le plus..." à "...je ne songeais qu'à l'aller chercher."



Plan de la fiche sur Les voyages à pied - Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

     Après son voyage à Paris, Rousseau part à pied vers la Suisse et il en profite pour raconter ses sensations et sentiments lors de ses voyages.
     Pendant ses voyages, Rousseau semble vivre dans un état second qui est engendré par la marche qui semble propice à l'inspiration. Il nous explique ce qui dans les voyages à pied est propice à sa personnalité et son inspiration et ce qui favorise le rêve.
     Cette situation correspond tout à fait à sa personnalité et son désir de solitude.

Jean-Jacques Rousseau adolescent
Jean-Jacques Rousseau adolescent, artiste inconnu


Lecture du texte


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      La chose que je regrette le plus dans les détails de ma vie dont j'ai perdu la mémoire est de n'avoir pas fait des journaux de mes voyages. Jamais je n'ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j'ose ainsi dire, que dans ceux que j'ai faits seul à pied. La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées : je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit. La vue de la campagne, la succession des aspects agréables, le grand air, le grand appétit, la bonne santé que je gagne en marchant, la liberté du cabaret, l'éloignement de tout ce qui me fait sentir ma dépendance, de tout ce qui me rappelle à ma situation, tout cela dégage mon âme, me donne une plus grande audace de penser, me jette en quelque sorte dans l'immensité des êtres pour les combiner, les choisir, me les approprier à mon gré, sans gêne et sans crainte. Je dispose en maître de la nature entière ; mon cœur, errant d'objet en objet, s'unit, s'identifie à ceux qui le flattent, s'entoure d'images charmantes, s'enivre de sentiments délicieux. Si pour les fixer je m'amuse à les décrire en moi-même, quelle vigueur de pinceau, quelle fraîcheur de coloris, quelle énergie d'expression je leur donne ! On a, dit-on, trouvé de tout cela dans mes ouvrages, quoique écrits vers le déclin de mes ans. Oh ! si l'on eût vu ceux de ma première jeunesse, ceux que j'ai faits durant mes voyages, ceux que j'ai composés et que je n'ai jamais écrits !... Pourquoi, direz-vous, ne les pas écrire ? Et pourquoi les écrire ? vous répondrai-je : pourquoi m'ôter le charme actuel de la jouissance, pour dire à d'autres que j'avais joui ? Que m'importaient des lecteurs, un public, et toute la terre, tandis que je planais dans le ciel ? D'ailleurs, portais-je avec moi du papier, des plumes ? Si j'avais pensé à tout cela, rien ne me serait venu. Je ne prévoyais pas que j'aurais des idées ; elles viennent quand il leur plaît, non quand il me plaît. Elles ne viennent point, ou elles viennent en foule ; elles m'accablent de leur nombre et de leur force. Dix volumes par jour n'auraient pas suffi. Où prendre du temps pour les écrire ? En arrivant je ne songeais qu'à bien dîner ; en partant je ne songeais qu'à bien marcher. Je sentais qu'un nouveau paradis m'attendait à la porte ; je ne songeais qu'à l'aller chercher.

Les Confessions - Jean-Jacques Rousseau - Livre 4



Annonce des axes

I. Le voyage, mise en condition physique
1. Thème de la liberté
2. Communion avec la nature
3. Evasion de l'esprit

II. Le voyageur inspiré
1. Un rêveur euphorique qui recrée le monde
2. Créateur dégagé des contraintes de l'écriture



Commentaire littéraire

I. Le voyage, mise en condition physique

1. Thème de la liberté

La marche permet à Rousseau de s'affranchir des contraintes sociales. Champ lexical de la liberté : « La liberté… sans gêne et sans crainte ».

Rousseau a la liberté du corps mais aussi de l'esprit car pendant ses voyages l'opposition corps/esprit n'existe plus.

Le rythme binaire utilisé par Rousseau reproduit le rythme de la marche, on remarque de nombreux couples binaires et anaphores « Jamais je n'ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi », « sans gêne et sans crainte », « Elles ne viennent point, ou elles viennent en foule ».

Le rythme ternaire avec anaphore symbolise l'évasion de l'esprit « quelle vigueur de pinceau, quelle fraîcheur de coloris, quelle énergie d'expression ».

2. Communion avec la nature

Pour Rousseau le voyage est un refuge.

Rousseau énumère les différentes sensations procurées par la nature :
- elle amène l'inspiration « Tout cela dégage mon âme »
- c'est une énergie créatrice « Je dispose en maître… délicieux ».


3. Evasion de l'esprit

Pendant ses voyages, l'esprit se libère et entre dans un univers de songes. Ceci est permis grâce au mouvement de la marche à pied «je ne puis presque penser quand je reste en place ; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit ».

La marche à pied et le calme permettent à l'esprit de s'activer. Champ lexical de l'exaltation : « Je planais dans le ciel », « Un nouveau paradis m'attendais à la porte ».



II. Le voyageur inspiré

1. Un rêveur euphorique qui recrée le monde

Rousseau pense que tout l'attend, les plaisirs de la marche sont liés aux plaisirs de la jeunesse.

Il s'approprie les personnages, la nature et choisit les rôles les plus valorisant « Mon cœur… s'identifie ».

C'est en fait des jeux de rôle dans lesquels Rousseau s'invente le monde « Tout cela dégage mon âme ».

La nature fournit les pièces de son monde (comme un puzzle) « Je dispose en maître de la nature entière ».

La tonalité est lyrique (qui exprime les sentiments personnels du poète « Si pour les fixer, je leur donne » envolée lyrique, champ lexical de la peinture « coloris, pinceau ».


2. Créateur dégagé des contraintes de l'écriture

Rousseau est un auteur qui est dispensé d'écriture et qui peut se laisser aller.

On remarque un paradoxe entre le début et la fin : « la chose que je regrette le plus » / « Si j'avais pensé à tout cela, rien ne serait venu ».

Rousseau démontre l'inutilité de l'écriture avec des questions rhétoriques « Portais-je avec moi du papier, des plumes ? ».

Rousseau montre qu'il ne peut pas écrire sur commande et ne supporte pas la contrainte : « Pourquoi, direz-vous, ne pas les écrire ?… avait joui ? ».





Conclusion

    Les voyages à pied recréent les conditions d'un bonheur intense qui est difficile à retranscrire et impossible à partager.
    Rousseau à la fin du XVIIIème siècle est un préromantique : Chateaubriand et Lamartine utiliseront aussi des envolées lyriques.

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