Les Mémoires d'Outre-Tombe

Chateaubriand

Vie à Combourg






Plan de la fiche sur Les Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Ce texte fait partie des Mémoires d’Outre-tombe écrites de 1806 à 1846. Il a été écrit au château de Montboissier en 1817 suite à l’épisode de la grive qu’il a entendue dans le parc de ce château.
    Dans tout ce chapitre 3, Chateaubriand évoque les "deux années de délire" qu’il a passé à Combourg entre 16 et 18 ans (entre 1784 et 1786) après avoir fini ses études à Dol, Dinan et Rennes et hésitant entre la carrière ecclésiastique et militaire.
    Pendant deux années, de seize à dix-huit ans, sa personnalité va continuer d'y mûrir, encouragée par l'amitié exaltée qui l'unit à sa dernière sœur, Lucile, une jeune fille inspirée sinon un peu déséquilibrée, la seule qui soit demeurée dans la maison familiale, entre les bizarreries d'un père malade et la tristesse d'une mère qui se morfond : "Je me composai donc une femme des traits divers de toutes les femmes que j'avais vues. Elle avait le génie et l'innocence de ma soeur, la tendresse de ma mère, la taille, les cheveux et le sourire de la charmante étrangère qui m'avait pressé contre son sein...".
    Bientôt le désespoir d'être sans amour et sans avenir s'empare de l'adolescent. Tentative de suicide, maladie. On précipite son départ vers la vie active, et il est expédié en garnison à Cambrai, puis à Dieppe. Cette période de sa vie est décisive dans la formation du caractère de Chateaubriand et il dira plus tard "C'est du bois de Combourg que je suis devenu ce que je suis, que j'ai commencé à sentir la première atteinte du mal que j'ai porté le reste de ma vie, de cette vague tristesse qui a fait à la fois mon tourment et ma félicité, c'est là que j'ai cherché un cœur qui pût entendre le mien…"


Lecture du texte

    Les soirées d’automne et d’hiver étaient d’une autre nature. Le souper fini et les quatre convives revenus de la table à la cheminée, ma mère se jetait, en soupirant, sur un vieux lit de jour de siamoise flambée ; on mettait devant elle un guéridon avec une bougie. Je m’asseyais auprès du feu avec Lucile ; les domestiques enlevaient le couvert et se retiraient. Mon père commençait alors une prome-nade, qui ne cessait qu’à l’heure de son coucher. Il était vêtu d’une robe de ratine blanche, ou plutôt d’une espèce de manteau que je n’ai vu qu’à lui. Sa tête, demi-chauve, était couverte d’un grand bonnet blanc qui se tenait tout droit. Lorsqu’en se prome-nant, il s’éloignait du foyer, la vaste salle était si peu éclairée par une seule bougie qu’on ne le voyait plus ; on l’entendait seulement encore marcher dans les ténèbres : puis il revenait lentement vers la lumière et émergeait peu à peu de l’obscurité, comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle. Lucile et moi, nous échangions quelques mots à voix basse, quand il était à l’autre bout de la salle ; nous nous taisions quand il se rapprochait de nous. Il nous disait, en passant : "De quoi parliez-vous ?" Saisis de terreur, nous ne répondions rien ; il continuait sa marche. Le reste de la soirée, l’oreille n’était plus frappée que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère et du murmure du vent.

    Dix heures sonnaient à l’horloge du château : mon père s’arrêtait ; le même ressort, qui avait soulevé le marteau de l’horloge, semblait avoir suspendu ses pas. Il tirait sa montre, la montait, prenait un grand flambeau d’argent surmonté d’une grande bougie, entrait un moment dans la petite tour de l’ouest, puis revenait, son flambeau à la main, et s’avançait vers sa chambre à coucher dépendante de la petite tour de l’est. Lucile et moi, nous nous tenions sur son passage ; nous l’embrassions, en lui souhaitant une bonne nuit. Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse, sans nous répondre, continuait sa route et se retirait au fond de la tour, dont nous entendions les portes se refermer sur lui.

    Le talisman était brisé ; ma mère, ma sœur et moi, transformés en statues par la présence de mon père, nous recouvrions les fonctions de la vie. Le premier effet de notre désenchantement se manifestait par un débordement de paroles : si le silence nous avait opprimés, il nous le payait cher.

Les Mémoires d'Outre-Tombe - Chateaubriand
Première partie - Livre troisième - Chapitre 3 - Vie à Combourg. - Journées et soirées.




Le salon du chateau de Combourg



Annonce des axes

I. Une atmosphère étrange
1. Jeux d’ombre et de lumière
2. Déambulation
3. Silence accablant

II. La famille
1. Le jeu des pronoms
2. Fantôme de Combourg
3. Présence maléfique

III. Un grand travail d'écriture
1. Prose poétique
2. Deux versions



Commentaire littéraire

I. Une atmosphère étrange

Petite introduction de l’axe I : Toute cette atmosphère inquiétante, étrange, fantastique est principalement provoquée par la perception enfantine de la scène que Chateaubriand a essayé de recréer tout au long du texte. La précision extrême du souvenir impliquent que ces soirées répétitives (utilisation d’imparfait itératif et proposition "les soirées d’automne et d’hiver " qui indique que ces soirées étaient toujours les mêmes) ont marqué Chateaubriand.

1. Jeux d’ombre et de lumière

* Du point de vue fixe de la narration découle un impressionnant jeu d’ombre et de lumière causé par le fait qu’il n’y a que deux sources de lumière (le feu et la bougie) laissant donc la plus vaste partie de la salle dans l’ombre

* Champ lexical de la lumière ("bougie, feu") en opposition avec celui de l’obscurité ("ténèbres", "obscurité") : un jeu d’ombre et de lumière ; création d’une atmosphère propice à la montée de la peur et de l’introduction du fantastique.

* Espace divisé en deux zones :

- la chaleur (affective) du foyer "cheminée", "bougie", "feu" où se trouvent Lucile, Chateaubriand et sa mère symbolisant la chaleur affective et d’autre part la

- froideur la vaste salle peu éclairée "par une seule bougie" qui s’ouvre sur tout le reste du château et la froideur hivernale du monde nocturne où déambule le père source de froideur affective.

* Or le père plonge peu à peu dans ce monde invisible et lorsqu’il "émerge peu à peu de l’obscurité " c’est pour y retourner. Sa place est donc dans l’ombre, l’obscurité et le froid de la nuit hivernale et non à la chaleur du foyer.


2. Déambulation

* Le narrateur insiste avec de nombreux détails, d’une manière obsédante sur ces mouvements tels qu’ils sont perçus : "il s’éloignait du foyer", "il revenait vers la lumière et émergeait …", "il se rapprochait de nous" , "il entrait …puis revenait… et s’avançait.".

* On peut voir que le foyer où se trouve les enfants constitue le point fixe autour duquel s’ordonnent les allées et venues du père (Cf. exemples précédents) interrompues régulièrement sans raison apparente (d’où étrange) :"mon père s’arrêtait", il avait"suspendu ses pas".

* En fait les deux enfants observent la promenade de leur père dans la crainte que celui-ci ne se rapproche d’eux et ne leur adresse la parole.


3. Silence accablant

* Dans toute cette scène, au décor déjà lugubre vient s’ajouter un silence inquiétant sur lequel résonnent les moindres bruits amplifiés par l’écho du château : "on l’entendait seulement encore marcher ", "nous entendions les portes se refermer sur lui".

* On peut qualifier cette scène de quasi-mécanique : au début de l'extrait, la famille quitte la table, la mère s’installe sur un lit, les domestiques retirent le couvert sans aucune parole prononcée, on perçoit juste un soupir de la mère.

* La seule tentative de communication est constituée d’un cache-cache verbal entre le père et ses enfants :"nous échangions quelques mots à voix basse" puis "nous nous taisions" mais cette tentative est vite court-circuitée par le père :"Il nous disait, en passant :"De quoi parliez-vous ?" Saisis de terreur, nous ne répondions rien".


II. La famille

Petite introduction de l’axe II : Comme on l’a déjà vu dans l’axe précédent l’environnement est divisé en deux parties, autour de la cheminée, les deux enfants et la mère et dans la nuit, à l’extérieur, le père. Dans cet axe, nous verrons quelle est la cause de cette scission au sein du foyer familial.

1. Le jeu des pronoms

* Le jeu des pronoms est caractéristique des liens entre les différents membres de la famille.

* D’un côté le père, dans tout le texte, il n’est désigné précisément qu’une seule fois au début du texte : "Mon père", sinon dans le reste du texte, il n’est désigné que par les pronoms personnels il et lui. Cette désignation vague montre bien la distance et la froideur entre Chateaubriand et son père.

* De l’autre côté, Lucile et Chateaubriand, rassemblés dans la locution "Lucile et moi" et dans le pronom personnel nous. Ce pronom récurrent exprime bien la proximité entre les deux enfants unis dans la même crainte du père.

* Enfin, les rapports avec la mère se situent entre la froideur du père et la proximité avec Lucile. Elle est désignée par la locution neutre "ma mère" et on voit par ses soupirs qu’elle possède elle aussi un caractère assez mélancolique et triste. Mais on voit à la fin du texte qu’elle est réunie à ses enfants "ma mère, ma sœur et moi" et qu’elle subit comme eux la crainte du père.


2. Fantôme de Combourg

* La description des vêtements que porte le comte de Chateaubriand (" vêtu d’une robe de ratine blanche" et coiffé d’" un grand bonnet blanc") paraît à première vue très ordinaire.

* Pourtant le narrateur insinue une notion d’étrangeté à cette description au premier abord anodine :

- à la première désignation "robe de ratine blanche " est ajouté une correction "ou plutôt un espèce de manteau que je n’ai vu qu’à lui. La notion " une espèce… " rend plus vague la forme générale du vêtement et la restriction " que je n’ai vu qu’à lui " renforce la singularité, l’étrangeté de cet accoutrement.

- de même manière, à la première désignation du bonnet est corrigé par "qui se tenait tout droit" qui confère au bonnet une notion de bizarrerie.

* Si à ces détails vestimentaires "robe de ratine blanche… ", " bonnet blanc qui se tenait tout droit",

on ajoute le détail physique "sa figure longue te pâle", on obtient une description fantastique, spectrale du père qui est explicitée à la ligne 19 : "comme un spectre".

* Le contraste entre une description physique assez complète du père et l’absence de détails sur sa personnalité, l’association du père avec la mécanique d’une horloge ("le même ressort, qui avait soulevé le marteau de l’horloge, semblait avoir suspendu ses pas") contribuent également à déshumaniser le père et à renforcer son caractère de spectre.

3. Présence maléfique

* Le monde est pétrifié par la présence du père: comme un sort maléfique ; importance du temps : les rituels s’enchaînent à la minute près ; après la promenade, un autre rituel, celui du coucher. "Dix heures sonnaient à l’horloge du château : mon père s’arrêtait ; le même ressort, qui avait soulevé le marteau de l’horloge, semblait avoir suspendu ses pas".

* On peut voir cette présence maléfique renforce la complicité des membres de la famille face au père : le narrateur & Lucile réunis dans un "nous" pour ne pas répondre aux questions du père qui sont formulées comme des accusations.

* On observe le champ lexical de la magie à la fin du texte comme "talisman" qui ici peut-être considéré comme un synonyme de charme, d’enchantement, de sortilège causé par le père ou encore " transformés en statue", "désenchantement ". A l’apparence spectrale du père s’ajoute donc une présence magique, maléfique.

* A la fin du texte, le départ du père est libérateur. Le charme est rompu, c’est un "désenchantement". Le silence est rompu, Lucile, Chateaubriand et leur mère recouvrent "les fonctions de la vie ".


III. Un grand travail d'écriture

1. Prose poétique

* Rythme ternaire : "Le reste de la soirée, l’oreille n’était plus frappée / que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère/ et du murmure du vent.". La phrase est divisée en trois parties et la dernière partie est également divisée en trois sous-parties. Ces trois sous-parties expriment des sons de moins en moins forts et parallèlement le nombre de syllabes de chaque partie diminue . On peut également noter la récurrence du son [e] et du son [m].

* Le rythme joue aussi un rôle important dans cette phrase où il suggère l’image du spectre :

" puis il revenait / lentement / vers la lumière et émergeait / peu à peu /de l’obscurité, comme un spectre

et on observe le rythme ternaire progressif dans la suite de cette phrase :

avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle."

* "Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse, sans nous répondre, continuait sa route et se retirait au fond de la tour" encore 3 verbes successifs => rythme ternaire

* Enfin, on retrouve également le rythme ternaire dans le désenchantement à la fin du texte"ma mère, ma sœur et moi".

2. Deux versions

* Chateaubriand a revu ce texte, écrit à Montboissier en 1817, en 1846.

* Lors de cette correction, Chateaubriand a supprimé un passage essentiel pour mieux cerner la personnalité de son père. Dans ce passage, on voit le père sous un jour plus positif, plus proche de ses enfants. Dans ce passage, le père de Chateaubriand raconte ses voyages de corsaire et on peut expliquer par là le goût de Chateaubriand pour les voyages.

* Dans ce passage, on voit également des marques d’amour filial de Chateaubriand envers son père , marques totalement absentes dans la version corrigée.

* En fait, Chateaubriand a supprimé toutes les marques qui pouvaient présenter le père sous un jour positif, pour ne garder que l’image fantastique du père, fantôme du château. Une fois de plus, Chateaubriand a délaissé la vérité pure et a accentué le caractère de son père qu’il voulait mettre en valeur pour servir sa narration.

* "Il y a loin de ces parents sévères aux gâte-enfants d'aujourd'hui", remarque Chateaubriand sur les rigueurs de son éducation pour s'en féliciter : il doit à ces méthodes, pense-t-il, l'originalité de ses idées et la mélancolie de ses sentiments, nées "de l'habitude de souffrir à l'âge de la faiblesse, de l'imprévoyance et de la joie". Il a donc tendance à accentuer ce côté.





Conclusion

* Arrière-plan de la traite des nègres : On commence aussi à comprendre le sens caché d’un texte comme la description des Soirées d’automne et d’hiver. En particulier, la phrase qui décrit la promenade du père, le soir, dans la grand’salle du château "si peu éclairée", fonctionne comme un symptôme en quelques sorte psychanalytique : "… on ne le voyait plus ; on l’entendait seulement encore marcher dans les ténèbres ; puis il revenait lentement vers la lumière et émergeait peu à peu de l’obscurité, comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle". De quelle ombre infernale, de quel passé sinistre sort ce spectre ?

* Problème de l’objectivité des Mémoires : vision caricaturale du père.

* Lien avec la formation du caractère romantique de Chateaubriand.



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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur la vie à Combourg de Les Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand