Itinéraire de Paris à Jérusalem

Chateaubriand

Cap Sunium

De "Je faisais ces réflexions à la vue des débris du temple de Sunium..." à "...qui venait d’affliger mes yeux."




Plan de la fiche sur un extrait de Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Chateaubriand visite les vestiges du temple de Poséïdon au cap Sunium et retranscrit les pensées mélancoliques que suscitent en lui la vue des ruines et le spectacle de la nature.

    Cet extrait fait partie de la première partie de Itinéraire de Paris à Jérusalem : Voyage en Grèce.

Chateaubriand
Chateaubriand




Texte étudié

    Je faisais ces réflexions à la vue des débris du temple de Sunium : ce temple était d’ordre dorique et du bon temps de l’architecture. Je découvrais au loin la mer de l’Archipel avec toutes ses îles : le soleil couchant rougissait les côtes de Zéa et les quatorze belles colonnes de marbre blanc au pied desquelles je m’étais assis. Les sauges et les genévriers répandaient autour des ruines une odeur aromatique, et le bruit des vagues montait à peine jusqu’à moi.
    Comme le vent était tombé, il nous fallait attendre pour partir une nouvelle brise. Nos matelots se jetèrent au fond de leur barque, et s’endormirent. Joseph et le jeune Grec demeurèrent avec moi. Après avoir mangé et parlé pendant quelque temps, ils s’étendirent à terre et s’endormirent à leur tour. Je m’enveloppai la tête dans mon manteau pour me garantir de la rosée, et, le dos appuyé contre une colonne, je restai seul éveillé à contempler le ciel et la mer.
    Au plus beau coucher du soleil avait succédé la plus belle nuit. Le firmament répété dans les vagues avait l’air de reposer au fond de la mer. L’étoile du soir, ma compagne assidue pendant mon voyage, était prête à disparaître sous l’horizon ; on ne l’apercevait plus que par de longs rayons qu’elle laissait de temps en temps descendre sur les flots, comme une lumière qui s’éteint. Par intervalles, des brises passagères troublaient dans la mer l’image du ciel, agitaient les constellations, et venaient expirer parmi les colonnes du temple avec un faible murmure.
    Toutefois, ce spectacle était triste lorsque je venais à songer que je le contemplais du milieu des ruines. Autour de moi étaient des tombeaux, le silence, la destruction, la mort, ou quelques matelots grecs qui dormaient sans soucis et sans songes sur les débris de la Grèce. J’allais quitter pour jamais cette terre sacrée : l’esprit rempli de sa grandeur passée et de son abaissement actuel, je me retraçais le tableau qui venait d’affliger mes yeux.

Itinéraire de Paris à Jérusalem - Chateaubriand (extrait)



Annonce des axes

I. Le spectacle de la nature
II. Une méditation mélancolique



Commentaire littéraire

I. Le spectacle de la nature

Pause dans le récit pour exprimer le sentiment de la nature : il est particulièrement attentif au cadre, aux sensations qu'il éprouve et à la sérénité du lieu.
Chateaubriand ne décrit pas le temple mais se contente de le caractériser par son style (dorique), son matériau (marbre) et les colonnes qui restent encore debout.
Il s'attache à l'environnement et au moment de la journée où la scène se passe : le rouge du crépuscule lui permet de fondre le premier et l'arrière plan. La fusion est encore plus totale lorsque arrive la nuit. Ce n'est qu'en fin de paragraphe que les colonnes sont mentionnés comme en passant.
=> Chateaubriand est beaucoup plus sensible à la nature qu'aux constructions.

On note tout un éventail de sensations visuelles (les plus riches mais les couleurs y prennent peu de place), olfactives (odeurs aromatiques qui amènent une touche d'exotisme), auditives (douces et discrètes : bruit des vagues - murmure de la brise) et même tactiles (ténues : la rosée et la brise).
La phrase "Le firmament...", où l'on retrouve une personnification du ciel pas de ponctuation crée une impression de grande douceur et de sérénité.
La sérénité crée une impression d'infini (la nuit, le ciel, la mer). Tous les traits saillants du réel se fondent dans la nuit
=> L'esprit de l'homme, affranchi de toute pesanteur et de tout lien terrestre, peut s'absorber dans la contemplation de la voûte étoilée.

La disposition à la rêverie est soulignée par le contraste entre l'auteur et ses compagnons : alors que les marins se sont "jetés" dans le sommeil, les domestiques, moins frustes, ont tout de même ménagé un intervalle, mais seul l'auteur médite.
Le passage brusque de la description au récit, puis du récit à la méditation créent l'accent propre à l'écrivain.


II. Une méditation mélancolique

On note une double progression des sensations aux sentiments puis à la méditation.
Le paragraphe charnière, par ses suggestions rythmiques, amène à la méditation lyrique.
Trois éléments y contribuent : la fusion ciel-mer, l'affaiblissement de la lumière de l'étoile et le mouvement imprimé à l'eau par la brise.
L'ampleur progressive du rythme (5+12+12+13+14) et la chute finale de la phrase centrale ("lumière qui s'éteint") suggèrent l'essor d'une pensée qui va s'envoler vers l'infini.
La faible ondulation de l'eau crée "l'irrégulier dans le régulier" : la sérénité du spectacle fixe les sens et vide la pensée de manière à la plonger dans un état de rêverie
La personnification du firmament ajoute la présence d'une nature amie
Tout est harmonie, tout invite le narrateur à tourner sa pensée vers l'homme, fétu de paille dans l'univers symbolisé par le firmament.

La méditation part de la réalité : les ruines du temple. Renonçant à une description pittoresque, il utilise les seuls mots "débris" et "ruines" pour ensuite utiliser un champ lexical de la mort concret ("tombeaux") et abstrait ("silence").
Le thème des ruines n'est pas nouveau à l'époque de Chateaubriand. En revanche, c'est la correspondance entre la réalité et le sentiment qui est ici intéressante.
On note que le mot "tombeaux" est inexact : il n'en existe aucun au cap Sunium. Chateaubriand en parle à la seule fin de rendre plu vives ses impressions de tristesse.
Chateaubriand note que malgré la qualité de la construction réalisée "au bon temps de l'architecture" elle n'a su résister au temps. Cette constatation de la caducité des constructions humaines suscite la mélancolie.
L'auteur fait aussi une constatation attristée de l'indifférence des Grecs pour leur passé prestigieux.
"Les débris de la Grèce" se charge de connotations politiques : le pays subit le joug des Ottomans, qui ont ajouté leur ravages à ceux du temps (le Parthénon a été transformé en poudrière). L'expression "tombeaux" et la gradation jusqu'à "mort" rendent cet esclavage poignant car aucun espoir de libération ne se dessine.
L'allitération en [s] "sans souci et sans songes" augmente la tristesse.





Conclusion

     Cet extrait a la fraîcheur des choses vues : tous ceux qui ont observé le cap Sunium ont éprouvé les mêmes sensations.
     Mais l'humaniste y voit également le symbole de la Grèce qui a perdu son indépendance et une civilisation disparue depuis 2000 ans ; l'homme politique déplore l'asservissement de la Grèce ; l'écrivain, par la magie de son style, suggère la sombre mélancolie qui se dégage de ses ruines, atteignant ainsi la poésie pure.

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Merci à Pierre pour cette analyse sur un extrait de Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand