CANDIDE - Voltaire

Le château de thunder-ten-tronckh

Chapitre 1





Plan de la fiche sur le chapitre 1 de Candide de Voltaire :
Introduction
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    L'article "Genève" de L'Encyclopédie, que Voltaire inspire à d'Alembert suscite la tempête chez les pasteurs : les antiphilosophes veulent l'expulser de la propriété des délices, qu'il avait acquis en 1755. En 1758, il achète la propriété de Ferney, située à cheval sur la frontière franco-suisse, pour se mettre à l'abri. C'est cette année là que Voltaire rédige Candide, conte philosophique qui contredit la théorie de l'optimisme selon laquelle tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, mais sans la détruire tout à fait puisque la plupart des personnages finissent par cultiver sagement leur jardin en renonçant à la métaphysique. Il sera publié en 1759, sous couvert de l'anonymat, puis du pseudonyme en 1761.

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Lecture du texte étudié



Annonce des axes

I. Un paradis de pacotille
II. La satire de la société féodale
III. Un philosophe dogmatique et grotesque



Commentaire littéraire

I. Un paradis de pacotille

1. Le lieu : l'Allemagne

    C'est le pays de Leibniz, principal philosophe théoricien de l'Optimisme que combat Voltaire : celui de Frédéric II de Prusse, que l'auteur admirait comme le modèle du souverain éclairé et avec lequel un séjour à Berlin vient de le brouiller. La Westphalie en est aussi la province la plus pauvre : en la choisissant comme Éden fondateur du conte, et en faisant croire à tous les personnages que le baron, avec son château qui avait une porte et des fenêtres, est un puissant seigneur, Voltaire souligne la médiocrité de cet idéal et l'aveuglement de ses héros. Il donne une leçon de relativité entre la réalité et l'idée que les hommes s'en font.
    Satire de la lourdeur allemande, également, l'emphase du nom Thunder-ten-tronckh, l'embonpoint de la baronne (150 kg) et de sa fille ("grasse").

    La grande économie de détails sur le décor et les paysages est habituelle dans les romans et contes à l'époque. Mais chez Voltaire, c'est aussi un procédé systématique. La parcimonie des descriptions charge chaque détail d'un sens et d'une fonction philosophiques ou satiriques très forts.
    Ici, l'Allemagne se réduit à deux ou trois clichés, épaisseur des corps, philosophie épaisse, d'ailleurs toujours valable de nos temps car les préjugés ont la peau dure...
    Les personnages font l'objet d'un traitement identique, c'est une galerie de portraits stéréotypés. L'évocation de Candide encadre celle des autres personnages, cette composition situe d'emblée le jeune garçon comme le héros, mais insiste aussi sur sa marginalité sociale de bâtard : il est ensuite réintégré à sa place normale, qui est la dernière. Les comparses, en effet, se présentent dans un ordre familial et social hiérarchique : le baron, son épouse, leurs enfants, le précepteur, enfin l'enfant naturel. La fille vient avant le fils, ce qui annonce le rôle majeur de Cunégonde.

    De même, seuls Candide et Cunégonde ont un prénom ; on ignore si Pangloss est un nom ou un prénom. Tous les trois font l'objet de précisions succinctes, et l'on a même l'honneur d'entendre la voix du professeur pour un fragment édifiant de cours de philosophie.
    Mais cette économie de description n'est rien au regard du sort réservé au baron, à sa femme et à son fils, anonymes et expédiés en deux traits d'esquisse caricaturale.
    Le premier n'est pas méchant au fond mais prétentieux et un peu ridicule même pour ses serviteurs.
    Son épouse placide ne se distingue que par son poids et une bonne éducation limitée à une politesse formelle ("faisait les honneurs de la maison avec une dignité"), ce qui veut dire qu'elle est laide et bête.
    Quant au fils, on se contente de noter qu'il "paraissait en tout digne de son père", ce qui vu le portrait du père retourne le compliment en charge féroce, qui sera confirmée dans la suite du conte où il se montrera imbu de ses titres jusqu'à en être borné.
    Un sort particulier est donc réservé à Candide. On devine, aux rumeurs des serviteurs, que son statut d'enfant non reconnu, mais assimilé à Cunégonde et à son frère (il suit comme eux les leçons de Pangloss), cache un secret de famille : la sœur du baron a fauté avec un voisin. Né d'un père "bon et honnête", il a un physique agréable, qui expliquera l'attachement sensuel de Cunégonde. Ses qualités d'intelligence et de morale le prédisposent à une évolution vers l'esprit critique et emportent l'adhésion émue du lecteur. On sent déjà qu'il pourra exprimer les idées de l'auteur, et jouer le rôle de héros de roman d'apprentissage : intelligent, certes ("jugement assez droit"), mais aussi jeune et malléable, naïf ("l'esprit le plus simple"), il a, dirait-on aujourd'hui, un fort potentiel.
    Noter l'allitération en [t] et le sens du mot Thunder (tonnerre) ; voir au chapitre 2 le nom de ville Valdberghoff-trarbk-dikdoff, signifiant forêtmontagnecour-gageure dérisoire-épais village...


2. Aucun des nombreux peuples visités dans Candide n'échappe à ce procédé du cliché

    Aucun des nombreux peuples visités dans Candide n'échappe à ce procédé du cliché :
Les Français sont bavards, médisants et volages (chap. 22), les Espagnols et Portugais orgueilleux et intolérants (inquisition du chap. 6, gouverneur du chap. 13), les Turcs totalitaires et cruels (chap. 20), etc.


II. La satire de la société féodale

    Voltaire oppose la prétention de richesse ("grande salle", "meute", "piqueurs", "grand aumônier", termes ou titres nobles) et la basse réalité (simples ornements de "tapisserie", "chiens de basse-cour", "palefreniers", "vicaire").
    Les serviteurs même, tout en affublant le baron du titre pompeux de monseigneur - sans gêne ni malice - rient de ses contes. Leur respect a des limites, tout se déroule dans une ambiance à la fois guindée et familiale.
    La satire sociale atteint son point culminant avec l'exigence des quartiers de noblesse, qui annonce que derrière la bonhomie des nantis se cachent des exigences et des préjugés très âpres et absurdes : un honnête homme est refusé comme époux, parce qu'il ne peut prouver que 71 quartiers (nombre d'ancêtres nobles) au lieu de 72, pédigrée du baron, différence infinitésimale et dérisoire. Dans ce détail se niche toute l'audace de la critique par les philosophes puis les révolutionnaires du 18e siècle de la raideur improductive et méprisante des castes qui prévalaient dans l'Ancien Régime. On trouve ici, déjà, l'ironie cinglante qui sera celle du Figaro de Beaumarchais.


III. Un philosophe dogmatique et grotesque

    Le nom même de Pangloss est parodique (toute langue - en grec, ce qui peut signifier - qui ne fait que parler - et suggère un vain bavardage).
    Dès cette première apparition il se distingue par deux traits : "oracle de la maison", dogmatique, il n'a aucun contradicteur ; et ses discours sont ridicules. Pour le prouver, Voltaire devance le jugement du lecteur en annonçant que Pangloss enseigne la "métaphysico-théologo-cosmolonigologie" : la pétarade intellectuelle jargonnante s'achève burlesquement par l'expression "nigologie" (la science, "logos" en grec, des nigauds "nigo"). Dans la phrase suivante, l'allusion aux "effets sans cause" signale au lecteur averti que la philosophie, si l'on ose dire, en cause ici, est celle de Leibniz et Wolf, qui ont inventé le principe de la raison suffisante et des causes finales. Les théories de l'optimisme apparaissent aussi dans la dernière phrase avec une surenchère en allusion à Pope, autre philosophe de cette mouvance, qui avait écrit dans son ouvrage Essai sur l’Homme (1733) "Tout ce qui est, est bien".
    Entre ces deux assertions vient un échantillon de raisonnement particulièrement défectueux de Pangloss sur les mêmes causes finales (la fin pour laquelle une chose est faite) : il va de soi, et l'on ne peut que s'étonner de la naïveté de Candide face à de telles inepties (que les nez ne furent pas inventés pour les lunettes, mais les lunettes pour les yeux faibles, que ce sont les chaussures qui ont été conçues pour protéger les jambes, et non l'inverse, que les pierres n'étaient pas destinées à être taillées). L’accumulation de tels exemples, avec des phrases construites sur un schéma identique, crée un effet comique, qui culmine dans les deux dernières. Le château du baron dont on a vu la médiocrité (il ne se distingue des chaumières environnantes que par des portes et des fenêtres) est utilisé pour le discours Philosophique, la mention des porcs faits pour être mangés en toute période et par tout le monde ne peut que susciter le rire , le lecteur sait bien que le porc est une denrée interdite dans certaines religions.




Conclusion

    Dans cet extrait sur le château de Thunder-ten-tronckh, en quelques lignes Voltaire pose donc l'essentiel du sujet et des procédés de l'ensemble du conte, et, dans une parodie du premier chapitre de la Bible (la Genèse, Éden dont l'Adam est ici Candide et l'Ève qui le séduira Cunégonde, et dont Candide sera bientôt chassé), met en place la référence à un premier jardin, à un premier paradis, qui servira de référence constante à la quête de son héros. Le château, symbole pour Candide du bonheur, sera par la suite une référence déterminante pour son apprentissage, jusqu'à sa duplication finale dans la métairie orientale.

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Merci à Pierre Olivier pour cette analyse sur le Chapitre 1 de Candide de Voltaire