Plan de la fiche sur 
Bel-Ami - Première  partie, chapitre 1 - de Maupassant :
     Georges  Duroy a rencontré Forestier dans la rue, et celui-ci l’a invité à dîner. Duroy  se rend donc pour la première fois chez son ancien camarade de régiment avec le  ferme espoir de voir sa condition s’améliorer. Pauvre, mal à l’aise dans cet habit  qu’il porte pour la première fois, c’est plein d’appréhension qu’il entre chez  le couple plus fortuné.
     Nous allons donc voir, dans cet extrait de la partie I du chapitre 2 de 
Bel-Ami, comment  Georges Duroy prend possession petit à petit des meubles de Forestier et  l’impression que suscite chez lui la blonde Madeleine que nous découvrons en sa  compagnie pour la première fois.
Lecture du texte
     Mais Duroy, tout à coup perdant son aplomb, se  sentit perclus de crainte, haletant. Il allait faire son premier pas dans  l'existence attendue, rêvée. Il s'avança, pourtant. Une jeune femme blonde  était debout qui l'attendait, toute seule, dans une grande pièce bien éclairée  et pleine d'arbustes, comme une serre.
     Il s'arrêta net, tout à fait déconcerté. Quelle  était cette dame qui souriait ? Puis il se souvint que Forestier était marié ;  et la pensée que cette jolie blonde élégante devait être la femme de son ami  acheva de l'effarer.
     Il balbutia : " Madame, je suis... "  Elle lui tendit la main : " Je le sais, monsieur. Charles m'a raconté  votre rencontre d'hier soir, et je suis très heureuse qu'il ait eu la bonne  inspiration de vous prier de dîner avec nous aujourd'hui. " br />
     Il rougit jusqu'aux oreilles, ne sachant plus  que dire ; et il se sentait examiné, inspecté des pieds à la tête, pesé, jugé.
     Il avait envie de s'excuser, d'inventer une  raison pour expliquer les négligences de sa toilette ; mais il ne trouva rien,  et n'osa pas toucher à ce sujet difficile.
     Il s'assit sur un fauteuil qu'elle lui  désignait, et quand il sentit plier sous lui le velours élastique et doux du  siège, quand il se sentit enfoncé, appuyé, étreint par ce meuble caressant dont  le dossier et les bras capitonnés le soutenaient délicatement, il lui sembla  qu'il entrait dans une vie nouvelle et charmante, qu'il prenait possession de  quelque chose de délicieux, qu'il devenait quelqu'un, qu'il était sauvé ; et il  regarda Mme Forestier dont les yeux ne l'avaient point quitté.
     Elle était vêtue d'une robe de cachemire bleu  pâle qui dessinait bien sa taille souple et sa poitrine grasse.
     La chair des bras et de la gorge sortait d'une  mousse de dentelle blanche dont étaient garnis le corsage et les courtes  manches ; et les cheveux relevés au sommet de la tête, frisant un peu sur la  nuque, faisaient un léger nuage de duvet blond au-dessus du cou.
     Duroy se rassurait sous son regard, qui lui  rappelait sans qu'il sût pourquoi, celui de la fille rencontrée la veille aux  Folies-Bergère. Elle avait les yeux gris, d'un gris azuré qui en rendait  étrange l'expression, le nez mince, les lèvres fortes, le menton un peu charnu,  une figure irrégulière et séduisante, pleine de gentillesse et de malice. C'était un de ces visages de femme dont chaque ligne révèle une grâce  particulière, semble avoir une signification, dont chaque mouvement paraît dire  ou cacher quelque chose.
     Après un court silence, elle lui demanda :
  " Vous êtes depuis longtemps à Paris ?  "
     Il répondit, en reprenant peu à peu possession  de lui :
     " Depuis quelques mois seulement, madame. J'ai un emploi dans les  chemins de fer ; mais Forestier m'a laissé espérer que je pourrais, grâce à  lui, pénétrer dans le journalisme. "
  
Extrait du chapitre 2 de la partie 1 - Bel-Ami - Maupassant
Annonce des axes
I. La mise en confiance de Duroy
II. Madeleine et Georges
Commentaire littéraire
I. La mise en confiance de Duroy
     Cet extrait se construit dans un double mouvement, avec, en premier lieu, la  déconfiture de Duroy. En effet, dans l’escalier, il avait l’impression de voir  un autre homme tant son chic l’époustouflait. Il suffit d’un majordome bien  stylé pour que son semblant d’assurance s’effondre : il se sent  "perclus de crainte, haletant". Le rythme binaire, avec  la gradation décroissante, est à l’image de son souffle irrégulier et affolé :  nous sommes loin de la respiration profonde d’un homme sûr de lui! Le phénomène  se répète un peu plus loin, cette fois avec une gradation croissante :  "Il avait envie de s’excuser, d’inventer une raison pour expliquer  la négligence de sa toilette; mais il ne trouva rien, et n’osa pas ajouter à ce  sujet difficile", là encore le rythme binaire témoigne de  l’affolement croissant de Duroy.
     Son embarras atteint son paroxysme lorsqu’il se trouve sous le regard inquisiteur  de cette femme par laquelle il est "examiné, inspecté des pieds à la  tête, pesé, jugé"; cette accumulation suggère la domination de  Madeleine. Il n’a plus qu’à rougir et se taire.
     Dans un second temps, il s’assoit dans un fauteuil qui opère une véritable  transformation sur lui. Le voilà qui entre en contact presque charnel avec ce  meuble, comme en témoigne le réseau lexical de la sensualité que nous avons  ici, avec des occurrences telles que "doux",  "enfoncé", "étreint",  "caressant", "capitonnés",  "délicatement", "possession". Le  mot est dit : Duroy entre véritablement en possession du meuble, de lui-même,  voire de son entourage. C’est l’action réconfortante de ce fauteuil, qui lui  ouvre les bras telle une jolie femme, qui rappelle le futur Bel-Ami à son rêve.  Alors seulement, il ose regarder la jeune épouse de son ami.
II. Madeleine et Georges
     La  jeune femme attire Duroy, et ce dès cette première rencontre. Cela se manifeste  dans le premier regard qu’il lui jette : "une jeune femme blonde  était debout qui l’attendait, toute seule, dans une grande pièce (...) comme  une serre". Devant cette description, comment ne pas penser à Ève  elle-même? : une femme belle, blonde, seule au milieu d’un jardin! Le  rapprochement est d’autant plus facile que, juste avant, Duroy nous expliquait  qu’il faisait "son premier pas dans l’existence attendue,  rêvée". Nous entrons dans le monde de l’onirisme, où Ève, la femme  initiatrice, l’attend, comme lui attendait une nouvelle vie.
     De plus, la prestance de Madeleine contribue à effarer Georges. Il est d’autant  plus admiratif devant elle qu’elle est une "dame",  "élégante" : elle incarne tout ce à quoi il aspire, lui  semble sortie de son rêve. C’est finalement cette supériorité sociale qui  explique l’ascendant de la jeune femme sur lui, plus encore que sa beauté,  c’est ce qui fait qu’elle le domine aussi facilement dans un premier temps. En  sa présence, il ne peut que balbutier, contrairement à la jeune femme pleine  d’assurance qui lui tend sa main avec une parole de réconfort : "Je le  sais, monsieur". Pas besoin de s’expliquer et d’en rajouter à son  embarras, Madeleine sait déjà qui il est.
  Enfin, une fois assis dans le fauteuil, c’est comme une connexion secrète qui  achève de s’établir entre lui et son hôtesse : finalement, ce n’est pas tant le  fauteuil que le regard de Madeleine sur Duroy qui se fait aussi velouté et  caressant. Et le héros s’en rend compte inconsciemment, il ose alors la jauger  à son tour et son regard est des plus concupiscents : la taille, la poitrine et  le duvet de la nuque... Une fois l’admiration passée, Duroy retrouve son  instinct d’homme à femmes et la bourgeoise devient comparable à Rachel, la  prostituée rencontrée la veille. Il peut maintenant lui adresser la parole et  lui dire qu’il veut "pénétrer dans le journalisme". Le choix du verbe  n’est sans doute pas innocent.
Conclusion
     Cette première rencontre entre Georges Duroy et  Madeleine Forestier est sous le sceau de la sensualité et du jeu de la  possession. Car c’est bien cela l’objectif de Duroy : posséder Madeleine,  posséder les richesses matérielles, "reprendre possession de  lui-même". Dans un premier temps dominé par la prestance de la jeune  femme, il devient dominateur en jouant de la sensualité : il a pour lui sa  jolie tournure qui plaît aux femmes et, après tout, Madeleine n’est qu’une  "jolie blonde".