Les lettres persanes

Lettre 30 (1721)

Montesquieu







Autre commentaire de la Lettre persane 30.



Introduction

  Présenter l'auteur : Montesquieu et l'œuvre : Les Lettres persanes.
    C'est une satire de la réaction des parisiens vis à vis des étrangers et du snobisme des Parisiens (engouement pour une mode). Montesquieu introduit une nouvelle forme de jugement en considérant les autres peuples.
    La tonalité satirique du texte est donnée dès la première ligne avec l'emploi du mot "extravagance"
    Cette lettre se présente en 2 volets opposés : "Je fus regardé" /" Sans qu'on m'eût regardé"


Lecture du texte

RICA AU MEME.

A Smyrne.


    Les habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus regardé comme si j'avais été envoyé du ciel: vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettait aux fenêtres; si j'étais aux Tuileries, je voyais aussitôt un cercle se former autour de moi; les femmes mêmes faisaient un arc-en-ciel nuancé de mille couleurs, qui m'entourait. Si j'étais aux spectacles, je voyais aussitôt cent lorgnettes dressées contre ma figure: enfin jamais homme n'a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d'entendre des gens qui n'étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient entre eux: Il faut avouer qu'il a l'air bien persan. Chose admirable! Je trouvais de mes portraits partout; je me voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m'avoir pas assez vu.
    Tant d'honneurs ne laissent pas d'être à la charge: je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare; et quoique j'aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d'une grande ville où je n'étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l'habit persan, et à en endosser un à l'européenne, pour voir s'il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d'admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement. Libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre en un instant l'attention et l'estime publique; car j'entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu'on m'eût regardé, et qu'on m'eût mis en occasion d'ouvrir la bouche; mais, si quelqu'un par hasard apprenait à la compagnie que j'étais Persan, j'entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement: " Ah! ah! monsieur est Persan? C'est une chose bien extraordinaire! Comment peut-on être Persan ? "

A Paris, le 6 de la lune de Chalval, 1712    

Annonce de l'étude linéaire

ETUDE LINEAIRE


1° volet : Rica, en habit persan, attire tous les regards

    " Regardé ", " voir "(avec 5 occurrences), " lorgnettes " :
    Souligne le caractère exceptionnel de Rica qui en fait un " envoyé du ciel " :Naïveté des Parisiens. La curiosité dont il fait l'objet est universelle, quelque soit le sexe et l'âge. La reprise de " tous " ligne 3 montre cet intérêt collectif.
    Peint une suite de tableaux selon les différents moments du jour (introduit par " Si ") :



2° volet : Rica, en habit Européen, mesure son degré de popularité

    Soucis de vérification chez Rica et peut-être de crédulité devant l'enthousiasme Parisien : " SI curieux et SI rare "
    L'expérience apporte sa conclusion : celle-ci est présentée avec humour. " J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdre, en un instant, l'attention et l'estime publique ". L'humour cède vite le pas à la déception avec " néant affreux ". L'expression est exagérée mais donne la mesure de l'impolitesse des parisiens : à la curiosité présente dans le premier paragraphe succède l'indifférence et la solitude.
    La formule finale " Comment peut-on être Persan " en appelle d'autres : Comment peut-on être Français ? comment peut-on être ce que l'on est ?
    C'est la relativité du jugement que Montaigne avait déjà préparé dans ses essais qui est confirmée ici par Montesquieu.




Conclusion

    Ce croquis satirique de la curiosité parisienne met en lumière le manque de savoir vivre et le caractère superficiel du jugement des habitants de Paris qui ne se soucient pas de découvrir l'Homme, ses idées et son cœur sous l'habit du Persan. La question finale " comment peut on être Persan rappelle la question déjà soulevée par Montaigne dans ses Essais et constitue une des questions clés des Lettres Persanes.



Autre commentaire de la Lettre persane 30.






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Merci à Rémi (homepage: www.janot.fr.st) qui m'a envoyé cette fiche...