Laisse de Pharaon

Ronsard - Sonnets pour Hélène





Introduction

     C'est à partir de 1575, au crépuscule de sa gloire, que Pierre de Ronsard compose ses sonnets pour Hélène qui célèbrent, à la demande de Catherine de Médicis, Hélène de Surgère, dame d'honneur à la cour, dont il s'éprendra peu à peu.
     Laisse de Pharaon est une invitation à le rejoindre, à l'aimer et à quitter la cour si repoussante à ses yeux.
     Comment Ronsard met-il l'expression lyrique au service de la séduction amoureuse ?



Lecture du texte

Laisse de Pharaon la terre Egyptienne,
Terre de servitude, et viens sur le Jourdain :
Laisse moi cette Cour, et tout ce fard mondain,
Ta Circé, ta Sereine, et ta Magicienne.

Demeure en ta maison pour vivre toute tienne,
Contente toi de peu : l’âge s’enfuit soudain.
Pour trouver ton repos, n’attend point à demain :
N’attend point que l’hiver sur les cheveux te vienne.

Tu ne vois à ta Cour que feintes et soupçons :
Tu vois tourner une heure en cent mille façons :
Tu vois la vertu fausse, et vraie la malice.

Laisse ces honneurs pleins d’un soin ambitieux,
Tu ne verras aux champs que Nymphes et que Dieux,
Je serai ton Orphée, et toi mon Eurydice.

Ronsard, Sonnets pour Hélène



Annonce des axes d'étude

     Nous étudierons d'abord le lyrisme amoureux de ce poème, puis le rejet de la Cour comme démarche persuasive et enfin le thème du temps, récurrent dans les poèmes de Ronsard.


Etude méthodique :

I/ Un lyrisme amoureux

1- L'appel, l'invitation

- Marque du lyrisme : invitation qui engage intimement le poète.
- Ronsard se compare à la Terre Promise (« viens sur le Jourdain » (2)).
- Charme poétique et effets de persuasion : « vient ... Jourdain » (2), « cour ... tout » (3).

=> Dans la première strophe, Ronsard insiste sur l'appel à le rejoindre.


2- le jeu du moi et du toi

- Effacement ou présence diffuse du narrateur (3-14) confirmée par le titre du recueil : Sonnet pour Hélène, qui met en exergue la destinataire. -> dialogue moi/toi
- « Laisse moi » (3) = idée de rapprochement (familier + tutoiement)
- « Je serais ton Orphée // et toi mon Eurydice » parallélisme de construction de part et d'autre de l'hémistiche + chiasme symbolique formé par le jeu des pronoms et adjectifs de personnes.
- Mais la relation est ambiguë : le poète est d'abord soumis à la tradition courtoise, mais injonctions et ordres « paternalistes », le représentant comme un guide.

=> A travers ce jeu du toi et du moi, Pierre de Ronsard suggère un rapprochement entre le locuteur et le destinataire.


3- Le chant Orphique

- En s'identifiant au célèbre Orphée dans le vers final, Ronsard suggère que c'est par son chant qu'il peut convaincre Hélène.
- Dans ce sonnet (d'origine provençale, ce mot désigne une pièce accompagnée de musique), on retrouve en effet le pouvoir du poète musicien qu'était Orphée, charmant Hommes, bêtes...
- Les injonctions adressées à Hélène sont appuyées par le rythme régulier des vers imposé par la césure de l'alexandrin au 6ème pied (6//6 6//6 6//6 3///6 ; 6//6 6//6 6//6 6//6 ; 6//6 *6). Accentué par le crescendo anaphorique des injonctions : « laisse » (1) « laisse moi » (3-12).
- Allitération = difficulté de se détourner du charme de la Cour et caractère impérieux de la demande du poète :
               Demeure en ta maison pour vivre toute tienne,
               Contente toi de peu : l’âge s’enfuit soudain.
               Pour trouver ton repos, n’attend point à demain :
               N’attend point que l’hiver sur les cheveux te vienne.

=> Le poète par son chant Orphique cherche à séduire, c'est-à-dire au sens étymologique du terme à détourner Hélène de la cour.


II/ Le rejet de la Cour : une démarche persuasive

1- Eloignement de la Cour

- Mépris du poète pour la Cour sensible dans la mise à distance de ce qui a les faveurs de la femme aimée par l'emploi du possessif « ta ». Appuyé par une allitération en [t] qui marque le dédain du poète et par l'emploi d'une restriction « tu ne vois à ta Cour que feintes et soupçons ».
- Il n'y a plus d’évocation insistante de l'être aimé là-bas.

=> Le premier rejet de la Cour est marqué par son éloignement.

2- La Cour et ses tromperies

- Souffrances et illusions qui accompagnent la vie de Cour : « Terre Égyptienne, Terre de servitude » (1-2), « Circé », « sirène », « magicienne » (4). Connotations dépréciatives de ces références (de l'illusion).
- Lexique de l'imposture « tout ce fard mondain » (3), « ta magicienne » (4), « feintes et soupçons » (9), « cent milles façons » (10) (idées de versatilité), « la vertu fausse et vraie la malice » (11 chiasme), « honneurs plein d'un soin ambitieux » (12)

=> Ronsard dénonce les tromperies, les illusions propres à la Cour.

3- L'éloge de l'intimité et de la vie simple

- Référence au Jourdain, à la Terre Promise, lieu de bonheur et de prospérité.
- Allusions aux « nymphes » et « dieux » qui habitent les champs, c’est-à-dire l'espace simple de la vie privée (13). Suggère le passage d'une royauté éphémère (vie de Cour) à la vie éternelle.
- Eloge de la simplicité V 5-6-12 par la modestie du vocabulaire employé « ta maison » « peu » « aux champs » mise en valeur par le caractère presque tautologique « vivre toute tienne ».

=> En signifiant les vertus de l'intimité, du retour à soi, Ronsard marque la supériorité de la vie intime sur la vie de Cour.

L'opposition entre les deux modes d'être est sensible dans la structure même du poème (1er quatrain = vie de Cour, 2nd = vie intime, 1er tercet = vie de cour, 2nd juxtapose évocation de la Cour et éloge de la vie intime), et permet à Ronsard de détourner la femme aimée de l'éclat factice et séducteur de la Cour pour la rendre à la simplicité de la vie intime, c’est-à-dire l'amour, implicite jusqu'à la chute.


III/ Le thème du temps qui s'écoule

- Lexique du temps : « l'âge », « soudain » (6), « à demain » (7), « l'hiver » (8), métaphore de la vieillesse. Cette évocation est associée à l'idée du temps qui s'écoule à travers des expressions qui opposent le mouvement « s'enfuit » (6), « te vienne » (8) à l'immobilisme « n'attend point » (7).
- L'emploi des fricatives [f] [s] et [v] semble suggérer la fluidité du temps qui passe.
- L'évocation du temps qui passe conduit à une réflexion philosophique et à une démarche épicurienne illustrées ici par « contente-toi de peu » (6) « pour trouver ton repos » (7), ce que résume une maxime de la philosophie grecque : « Rien de trop ».
- Cette sagesse est tournée vers l'avenir comme en témoigne l'image du prophète Moïse (1-2) annonçant la Terre Promise et l'emploi du futur dans le 2nd tercet (13/14).

=> Outre la valeur des expressions péjoratives ou mélioratives, Ronsard cherche ici à convaincre la destinataire en la pressant par un véritable Memento mori (rappelle toi que tu es mortel).


Conclusion

     Ronsard met donc dans ce poème le lyrisme au service de l'entreprise amoureuse en employant les thèmes, les expressions et la musicalité du lyrisme amoureux, mais aussi par une démarche persuasive visant à élever l'intimité, le retour à soi, et les valeurs d'une vie simple au dessus des tromperies de la Cour. Le thème, récurant dans les poèmes de Ronsard, du temps qui passe presse la jeune femme par un véritable Memento Mori.
     Mais ce poème n'aura pas, du moins immédiatement, le succès escompté puisque d'autres, plus célèbres encore, lui succéderont comme « Mignonne » ou « Quand vous serez bien vielle ».

 



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