Le Mariage de Figaro

Beaumarchais

Acte II, scène 21 : C'est ce Figaro qui les mène






Plan de la fiche sur la scène 21 de l'Acte 2 de Le Mariage de Figaro de Beaumarchais :
Introduction
Lecture de la scène 21 de l'acte 2
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

Biographie de Beaumarchais.

Résumé du Mariage de Figaro

    Dans Le Mariage de Figaro, Beaumarchais reprend un personnage du Barbier de Séville : Figaro.
    Cette pièce du siècle des Lumières a été jouée pour la première fois en 1784 (mais écrite en 1778).

    Le Comte semblait une nouvelle fois berné par Figaro et les femmes : il croyait trouver Chérubin dans le cabinet jouxtant la chambre de la Comtesse, il n'y a trouvé que Suzanne.
    Mais le spectateur assiste à un rebondissement dans cette scène 21 de l'acte 2 avec l'arrivée d'Antonio le jardinier qui a vu un homme "jeté" par la fenêtre et qui a piétiné ses giroflées. Figaro l'accuse d'être ivre et profitant de ce qu'Antonio n'a pas pu reconnaître Chérubin, il prétend que c'est lui qui a sauté. Ainsi Figaro essaie de construire une version acceptable des événements alors que le Comte le somme de s'expliquer, il s'en tire à son avantage, bien aidé par les femmes.


Lecture de la scène 21 de l'acte 2

Acte II - Scène XXI

FIGARO, SUZANNE, LA COMTESSE, LE COMTE, ANTONIO.


Antonio, demi-gris, tenant un pot de giroflées écrasées.
Monseigneur ! monseigneur !
Le Comte.
Que me veux-tu, Antonio ?
Antonio.
Faites donc une fois griller les croisées qui donnent sur mes couches ! On jette toutes sortes de choses par ces fenêtres ; et tout à l’heure encore on vient d’en jeter un homme.
Le Comte.
Par ces fenêtres ?
Antonio.
Regardez comme on arrange mes giroflées !
Suzanne, bas à Figaro.
Alerte, Figaro, alerte !
Figaro.
Monseigneur, il est gris dès le matin.
Antonio.
Vous n’y êtes pas. C’est un petit reste d’hier. Voilà comme on fait des jugements… ténébreux.
Le Comte, avec feu.
Cet homme ! cet homme ! où est-il ?
Antonio.
Où il est ?
Le Comte.
Oui.
Antonio.
C’est ce que je dis. Il faut me le trouver, déjà. Je suis votre domestique ; il n’y a que moi qui prends soin de votre jardin ; il y tombe un homme, et vous sentez… que ma réputation en est effleurée.
Suzanne, bas à Figaro.
Détourne, détourne.
Figaro.
Tu boiras donc toujours ?
Antonio.
Eh ! si je ne buvais pas, je deviendrais enragé.
La Comtesse.
Mais en prendre ainsi sans besoin…
Antonio.
Boire sans soif et faire l’amour en tout temps, madame, il n’y a que ça qui nous distingue des autres bêtes.
Le Comte, vivement.
Réponds-moi donc, ou je vais te chasser.
Antonio.
Est-ce que je m’en irais ?
Le Comte.
Comment donc ?
Antonio, se touchant le front.
Si vous n’avez pas assez de ça pour garder un bon domestique, je ne suis pas assez bête, moi, pour renvoyer un si bon maître.
Le Comte le secoue avec colère.
On a, dis-tu, jeté un homme par cette fenêtre ?
Antonio.
Oui, mon Excellence ; tout à l’heure, en veste blanche, et qui s’est enfui, jarni, courant…
Le Comte, impatienté.
Après ?
Antonio.
J’ai bien voulu courir après ; mais je me suis donné contre la grille une si fière gourde à la main, que je ne peux plus remuer ni pied ni patte de ce doigt-là.
(Levant le doigt.)
Le Comte.
Au moins tu reconnaîtrais l’homme ?
Antonio.
Oh ! que oui-dà !… si je l’avais vu, pourtant !
Suzanne, bas à Figaro.
Il ne l’a pas vu.
Figaro.
Voilà bien du train pour un pot de fleurs ! combien te faut-il, pleurard, avec ta giroflée ? Il est inutile de chercher, monseigneur ; c’est moi qui ai sauté.
Le Comte.
Comment, c’est vous !
Antonio.
Combien te faut-il, pleurard ? Votre corps a donc bien grandi depuis ce temps-là ? car je vous ai trouvé beaucoup plus moindre et plus fluet.
Figaro.
Certainement ; quand on saute, on se pelotonne…
Antonio.
M’est avis que c’était plutôt… qui dirait, le gringalet de page.
Le Comte.
Chérubin, tu veux dire ?
Figaro.
Oui, revenu tout exprès avec son cheval de la porte de Séville, où peut-être il est déjà.
Antonio.
Oh ! non, je ne dis pas ça, je ne dis pas ça ; je n’ai pas vu sauter de cheval, car je le dirais de même.
Le Comte.
Quelle patience !
Figaro.
J’étais dans la chambre des femmes, en veste blanche : il fait un chaud !… J’attendais là ma Suzannette, quand j’ai ouï tout à coup la voix de monseigneur, et le grand bruit qui se faisait : je ne sais quelle crainte m’a saisi à l’occasion de ce billet ; et, s’il faut avouer ma bêtise, j’ai sauté sans réflexion sur les couches, où je me suis même un peu foulé le pied droit.
(Il frotte son pied.)
Antonio.
Puisque c’est vous, il est juste de vous rendre ce brimborion de papier qui a coulé de votre veste, en tombant.
Le Comte se jette dessus.
Donne-le-moi.
(Il ouvre le papier et le referme.)
Figaro, à part.
Je suis pris.
Le Comte, à Figaro.
La frayeur ne vous aura pas fait oublier ce que contient ce papier, ni comment il se trouvait dans votre poche ?
Figaro, embarrassé, fouille dans ses poches et en tire des papiers.
Non sûrement… Mais c’est que j’en ai tant ! Il faut répondre à tout… (Il regarde un des papiers.) Ceci ? ah ! c’est une lettre de Marceline, en quatre pages ; elle est belle !… Ne serait-ce pas la requête de ce pauvre braconnier en prison ?… Non, la voici… J’avais l’état des meubles du petit château dans l’autre poche…
(Le Comte rouvre le papier qu’il tient.)
La Comtesse, bas à Suzanne.
Ah ! dieux ! Suzon, c’est le brevet d’officier.
Suzanne, bas à Figaro.
Tout est perdu, c’est le brevet.
Le Comte, replie le papier.
Eh bien ! l’homme aux expédients, vous ne devinez pas ?
Antonio, s’approchant de Figaro.
Monseigneur dit si vous ne devinez pas ?
Figaro le repousse.
Fi donc ! vilain, qui me parle dans le nez !
Le Comte.
Vous ne vous rappelez pas ce que ce peut être ?
Figaro.
A, a, a, ah ! povero ! ce sera le brevet de ce malheureux enfant, qu’il m’avait remis, et que j’ai oublié de lui rendre. O o, o, oh ! étourdi que je suis ! que fera-t-il sans son brevet ? Il faut courir…
Le Comte.
Pourquoi vous l’aurait-il remis ?
Figaro, embarrassé.
Il… désirait qu’on y fît quelque chose.
Le Comte regarde son papier.
Il n’y manque rien.
La Comtesse, bas à Suzanne.
Le cachet.
Suzanne, bas à Figaro.
Le cachet manque.
Le Comte, à Figaro.
Vous ne répondez pas ?
Figaro.
C’est… qu’en effet, il y manque peu de chose. Il dit que c’est l’usage…
Le Comte.
L’usage ! l’usage ! l’usage de quoi ?
Figaro.
D’y apposer le sceau de vos armes. Peut-être aussi que cela ne valait pas la peine.
Le Comte rouvre le papier et le chiffonne de colère.
Allons, il est écrit que je ne saurai rien. (À part.) C’est ce Figaro qui les mène, et je ne m’en vengerais pas ! (Il veut sortir avec dépit.)
Figaro, l’arrêtant.
Vous sortez sans ordonner mon mariage ?

    Le Mariage de Figaro - Beaumarchais - Acte II, scène 21




Annonce des axes

I. Figaro mène le jeu
1. Figaro se tire habilement d'affaire mais grâce aux femmes
2. Figaro se montre hautain envers Antonio et insolent envers le Comte
3. Figaro n'est pas si habile que ça ?

II. L'échec du Comte
1. Le Comte défie Figaro
2. Le Comte peut compter sur un allié : Antonio
3. Le Comte avoue sa défaite

III. Une scène tendue mais la tension est atténuée par des éléments comiques
1. Quelle tension ?
2. Cette tension est atténuée par des effets comiques



Commentaire littéraire

I. Figaro mène le jeu

1. Figaro se tire habilement d'affaire mais grâce aux femmes

Figaro surmonte seul la première difficulté en démontrant que ce n'est pas Chérubin mais lui qui était présent ("c’est moi qui ai sauté") :
- il justifie sa petite taille ("quand on saute, on se pelotonne"),
- il souligne avec ironie l'invraisemblance de la présence de Chérubin ("revenu tout exprès avec son cheval de la porte de Séville"),
- il invente une histoire pour montrer qu'il était bien là, en chemise à cause de la chaleur, sa fuite est justifiée par sa peur d'être réprimandé à cause du billet ("je ne sais quelle crainte m’a saisi à l’occasion de ce billet"),
- il ajoute un détail pour faire plus vrai : il s'est foulé le pied.

Figaro surmonte la deuxième difficulté, mais cette fois grâce aux femmes : il arrive à expliquer que c'est lui qui a le brevet d'officier de Chérubin dans sa poche.

Figaro a l'intelligence de gagner du temps en fouillant ses poches ("fouille dans ses poches et en tire des papiers").

Alors que Suzanne lui a dit qu'il s'agissait du brevet il sait faire attendre sa réponse, sait répondre sans hâte avec naturel, il se passe la même chose avec le cachet manquant.
=> Habileté de Figaro pour se tirer d'un mauvais pas.

Mais heureusement qu'il y a les femmes :
- vivacité de la Comtesse qui reconnaît le brevet et qui se rappelle que le cachet manque.
- le sang froid de Suzanne qui souffle la bonne réponse ("Suzanne, bas à Figaro - Le cachet manque").


2. Figaro se montre hautain envers Antonio et insolent envers le Comte

Figaro est hautain envers Antonio qu'il traite de pleurard et d'ivrogne (exemple : "Voilà bien du train pour un pot de fleurs ! Combien te faut-il, pleurard ! avec ta giroflée ?"), contre qui il ironise avec Chérubin qui serait revenu exprès avec son cheval. Il le rejette avec mépris: "Fi donc ! Vilain".

Figaro est insolent envers le Comte :
- il semble dire que son cachet n'a pas beaucoup de valeur.
- Figaro arrête le Comte qui veut sortir pour le narguer.


3. Figaro n'est pas si habile que ça ?

Sans les femmes Figaro ne s'en serait pas sorti, il n'est peut-être pas un faiseur d'intrigue si habile.
C'est par exemple Suzanne qui avertit Figaro du danger que représente Antonio ("Alerte, Figaro, alerte.", " Détourne, détourne.").

La double intrigue de l'acte II a mis la Comtesse et lui-même dans une mauvaise situation, la Comtesse le lui reprochera (Acte II scène 24: "Vous voyez, Suzanne, la jolie scène que votre étourdi m'a value avec son billet"). A la fin de l'acte, elle n'aura même plus confiance en lui.

=> Figaro sait se tirer d'affaire mais il complique trop ses intrigues.


II. L'échec du Comte

1. Le Comte défie Figaro

Le Comte défie par trois fois Figaro :
- "La frayeur ne vous aura pas fait oublier ce que contient ce papier..."
- "Et bien l'homme aux expédients..."
- "Vous ne vous rappelez pas..?"
Le Comte est sûr de lui et pense que Figaro ne s'en sortira pas.


2. Le Comte peut compter sur un allié : Antonio

Dans l'impasse où se trouvait l'action, il fallait la faire rebondir par un nouveau personnage, Antonio dont rien n'annonçait la venue. Le Comte a déjà dit de lui (acte 1 scène 9) : "Mon ivrogne de jardinier".

Certes Antonio est un personnage qui semble peu intelligent et burlesque, mais il vient au secours du Comte, inconsciemment sans doute, lequel Comte a senti qu'il était dupé et pense trouver en lui un allié providentiel, ce qui explique son attitude devant le bavardage du jardinier.
Le Comte manifeste une impatience extérieure ponctuée dans les didascalies par "avec feu", "vivement", "avec colère", "impatienté" mais en fait, témoigne d'une patience véritable pour supporter le ton impérieux du valet ("Faites donc une fois griller les croisées"), insolent même "Si vous n'avez pas assez de ça pour garder un bon domestique, je ne suis pas assez bête, moi, pour renvoyer un si bon maître" ou parfaitement grossier "boire sans soif et faire l'amour en tout temps, il n'y a que ça qui nous distingue des autres bêtes".

Le Comte méprise Antonio ("Réponds-moi donc, ou je vais te chasser", "Quelle patience !") mais en tout cas Antonio nargue peut-être Figaro quand il lui tend ce "brimborion" de papier.

Si le comte ne chasse pas Antonio sur le champ, c'est qu'il devine l'aide qu'il peut lui apporter.

Antonio se montre hargneux, plein de ressentiment à l'égard de Figaro, en faisant écho au Comte "si vous ne devinez pas ?". Visiblement Antonio n'aime pas Figaro, plus élevé dans la hiérarchie et plus roublard que lui.


3. Le Comte avoue sa défaite

Le Comte mène son enquête, ramenant à chaque fois la conversation à l'essentiel avec de nombreuses questions ("Par ces fenêtres ?", "Cet homme, cet homme, où est-il ?"…).
On peut admirer sa ténacité dans la recherche de la vérité : il se sent près d'obtenir la révélation du fait qui lui permettrait de dominer ses adversaires et Antonio, plus fin qu'il ne paraît, sent son importance et se permet de parler sur un ton dont il n'a pas l'habitude : il se sent important et en profite. Mais dans son accusation, il a avoué qu'il ignore "où est cet homme", qu'il n'a pu le poursuivre et qu'il ne l'a même pas vu. Ces détails n'ont pas échappé à ses adversaires. C'est là-dessus que Figaro va élabore une version vraisemblable des événements, mais à son avantage.

Plein de dépit le Comte doit avouer sa défaite ("Alors, il est écrit que je ne saurais rien"). Les didascalies nous montrent qu'il chiffonne le papier de colère et qu'il veut sortir par dépit.

Le Comte est dépité non pas car il ne sait rien (il a tout deviné) mais parce que le maître a été vaincu par son valet ("C’est ce Figaro qui les mène, et je ne m’en vengerais pas !".). De plus, Figaro se moque de lui à la dernière réplique.

III. Une scène tendue mais la tension est atténuée par des éléments comiques

1. Quelle tension ?

La tension est dramatique, psychologique et sociale.

Tension dramatique : on se demande si Figaro s'en sortira et comment.

Tension psychologique : affrontement de deux hommes qui ne sont pas sots, qui rivalisent d'intelligence, qui se lancent des défis, l'un et l'autre les relèvent avec insolence. Par exemple "quelle patience !" traduit la tension morale dans laquelle se trouve le Comte.

Tension sociale : maître et valet s'affrontent, mais c'est le valet qui l'emporte. Pour un spectateur de 1784 cette scène a une portée qui dépasse les deux personnages.


2. Cette tension est atténuée par des effets comiques

Antonio est burlesque, même sa hargne envers Figaro est comique, il sent le vin et fait des réflexions idiotes :
- "On jette toutes sortes de choses par ses fenêtres ; et tout à l'heure encore on vient d'en jeter un homme",
- "Voilà comme on fait des jugements… ténébreux" (au lieu de "téméraires", confusion plaisante de termes dans la bouche du paysan qui veut parler avec autant de distinction que ses maîtres.),
- "Ma réputation en est effleurée" (jeu de mots volontaire cette fois, montrant qu'Antonio ne craint guère pour sa réputation),
- "Mon Excellence" -> respect exagéré pour s'adresser au Comte,
- pléonasme d'illettré " plus moindre ".

Figaro lui-même prête à sourire quand il fait l'inventaire de ses poches ainsi que quand il se montre insolent envers le Comte.

Le Comte croyait prendre Figaro, mais c'est lui qui est pris.





Conclusion

    Cette scène 21 de l'Acte II du Mariage de Figaro commence en force et évolue progressivement vers un nouveau danger pour Figaro et Suzanne. L'action rebondit et tient le spectateur en haleine.
    Le premier affrontement direct entre Figaro et le Comte nous montre une scène assez révolutionnaire où c'est le valet qui l'emporte sur le maître ; et ce sera encore le cas par la suite.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur la scène 21 de l'acte II de Le Mariage de Figaro de Beaumarchais