Le Mariage de Figaro

Beaumarchais

Acte III, scène 5

De "Le Comte, à part. Il veut venir à Londres" à "comme dit la chanson du bon roi."





Plan de la fiche sur la scène 5 de l'Acte 3 de Le Mariage de Figaro de Beaumarchais :
Introduction
Lecture de la scène 5 de l'acte 3
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Dans Le Mariage de Figaro, Beaumarchais reprend un personnage du Barbier de Séville : Figaro.
    Cette pièce du siècle des Lumières a été jouée pour la première fois en 1784 (mais écrite en 1778).

    Dans Le Mariage de Figaro, tout va très vite : Figaro doit épouser Suzanne (avant que le Comte Almaviva n'exerce son droit de seigneur) et se soustraire au désir qu'a Marceline de l'épouser. La journée multiplie intrigues secondaires et rebondissements. Dès l'acte I, Figaro fixe une stratégie et l'infidélité du Comte favorise ses projets : la Comtesse qui veut reconquérir son époux malgré son inclination pour Chérubin, seconde les fiancés : les deux intrigues se nouent à la fin de l'acte II.
    L'acte III paraît consacré au procès intenté par Marceline à Figaro, mais avant qu'il ne commence, le Comte prend ses dispositions (scènes 1 à 4) : si Suzanne a averti Figaro de ses avances, il forcera celui-ci à épouser "la vieille" (son statut de grand d'Espagne lui confère une autorité juridique) ; sinon, il l'emmènera à Londres, comme "courrier de dépêches". Puis il convoque son valet "pour le sonder". Mais celui-ci entend la fin du monologue : "…s'il est instruit ou non de mon amour pour Suzanne" et se prépare, en aparté, à la joute : "Nous y voilà". Dès lors, chacun va mesurer son adversaire et l'attaquer pour mieux frapper. L'ancienne complicité du Barbier de Séville se transforme en rivalité et, un noble ne pouvant se battre avec un roturier, en particulier avec un valet, le duel restera verbal.


Lecture de la scène 5 de l'acte 3

Acte 3 - Scène 5
LE COMTE, FIGARO.


[…]

Le Comte, à part.
Il veut venir à Londres ; elle n’a pas parlé.
Figaro, à part.
Il croit que je ne sais rien ; travaillons-le un peu dans son genre.
Le Comte.
Quel motif avait la comtesse pour me jouer un pareil tour ?
Figaro.
Ma foi, monseigneur, vous le savez mieux que moi.
Le Comte.
Je la préviens sur tout, et la comble de présents.
Figaro.
Vous lui donnez, mais vous êtes infidèle. Sait-on gré du superflu à qui nous prive du nécessaire ?
Le Comte.
… Autrefois tu me disais tout.
Figaro.
Et maintenant je ne vous cache rien.
Le Comte.
Combien la comtesse t’a-t-elle donné pour cette belle association ?
Figaro.
Combien me donnâtes-vous pour la tirer des mains du docteur ? Tenez, monseigneur, n’humilions pas l’homme qui nous sert bien, crainte d’en faire un mauvais valet.
Le Comte.
Pourquoi faut-il qu’il y ait toujours du louche en ce que tu fais ?
Figaro.
C’est qu’on en voit partout quand on cherche des torts.
Le Comte.
Une réputation détestable !
Figaro.
Et si je vaux mieux qu’elle ? Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ?
Le Comte.
Cent fois je t’ai vu marcher à la fortune, et jamais aller droit.
Figaro.
Comment voulez-vous ? La foule est là : chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse ; arrive qui peut, le reste est écrasé. Aussi c’est fait ; pour moi, j’y renonce.
Le Comte.
À la fortune ? (À part.) Voici du neuf.
Figaro.
(À part.) À mon tour maintenant. (Haut.) Votre Excellence m’a gratifié de la conciergerie du château ; c’est un fort joli sort : à la vérité, je ne serai pas le courrier étrenné des nouvelles intéressantes ; mais, en revanche, heureux avec ma femme au fond de l’Andalousie…
Le Comte.
Qui t’empêcherait de l’emmener à Londres ?
Figaro.
Il faudrait la quitter si souvent, que j’aurais bientôt du mariage par-dessus la tête.
Le Comte.
Avec du caractère et de l’esprit, tu pourrais un jour t’avancer dans les bureaux.
Figaro.
De l’esprit pour s’avancer ? Monseigneur se rit du mien. Médiocre et rampant, et l’on arrive à tout.
Le Comte.
…Il ne faudrait qu’étudier un peu sous moi la politique.
Figaro.
Je la sais.
Le Comte.
Comme l’anglais : le fond de la langue !
Figaro.
Oui, s’il y avait ici de quoi se vanter. Mais feindre d’ignorer ce qu’on sait, de savoir tout ce qu’on ignore ; d’entendre ce qu’on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu’on entend ; surtout de pouvoir au delà de ses forces ; avoir souvent pour grand secret de cacher qu’il n’y en a point ; s’enfermer pour tailler des plumes, et paraître profond quand on n’est, comme on dit, que vide et creux ; jouer bien ou mal un personnage ; répandre des espions et pensionner des traîtres ; amollir des cachets, intercepter des lettres, et tâcher d’ennoblir la pauvreté des moyens par l’importance des objets : voilà toute la politique, ou je meure !
Le Comte.
Eh ! c’est l’intrigue que tu définis !
Figaro.
La politique, l’intrigue, volontiers ; mais, comme je les crois un peu germaines, en fasse qui voudra ! J’aime mieux ma mie, oh gai ! comme dit la chanson du bon roi.

[…]

    Le Mariage de Figaro - Beaumarchais - Acte III, scène 5




Annonce des axes

I. La rivalité amoureuse entre le Comte et Figaro
1. Une relation tout d'abord plutôt cordiale
2. L'habileté rhétorique de Figaro
3. Crescendo de la violence verbale

II. L'affrontement social et la satire de la politique
1. L'affrontement individuel prend une dimension collective
2. Une prise de position pour le tiers état
3. La satire de la politique



Commentaire littéraire

I. La rivalité amoureuse entre le Comte et Figaro

1. Une relation tout d'abord plutôt cordiale

Les deux apartés qui ouvrent l'extrait étudié annoncent le projet de chaque personnage, chacun cherchant à entraîner le public de son côté (implication du public). Le public est donc pris à témoin est sait ce que chaque personnage ne sait pas. Dans la suite de l'extrait, d'autres apartés seront adressées au public (annoncées par la didascalie "à part")
Déjà on pressent la supériorité de Figaro (rappelons qu'au début de la scène il a entendu les dernières phrases du Comte).

Nous assistons ensuite à l'ouverture des hostilités :
- Le Comte ouvre le duel par un détour, feignant de traiter Figaro en confident ("Quel motif avait la comtesse pour me jouer un pareil tour ?", "Autrefois tu me disais tout"), il tente d'élucider l'épisode du cabinet. Ainsi le Comte fait référence à son passé commun avec Figaro dans Le Barbier de Séville pour tenter d'amadouer Figaro.
- Dérobade de Figaro qui garde le secret et renvoie le maître à ses responsabilités ("vous le savez mieux que moi").
- Figaro joue pourtant son rôle de conseiller, sans ménagement, mais amicalement tout de même : il emploie une concession "Vous lui donnez", mais rétablit juste après la vérité "mais vous êtes infidèle". Le ton devient plus moralisateur avec la formule plus générale qui suit ("Sait-on gré du superflu à qui nous prive du nécessaire ?" => le comte peut donner tous les cadeaux qu'il veut à la comtesse, cela ne l'excuse pas d'être infidèle).


2. L'habileté rhétorique de Figaro

Figaro utilise antithèse et parallélisme qui opposent les manifestations extérieures de la relation conjugale (cadeaux…) à l'authenticité des sentiments. Figaro révèle l'écart entre la générosité, le luxe "superflu" et la réalité du délaissement de la femme par l'époux, le "nécessaire" étant l'amour vrai.
Cette franche dénonciation se fait habilement par le biais de la généralisation (pronoms "on", "qui"), et invite le comte à un examen de conscience.


3. Crescendo de la violence verbale

Nouvelle attaque : le Comte reproche à Figaro sa trahison, évoque une période de connivence révolue "Autrefois tu me disais tout", tentant ainsi de culpabiliser Figaro.

La réponse de Figaro est immédiate et cinglante : elle reprend terme à terme la réplique du comte ("Et maintenant je ne vous cache rien."). Figaro manifeste ainsi sa vivacité d'esprit et sa virtuosité verbale, habile à détourner les propos de son maître pour les réutiliser contre lui.

Nous retrouvons les mêmes procédés dans six répliques suivantes :
A l'accusation plus violente du comte (antiphrase méprisante "cette belle association"), Figaro répond promptement, avec une réplique également construite en parallèle avec la reprise de la même tournure syntaxique que celle du comte.
Le changement de pronoms renforce le reproche : Figaro se plaint de l'ingratitude d'un maître qu'il a auparavant servi avec dévouement. Là encore on admire la virtuosité de Figaro, capable de saisir au vol des attaques pour les inverser et les retourner contre son expéditeur.


Transition : le valet change ici de dimension, d'épaisseur : par sa vivacité presque bouffonne et son impertinence, il s'apparente encore aux valets de la comédie traditionnelle. Mais on voit bien ici qu'il se rapproche de son maître : ils ont le même âge, les mêmes préoccupations (les femmes, et surtout la possession de Suzanne), même sur deux plans différents (libertinage/ mariage d'amour), et sont tous deux jaloux.
Le plus remarquable dans cette scène est cette égalité de parole, d'autant plus déconcertante pour le lecteur qu'en fait elle révèle l'écrasante supériorité de Figaro sur son maître. La rivalité amoureuse se transforme dans la suite du passage en affrontement sur le plan social.


II. L'affrontement social et la satire de la politique

1. L'affrontement individuel prend une dimension collective

Contraste entre le "tu" (phrases du comte) et le "on" employé par Figaro.

"n'humilions pas" : impératif présent à valeur de précepte valable de tout temps, et première personne du pluriel, donc généralisation.

De plus Figaro emploie des termes génériques pour établir une distinction entre "l'homme" et "un valet", et pour valoriser la nature humaine au détriment de la condition sociale susceptible de dégrader l'individu : les défauts ne s'expliquent plus par la naissance…, c'est la fonction de valet qui crée le coquin, le voleur…

Figaro se veut ainsi le défenseur du peuple contre abus du pouvoir.


2. Une prise de position pour le tiers état

Les trois accusations du comte contre Figaro révèlent une escalade dans la violence : on note en effet une gradation des termes empruntés au champ lexical de la tromperie, de la dissimulation ("cette belle association ?", "du louche", "réputation détestable", "jamais aller droit") : c'est l'image traditionnelle du valet fourbe.

Les ripostes de Figaro elles aussi prennent de l'ampleur et visent, à travers le comte, toute la noblesse. Quand le comte l'accuse d'avoir mauvaise réputation car il est valet, il répond "Et si je vaux mieux qu’elle ? Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ?". On révèle l'opposition entre le pronom personnel "je" et les "seigneurs" qui exprime une catégorie indistincte : Figaro exprime ici sa supériorité morale par rapport aux nobles. Il remet en cause la considération due aux biens-nés (nobles de naissance).

Ce passage propose, par la bouche de Figaro, une véritable peinture du tiers-état avec une prise de position évidente : la défense des humbles, des petits écrasés par les puissants :
- Accumulation de verbes d'action empruntés au champ lexical de la rivalité ("chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse") pour exprimer toutes les violences qui s'exercent sur le peuple (représenté par le pronom indéfini "on").
- Les victimes les plus touchées par cette effroyable compétition sociale sont même réduites par l'expression péjorative "le reste" : "arrive qui peut, le reste est écrasé".
- Par cette phrase Beaumarchais dénonce la grande inégalité dans la course à l'ascension sociale : la nécessité de lutter pour quiconque est privé des privilèges liés à la naissance.


3. La satire de la politique

Dans cette scène 5 de l'Acte 3, la tirade sur la politique est remarquable ("Oui, s’il y avait ici de quoi se vanter…").

La satire de la politique est annoncée quelques répliques auparavant par Figaro : "Médiocre et rampant, et l’on arrive à tout." => cela signifie qu'il n'est nul besoin d'avoir de l'esprit pour réussir, bien au contraire.
Encore une fois, Figaro fait preuve de beaucoup d'éloquence, par exemple avec le chiasme "d’entendre ce qu’on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu’on entend". Il fait une énumération des défauts de la politique, dans une grande phrase qui semble n'être dite que dans un souffle, qui est lourde d'accusations et qui montre sa colère.

Dans sa tirade sur la politique, Figaro utilise le champ lexical de l'apparence, du paraître (verbes feindre, entendre, ignorer, pouvoir, paraître, jouer).

Les attaques de Figaro sont explicites : "vide et creux", "répandre des espions"...

Le Comte lui-même résume l'idée par ces mots : "c’est l’intrigue que tu définis !", et Figaro répond que intrigue et politique sont liés "je les crois un peu germaines" (germaines = cousines).

Finalement, Figaro conclue en chantant qu'il aime mieux l'amour à la politique et à la réussite sociale : "J’aime mieux ma mie, oh gai  !"


Bilan de la partie II : Nous avons assisté à un échange nourri d'implicite et de symboles qui permet à Figaro d'opposer deux groupes sociaux : deux hommes jeunes et intelligents, mais dans la joute oratoire, c'est le valet qui a le beau rôle, tandis que l'image du grand seigneur libertin pâlit.





Conclusion

    Dans cette scène 5 de l'acte III du Mariage de Figaro, une scène de pause, des hommes se mesurent, et révèlent plus profondément leur personnalité. Cette joute verbale prend l'ampleur d'un affrontement entre le tiers-état et la noblesse, avec un rapport de forces qui tourne à l'avantage de Figaro, doté d'un talent supérieur.
    Ce changement de point de vue dramatique correspond à une mutation sociale et historique : la pièce, jouée cinq ans avant la révolution française, affirme les droits du tiers-état, puisque Figaro dépasse son intérêt personnel et devient le porte-parole des roturiers et fait valoir leurs droits.
    La distinction établie entre l'homme et sa condition correspond bien par ailleurs à l'esprit des Lumières.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur la scène 5 de l'acte III de Le Mariage de Figaro de Beaumarchais