La Bête humaine

Emile Zola

Chapitre 11 : le meurtre de Séverine

De "Chez Séverine, après la montée ardente..." à "...de la maison endormie."




Plan de la fiche sur le chapitre 11 de La Bête humaine de Emile Zola :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    La Bête humaine est un roman d'Emile Zola qui fut publié en 1890, dix-septième volume de la série Les Rougon-Macquart.
    Dans cet extrait du chapitre 11 que nous étudions, le soir prévu pour le crime de Roubaud, dans la fièvre de l’attente auprès de Séverine dévêtue, Jacques est repris de sa folie meurtrière et égorge sa maîtresse.


Texte étudié


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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com



    Immobile, Jacques maintenant la regardait, allongée à ses pieds, devant le lit. Le train se perdait au loin, il la regardait dans le lourd silence de la chambre rouge. Au milieu de ces tentures rouges, de ces rideaux rouges, par terre, elle saignait beaucoup, d'un flot rouge qui ruisselait entre les seins, s'épandait sur le ventre, jusqu'à une cuisse, d'où il retombait en grosses gouttes sur le parquet. La chemise, à moitié fendue, en était trempée. Jamais il n'aurait cru qu'elle avait tant de sang. Et ce qui le retenait, hanté, c'était le masque d'abominable terreur que prenait, dans la mort, cette face de femme jolie, douce, si docile. Les cheveux noirs s'étaient dressés, un casque d'horreur, sombre comme la nuit. Les yeux de pervenche, élargis démesurément, questionnaient encore, éperdus, terrifiés du mystère. Pourquoi, pourquoi l'avait-il assassinée ? Et elle venait d'être broyée, emportée dans la fatalité du meurtre, en inconsciente que la vie avait roulée de la boue dans le sang, tendre et innocente quand même, sans qu'elle eût jamais compris.
    Mais Jacques s'étonna. Il entendait un reniflement de bête, grognement de sanglier, rugissement de lion ; et il se tranquillisa, c'était lui qui soufflait. Enfin, enfin ! il s'était donc contenté, il avait tué ! Oui, il avait fait ça. Une joie effrénée, une jouissance énorme le soulevait, dans la pleine satisfaction de l'éternel désir. Il en éprouvait une surprise d'orgueil, un grandissement de sa souveraineté de mâle. La femme, il l'avait tuée, il la possédait, comme il désirait depuis si longtemps la posséder, tout entière, jusqu'à l'anéantir. Elle n'était plus, elle ne serait jamais plus à personne.

La Bête humaine - extrait du chapitre 11 - Zola




Annonce des axes

I. Un tableau dramatique et macabre
II. La jouissance de l’assassin
III. Une dimension mythique : la guerre des sexes



Commentaire littéraire

I. Un tableau dramatique et macabre

Intervenant immédiatement après le meurtre de Séverine, cette scène revêt un aspect dramatique. Le roman nous montre pour la première fois la fureur meurtrière de Jacques poussée à son extrême limite, la déraison et le crime. Il signale également la disparition de l’un des personnages principaux, Séverine et marque donc une rupture parmi le système tripartite constitué par Roubaud (le mari), Séverine (l’épouse adultère) et Jacques (l’amant).
De plus, à travers la contemplation béate de Jacques, encore sous l’emprise de sa folie, Zola nous brosse un tableau morbide et funèbre. Il s’agit d’abord de la dépouille gisante de Séverine la gorge tranchée dont l’évocation sanguinolente nous est dépeinte avec force détails : "par terre, elle saignait beaucoup, d’un flot rouge qui ruisselait entre les seins, s’épandait sur le ventre, jusqu’à une cuisse, d’où il retombait en grosses gouttes sur le parquet. La chemise, à moitié fendue, en était trempée.". Il ne faut pourtant pas s’y tromper. Pour naturaliste que puisse paraître cette description, elle pêche cependant par une débauche de précisions et une volonté affichée de stylisation. La tête de la morte nous est ainsi présentée comme celle d’un monstre obscène et effrayant : "Les cheveux noirs s’étaient dressés, un casque d’horreur, sombre comme la nuit.". Avec le rouge, le noir s’impose par là comme la couleur dominante de ce tableau.
La pléthore sémantique de l’effroyable est relayée par les éléments du décor et l’atmosphère qui se dégage de la pièce. Le rouge, omniprésent dans toute l’œuvre, agit à la manière d’un motif lancinant et obsédant indissociable de l’atmosphère pesante, voire asphyxiante de la chambre : "il la regardait dans le silence lourd de la chambre rouge. Au milieu de ces tentures rouges, de ces rideaux rouges, par terre, elle saignait beaucoup, d’un flot rouge". Hyperboles (les pluriels multiplicateurs, "beaucoup", "flot", "ruisselait", "s’épandait", "grosses gouttes"), et répétitions ("rouge" revient quatre fois en deux phrases) achèvent par ailleurs de créer une ambiance menaçante.

Cette scène, digne d’un roman noir, ne nous représente pas seulement le tableau d’une morte encore agonisante, elle rapporte également le portrait de son assassin.


II. La jouissance de l’assassin


A la vue du cadavre de Séverine, Jacques, son meurtrier, ressent une vive fascination, davantage encore, il paraît éprouver une mystérieuse extase. Comme hypnotisé par le spectacle de la morte, Jacques se repaît dans une pose victorieuse : "Immobile, Jacques maintenant la regardait, allongée à ses pieds, devant le lit.". Le délice de cette victoire, l’assassin semble y goûter de toute éternité. Cet état de béatitude est d’ailleurs rendu grâce à l’emploi de l’imparfait duratif.

Il apparaît en fait que Jacques ait un double motif de satisfaction : d’abord par l’acte accompli, le crime, puis par le résultat apporté, la mort de Séverine. Ces deux sujets de ravissement se mêlent dans le sentiment de profonde jouissance qu’éprouve Jacques : "Enfin, enfin ! il s’était contenté, il avait tué ! Oui, il avait fait ça. Une joie effrénée, une jouissance énorme le soulevait, dans la pleine satisfaction de l’éternel désir.". Au reste pour Jacques, "hanté" et bouleversé d’extase et d’horreur, tout se confond. Il paraît plongé dans un état de profonde hébétude comme en témoignent ses commentaires simplets ici rapportés au discours indirect libre : "Jamais il n’aurait cru qu’elle avait tant de sang.". Malgré quelques tentatives, il reste d’ailleurs bien incapable de résonner : "Pourquoi, pourquoi l’avait-il assassinée ?". Son questionnement ne renvoie à aucune réponse. Tout au mieux invoque-t-il "la fatalité du meurtre", avant de retomber dans l’inintelligible et l’étonnement. A peine se reconnaît-il ou plutôt reconnaît-il en lui cet autre, la bête haletante : "Mais Jacques s’étonna. Il entendait un reniflement de bête, grognement de sanglier, rugissement de lion ; et il se tranquillisa, c’était lui qui soufflait.". Enfin cet incompréhensible des choses s’accompagne même chez le personnage d’un indicible. Tout se réduit à un langage minimal : "Enfin, enfin ! il s’était donc contenté", "Oui, il avait fait ça.".

Il reste qu’à travers la furie criminelle de Jacques et les réactions désordonnées qu’elle engendre, Emile Zola vise à conférer à cette scène tragique une portée mythique : la rivalité ancestrale et primitive des sexes.


III. Une dimension mythique : la guerre des sexes

Dans le chapitre I, après l’aveu de dépravation de Séverine, dans une phrase nominale binaire, Zola explique l’antithèse symbolique qui résume la jeune femme : "Instrument d’amour, instrument de mort". Elle est donc double : Eros et Thanatos. En écoutant ses confidences sur le crime de Grandmorin (chapitre VIII), Jacques découvre cette dualité inquiétante : la femme désirée, et même possédée, détruit.

Tuer Séverine est d’abord une nécessité, une réaction de défense contre l’agression d’une nudité violente, contre un désir qui semble le menacer : "Elle avait fini par l’acculer à la table, et il ne pouvait plus la fuir davantage, il la regardait, dans la vive clarté de la lampe. Jamais il ne l’avait vue ainsi, la chemise ouverte, coiffée si haut, qu’elle était toute nue, le cou nu, les seins nus. Il étouffait, luttant, déjà emporté, étourdi par le flot de son sang, dans l’abominable frisson." (chapitre XI). Jacques ne perçoit alors en Séverine que la menace du sexe féminin, "le gouffre noir" (chapitre XI), vertigineux et impossible à posséder autrement que dans sa destruction. Aussi une fois morte, Séverine n’apparaît-elle à Jacques que sous le masque ignominieux et redoutable de l’horreur : "Et ce qui le retenait, hanté, c’était le masque d’abominable terreur que prenait, dans la mort, cette face de femme jolie, douce, si docile. [...] Les yeux de pervenche, élargis démesurément, questionnaient encore, éperdus, terrifiés du mystère.".

Ainsi Jacques tue pour ne pas être diminué lui-même, pour dompter définitivement et posséder enfin la castratrice, pour se rassurer sur sa virilité : "Oui, il avait fait ça. Une joie effrénée, une jouissance énorme le soulevait, dans la pleine satisfaction de l’éternel désir. Il en éprouvait une surprise d’orgueil, un grandissement de sa souveraineté de mâle. La femme, il l’avait tuée, il la possédait, comme il désirait depuis si longtemps la posséder, toute entière, jusqu’à l’anéantir.". Transporté par une jouissance morbide et vengeresse, Jacques domine enfin la Femme originaire dont l’un des leitmotive du roman rappelle sans cesse la trahison à l’origine de la haine ancestrale des mâles contre les femmes. Avec ce meurtre Jacques satisfait la "soif toujours renaissante de venger des offenses très anciennes, dont il aurait perdu l’exacte mémoire" (chapitre II).





Conclusion

    En faisant de la guerre des sexes l’un des grands conflits fondateurs de l’humanité, Emile Zola prête à ce crime une dimension mythique. La violence menaçante de la chair féminine sera au début du XXe siècle l’un des sujets de prédilection de l’expressionnisme pictural et Kokoschka en particulier donnera lui aussi une valeur mythique au conflit des sexes.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur le chapitre 11 de La Bête humaine de Emile Zola