Electre

Jean Giraudoux

Acte I, scène 2

De "LE PRÉSIDENT. – Tu vas la comprendre" à "c’est l’unanime capitulation."




Plan de la fiche sur l'acte I, Scène 2 de Electre de Jean Giraudoux :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    A la fin de l'année 1936, Jean Giraudoux (1882 - 1944) écrit sa pièce, Electre représentée pour la première fois à Paris au printemps 1937. A cette époque, de nombreux écrivains, comme Cocteau, s'inspire des grands mythes de l'antiquité et poursuivent ainsi la tradition ; mais Giraudoux fait une œuvre originale en transformant le désir de vengeance en quête de la vérité.


Lecture du texte

Remarque : travailler la lecture : différencier autant que possible les personnages (un vieillard, une jeune idiote et un noble personnage : l’étranger). Travailler les enchaînements (interruptions) et fixer si besoin est les respirations.

ACTE PREMIER
SCÈNE 2

[...]

LE PRÉSIDENT. – Tu vas la comprendre : la vie peut être très agréable n’est-ce pas ?
AGATHE. – Très agréable… Infiniment agréable !
LE PRÉSIDENT. – Ne m’interromps pas, chérie, surtout pour dire la même chose… Elle peut être très agréable. Tout a plutôt tendance à s’arranger dans la vie. La peine morale s’y cicatrise autrement vite que l’ulcère, et le deuil que l’orgelet. Mais prends au hasard deux groupes d’humains : chacun contient le même dosage de crime, de mensonge, de vice ou d’adultère…
AGATHE. – C’est un bien gros mot, adultère, chéri…
LE PRÉSIDENT. – Ne m’interromps pas, surtout pour me contredire. D’où vient que dans l’un l’existence s’écoule douce, correcte, les morts s’oublient, les vivants s’accommodent d’eux-mêmes, et que dans l’autre, c’est l’enfer ? C’est simplement que dans le second il y a une femme à histoires.
L’ÉTRANGER. – C’est que le second a une conscience.
AGATHE. – J’en reviens à ton mot adultère. C’est quand même un bien gros mot !
LE PRÉSIDENT. – Tais-toi, Agathe. Une conscience ! Croyez-vous ! Si les coupables n’oublient pas leurs fautes, si les vaincus n’oublient pas leurs défaites, les vainqueurs leurs victoires, s’il y a des malédictions, des brouilles, des haines, la faute n’en revient pas à la conscience de l’humanité, qui est toute propension vers le compromis et l’oubli, mais à dix ou quinze femmes à histoires !
L’ÉTRANGER. – Je suis bien de votre avis. Dix ou quinze femmes à histoires ont sauvé le monde de l’égoïsme.
LE PRÉSIDENT. – Elles l’ont sauvé du bonheur ! Je la connais Électre ! Admettons qu’elle soit ce que tu dis, la justice, la générosité, le devoir. Mais c’est avec la justice, la générosité, le devoir, et non avec l’égoïsme et la facilité, que l’on ruine l’état, l’individu et les meilleures familles.
AGATHE. – Absolument… Pourquoi, chéri ? Tu me l’as dit, j’ai oublié !…
LE PRÉSIDENT. – Parce que ces trois vertus comportent le seul élément vraiment fatal à l’humanité, l’acharnement. Le bonheur n’a jamais été le lot de ceux qui s’acharnent. Une famille heureuse, c’est une reddition locale. Une époque heureuse, c’est l’unanime capitulation.

[...]

Electre - Jean Giraudoux - ACTE I, Scène 1 (début de la scène)



Annonce des axes

I. Un couple ridicule
II. Le système du président se heurte à celui de l’étranger



Commentaire littéraire

I. Un couple ridicule

Le dialogue entre ce vieux notable sentencieux et sa jeune épouse écervelée relève de la comédie voire du théâtre de boulevard.

Les interruptions d’Agathe : elles reprennent les mots du président ("agréable", "adultère") pour les renforcer ("très", "infiniment") ou les atténuer ("gros mot") : cela n’apporte rien au débat mais la gène d’Agathe par rapport à la notion d’adultère annonce la suite. La dernière réplique d’Agathe confirme la sottise d’une femme qui approuve avant de comprendre "Absolument... Pourquoi, chéri ? Tu me l’as dit, j’ai oublié !...".

Le radotage du président : la phrase d’Agathe "tu me l’as dis" dévoile un automatisme, un point de vue que le président dois répéter régulièrement. On observe d’ailleurs une construction ternaire, très rhétorique de son discours : 3 vertus, 3 victimes, 3 calamités. Mais l’anaphore de l’impératif "ne m’interromps pas" souligne l’inconsistance du président : contradiction absolue entre les deux arguments "surtout pour dire la même chose" / "surtout pour me contredire".

L’évolution du dialogue : le ton du président monte jusqu’au "Tais toi, Agathe !", ce qui contraste avec le retour du terme affectueux "chéri". Finalement, le président ignore totalement sa femme => dialogue absurde = dialogue de sourd.


II. Le système du président se heurte à celui de l’étranger

Une divergence sur le vocabulaire. Les deux personnages se querellent sur les mots "femmes à histoires" -> "conscience", "égoïsme" -> "bonheur".

L’étranger emploie une antiphrase "je suis bien de votre avis" pour valoriser par désaccord. La vision de l’étranger se dégage implicitement des propos du président qui la contredisent : "justice, la générosité, le devoir et l’acharnement". Electre est celle qui a refusé la loi habituelle : "Les morts s’oublient, les vivants s’accordent d’eux-mêmes".

Un idéal de la médiocrité. Champ lexical du confort, "agréable" répété 4 fois. "existence douce correcte égoïsme facilité". Dans cette perspective le bonheur lui-même est associé à une perte de liberté et d’autonomie : "reddition" "capitulation" = esclavage de l’antiquité. Le président dissèque l’humanité et matérialise les douleurs affectives, la peine morale est comparée à l’ulcère et le deuil à l’orgelet : deux métaphores de l’infection. "dosage" : manipulation de chimiste ou de pharmacien.

Les conséquences se dessinent d’une manière inquiétante : là où l’étranger voit une rédemption ("sauver le monde"), le président parle des pires catastrophes : "enfer, malédictions, brouilles, haines, ruine".





Conclusion

    Deux groupes s’opposent définitivement dans Electre : les partisans du compromis et de l’oubli et ceux qui s’acharnent.

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Merci à Jérémy pour cette analyse sur l'acte I, Scène 2 de Electre de Jean Giraudoux