CANDIDE - Voltaire

Chapitre huitième - Histoire de Cunégonde





Plan de la fiche sur le chapitre 8 de Candide de Voltaire :
Introduction
Texte du chapitre 8
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Après que Candide ait été chassé du château par le baron, Cunégonde ne reste pas longtemps en paix. Le récit de sa vie depuis le départ de Candide est introduit par la fin du chapitre 7. Il s’agit donc d’un récit enchâssé.


Texte du chapitre 8


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Chapitre huitième
Histoire de Cunégonde

« J'étais dans mon lit et je dormais profondément, quand il plut au ciel d'envoyer les Bulgares dans notre beau château de Thunder-ten-tronckh ; ils égorgèrent mon père et mon frère, et coupèrent ma mère par morceaux. Un grand Bulgare, haut de six pieds, voyant qu'à ce spectacle j'avais perdu connaissance, se mit à me violer ; cela me fit revenir, je repris mes sens, je criai, je me débattis, je mordis, j'égratignai, je voulais arracher les yeux à ce grand Bulgare, ne sachant pas que tout ce qui arrivait dans le château de mon père était une chose d'usage : le brutal me donna un coup de couteau dans le flanc gauche dont je porte encore la marque. -- Hélas ! j'espère bien la voir, dit le naïf Candide. -- Vous la verrez, dit Cunégonde ; mais continuons. -- Continuez », dit Candide.
Elle reprit ainsi le fil de son histoire : « Un capitaine bulgare entra, il me vit toute sanglante, et le soldat ne se dérangeait pas. Le capitaine se mit en colère du peu de respect que lui témoignait ce brutal, et le tua sur mon corps. Ensuite il me fit panser, et m'emmena prisonnière de guerre dans son quartier. Je blanchissais le peu de chemises qu'il avait, je faisais sa cuisine ; il me trouvait fort jolie, il faut l'avouer ; et je ne nierai pas qu'il ne fût très bien fait, et qu'il n'eût la peau blanche et douce ; d'ailleurs peu d'esprit, peu de philosophie : on voyait bien qu'il n'avait pas été élevé par le docteur Pangloss. Au bout de trois mois, ayant perdu tout son argent et s'étant dégoûté de moi, il me vendit à un Juif nommé don Issacar, qui trafiquait en Hollande et en Portugal, et qui aimait passionnément les femmes. Ce Juif s'attacha beaucoup à ma personne, mais il ne pouvait en triompher ; je lui ai mieux résisté qu'au soldat bulgare. Une personne d'honneur peut être violée une fois, mais sa vertu s'en affermit. Le Juif, pour m'apprivoiser, me mena dans cette maison de campagne que vous voyez. J'avais cru jusque-là qu'il n'y avait rien sur la terre de si beau que le château de Thunder-ten-tronckh ; j'ai été détrompée.
« Le grand inquisiteur m'aperçut un jour à la messe, il me lorgna beaucoup, et me fit dire qu'il avait à me parler pour des affaires secrètes. Je fus conduite à son palais ; je lui appris ma naissance ; il me représenta combien il était au-dessous de mon rang d'appartenir à un Israélite. On proposa de sa part à don Issacar de me céder à monseigneur. Don Issacar, qui est le banquier de la cour et homme de crédit, n'en voulut rien faire. L'inquisiteur le menaça d'un auto-da-fé. Enfin mon Juif, intimidé, conclut un marché, par lequel la maison et moi leur appartiendraient à tous deux en commun : que le Juif aurait pour lui les lundis, mercredis et le jour du sabbat, et que l'inquisiteur aurait les autres jours de la semaine. Il y a six mois que cette convention subsiste. Ce n'a pas été sans querelles ; car souvent il a été indécis si la nuit du samedi au dimanche appartenait à l'ancienne loi ou à la nouvelle. Pour moi, j'ai résisté jusqu'à présent à toutes les deux, et je crois que c'est pour cette raison que j'ai toujours été aimée.
« Enfin, pour détourner le fléau des tremblements de terre, et pour intimider don Issacar, il plut à monseigneur l'inquisiteur de célébrer un auto-da-fé. Il me fit l'honneur de m'y inviter. Je fus très bien placée ; on servit aux dames des rafraîchissements entre la messe et l'exécution. Je fus, à la vérité, saisie d'horreur en voyant brûler ces deux Juifs et cet honnête Biscayen qui avait épousé sa commère ; mais quelle fut ma surprise, mon effroi, mon trouble, quand je vis, dans un san-benito et sous une mitre, une figure qui ressemblait à celle de Pangloss ! Je me frottai les yeux, je regardai attentivement, je le vis pendre ; je tombai en faiblesse. À peine reprenais-je mes sens que je vous vis dépouillé tout nu : ce fut là le comble de l'horreur, de la consternation, de la douleur, du désespoir. Je vous dirai, avec vérité, que votre peau est encore plus blanche et d'un incarnat plus parfait que celle de mon capitaine des Bulgares. Cette vue redoubla tous les sentiments qui m'accablaient, qui me dévoraient. Je m'écriai, je voulus dire : " Arrêtez, barbares ! " mais la voix me manqua, et mes cris auraient été inutiles. Quand vous eûtes été bien fessé : « Comment se peut-il faire, disais-je, que l'aimable Candide et le sage Pangloss se trouvent à Lisbonne, l'un pour recevoir cent coups de fouet, et l'autre pour être pendu par l'ordre de monseigneur l'inquisiteur dont je suis la bien-aimée ? Pangloss m'a donc bien cruellement trompée quand il me disait que tout va le mieux du monde. »
« Agitée, éperdue, tantôt hors de moi-même, et tantôt prête de mourir de faiblesse, j'avais la tête remplie du massacre de mon père, de ma mère, de mon frère, de l'insolence de mon vilain soldat bulgare, du coup de couteau qu'il me donna, de ma servitude, de mon métier de cuisinière, de mon capitaine bulgare, de mon vilain don Issacar, de mon abominable inquisiteur, de la pendaison du docteur Pangloss, de ce grand miserere en faux-bourdon pendant lequel on vous fessait, et surtout du baiser que je vous avais donné derrière un paravent, le jour que je vous avais vu pour la dernière fois. Je louai Dieu qui vous ramenait à moi par tant d'épreuves. Je recommandai à ma vieille d'avoir soin de vous, et de vous amener ici dès qu'elle le pourrait. Elle a très bien exécuté ma commission ; j'ai goûté le plaisir inexprimable de vous revoir, de vous entendre, de vous parler. Vous devez avoir une faim dévorante ; j'ai grand appétit ; commençons par souper. »
Les voilà qui se mettent tous deux à table ; et après le souper, ils se replacent sur ce beau canapé dont on a déjà parlé ; ils y étaient quand le signor don Issacar, l'un des maîtres de la maison, arriva. C'était le jour du sabbat. Il venait jouir de ses droits, et expliquer son tendre amour.

Extrait de Candide - Voltaire



Annonce des axes

I. Cunégonde libertine
1. Plusieurs indices du libertinage de Cunégonde
2. L’amour courtois

II. Cunégonde victime
1. Cunégonde ballottée par les évènements
2. Un changement de vie brutal



Commentaire littéraire

I. Cunégonde libertine

1. Plusieurs indices du libertinage de Cunégonde

2. L’amour courtois

Au Moyen-Age, l’amour courtois met en scène un homme prêt à tout pour sa dame. On le retrouve dans la pléiade avec Ronsard dans Ode à Cassandre.
Dans l’amour courtois plusieurs éléments :
- l’importance de la parole
- dévouement de Candide pour Cunégonde
- parodie des romans sentimentaux où une belle héroïne résiste aux assauts de ses séducteurs.

Cunégonde prétend résister à don Issacar et à l’Inquisiteur « pour moi j’ai résisté » alors qu’elle ne peut pas à cause de leurs violences. Elle adopte le double langage des courtisanes qui prétendent être vertueuses alors qu’elles ne le sont pas.
Elle manipule de même Candide.
- le cadre est celui des rendez-vous galants : maison isolée avec un escalier caché, et un canapé. On retrouve ces caractéristiques dans le roman libertin du 18ème siècle (Les Liaisons Dangereuses de Laclos).
- L’image véhiculée par Cunégonde témoigne d’une revendication du droit au plaisir.


II. Cunégonde victime

1. Cunégonde ballottée par les évènements

Termes qui montrent que Cunégonde est victime de 4 hommes :
- « quand il plût au ciel d’envoyer les Bulgares dans notre beau château »
A ce moment débute le cauchemar de Cunégonde.
- « Un grand Bulgare […] dans le flan gauche » -> pour elle il s’agit d’une blessure physique et psychologique.
- « un capitaine bulgare … dans ses quartiers […] je blanchissais … fort jolie. » -> la liberté de Cunégonde est aliénée, et la femme est ici présentée comme un objet de désirs. Pour elle, il y a un changement de situation sociale : elle est amenée de princesse à objet.
- « au bout de trois mois […] triompher » -> elle est vendue à un juif comme un objet dont on ne veut plus « dégoûté de moi »
- « le grand inquisiteur [...] à tous deux en commun » -> elle est monnayée et appartient à deux hommes comme la maison.

Cunégonde est ballottée d’hommes en hommes comme un objet et se laisse traiter comme tel.


2. Un changement de vie brutal

Un changement d’ordre social :
Elle passe de fille de baron à domestique d’un capitaine -> inversion des rôles.

Une perte de la naïveté :
La première phrase montre qu’elle passe de l’enfant à l’âge adulte. C’est une transition.
Cunégonde pour sa première relation charnelle se fait violer et de plus se fait poignarder, acte dont elle « porte encore la marque » (physique et psychologique).



Conclusion

    Dans ce chapitre de Candide, Voltaire met fin aux illusions des personnages. La philosophie de Pangloss est remise en cause « Pangloss m’a cruellement trompée quand il me disait que tout va le mieux du monde ». L’utopie du départ n’était qu’un prétexte pour dénoncer les travers des hommes et la société : guerres, tortures religieuses… Cet extrait de Candide dénonce aussi l’infamie.
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Merci à Thibaud pour cette analyse sur le Chapitre 8 de Candide de Voltaire