Automne malade

Guillaume Apollinaire - Alcools









Introduction

Biographie de l'auteur : Guillaume Apollinaire naît à Rome en 1880. Il a aussi bien une grande culture artistique que littéraire. Son premier travail est d'être précepteur d'une jeune aristocrate en Rhénanie (Allemagne). L'influence de ce séjour de presque un an en Allemagne se retrouve dans beaucoup de poésies, notamment dans Automne malade à travers une référence à la mythologie germanique. En 1907, il s'établit à Paris. Ce sera un ami très proche de Picasso. Il aura une liaison avec Marie Laurencin (une peintre), avec laquelle il vivra jusqu'en 1912. Il est mobilisé en 1914, blessé en 1916, trépané. Il est mort tragiquement de la grippe espagnole en 1918 alors qu'il venait juste de se marier.

Le poème Automne malade de Guillaume Apollinaire est extrait du recueil Alcools (1913). C'est un poème du cycle d'Annie (Annie Playden).
Dans ce poème en vers libre (mètre irrégulier), Apollinaire reprend un thème qui lui est cher, et qui a inspiré beaucoup de poètes, l'automne. D'autres poèmes d'Apollinaire ont pour thème l'automne :
- Les Colchiques,
- Vendémiaire,
- etc.
Dans Automne malade, Apollinaire fait une description poétique de l'automne, et nous montre en quoi cette saison représente la fin d'un cycle.

Question possible à l'oral : Automne malade est-il un poème lyrique ?

Paysage d'automne, ciel d'orage - Maurice de Vlaminck
Paysage d'automne, ciel d'orage - Maurice de Vlaminck (1876 - 1958), peintre français



Texte du poème Automne malade de Apollinaire


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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com

Automne malade

Automne malade et adoré
Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers

Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n'ont jamais aimé

Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé

Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu'on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu'on foule
Un train
Qui roule
La vie
S'écoule

    Guillaume Apollinaire - Alcools - 1913

Nixes :
nymphes des eaux dans les mythologies germanique et nordique
Nicettes :
simples d'esprit, naïves




Annonce des axes

I. La description poétique de l'automne
1. Les éléments classiques de l'automne
2. L'automne qui rend le poète lyrique

II. L'automne, une allégorie de la fin des choses
1. Automne : saison de passage de l'abondance au déclin
2. La fuite du temps vers la mort
3. Une évocation du malheur amoureux ?



Commentaire littéraire

I. La description poétique de l'automne

1. Les éléments classiques de l'automne

- Le thème de l'automne et du déclin de la nature est un thème classique d'Apollinaire et de beaucoup de poètes (par exemple : Chanson d'automne de Verlaine). Ici Apollinaire reprend les éléments classiques de ce thème.
- Un tableau de la nature avec des petites scènes : "Des éperviers planent", "Les cerfs ont bramé"
- Champ lexical de la nature : feuilles, fruits, éperviers, cerfs…
- Les cerfs qui brament peignent un tableau du début de l'automne. Utilisation du passé composé qui montre que cette action est révolue, et que l'automne est donc déjà bien avancé.
- Remarquer l'assonance en [ai] et l'allitération en [r] dans "Aux lisières lointaines / Les cerfs ont bramé" qui évoque la plainte rauque du brame des cerfs- "Le vent et la forêt qui pleurent" : évocation des feuilles qui tombent comme des larmes sous l'action du vent -> la chute des feuilles est symbolique de l'automne.
- "Les feuilles / Qu'on foule" : les feuilles sont tombées.

Cependant, Apollinaire ne s'attarde pas sur les couleurs de l'automne, mais préfère nous livrer ses émotions.


2. L'automne qui rend le poète lyrique

- L'automne est l'occasion pour Apollinaire de nous livrer ses sentiments dans un poème lyrique.
- Le lyrisme est présent dès le premier vers "malade et adoré".
- Apollinaire s'adresse directement à l'automne -> personnification de l'automne. Apollinaire tutoie l'automne, montrant ainsi sa proximité avec cette saison.
- L'auteur fait preuve de compassion envers l'automne "Pauvre automne" : deux mots qui constitue un vers entier.
- Champ lexical de l'amour "adoré", aimé", "j'aime".
- Répétition de "que j'aime" au vers 14, entrecoupée de l'interjection "ô" donnant encore plus de poids au second "que j'aime".
- Apollinaire aime l'automne car cette saison est en accord avec sa propre mélancolie. Au vers 17, les la métaphore des larmes et des feuilles mettent bien en correspondance les larmes de la tristesse humaine, et la chute des feuilles, caractéristique de l'automne.


II. L'automne, une allégorie de la fin des choses

1. Automne : saison de passage de l'abondance au déclin

- Le poète montre l'ambiguïté de l'automne qui est une saison de passage de l'été (connotation de la vie, de la pleine santé de la nature) à l'hiver (connotation de l'immobilisme, de la mort).
- Le double aspect de l'automne est souligné au vers 7 "De neige et de fruits mûrs" dans lequel sont accolés la neige qui représente l'hiver et les fruits mûrs plutôt symboles de l'été.
- Les fruits sont "mûrs", mais ils tombent "sans qu'on les cueilli" -> gâchis de cette richesse offerte par la nature, et repris par cette même nature.
- "Meurs en blancheur et en richesse" : la mort est inévitable, et est associé à des notions qui ne sont pas habituellement associés à la mort : à la couleur blanche de l'innocence et à la richesse.
- "Meurs" est rattaché phonétiquement à "blancheur" (rime) et à "mûrs" (ressemblance) -> le double aspect de l'automne est souligné également par les sonorités du poème.



2. La fuite du temps vers la mort

- Le déclin est annoncé explicitement dès les 2 premiers vers : "malade", "Tu mourras". L'emploi du futur montre le caractère inéluctable de cette mort.
- Beaucoup d'assonances dans cette première strophe ([o], [a], [an], [ai]).
- L'ouragan scellera la mort de l'automne "Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies" -> Apollinaire emploie une allitération en [r] pour représenter la fureur de l'ouragan.
- "Des éperviers planent" : les éperviers sont des rapaces -> ils représentent la menace de la mort.
- "feuille à feuille / Les feuilles / Qu'on foule" : allitération en [f] évoquant le bruit des feuilles mortes sous les pas, ou encore le bruissement du vent dans les feuilles. Idée que l'on piétine maintenant ces feuilles -> ne valent plus rien.
- Le poème s'achève sur 6 vers de 2 syllabes, accélérant ainsi la fin du poème et marquant une rupture avec ce qui précède, rupture soulignée par les alinéas. Ces 6 derniers vers évoquent la vie qui continue malgré tout. Ces 6 derniers vers sont une sorte d'haïku, très court poème japonais.
- Ces 6 derniers vers de 2 syllabes (=12 syllabes) sont une sorte d'alexandrin découpé alexandrin. On pourrait y voir une représentation de la chute d'une feuille qui oscille de droite à gauche dans sa longue chute, selon un procédé utilisé par Apollinaire dans ses célèbres calligrammes.
- Rythme rapide de ces 6 vers comme la vie qui va trop vite : le rythme est rapide grâce à l'anaphore de "qu' / qui" et l'assonance en [ou] ("foule", roule", "s'écoule").
- Les vers "Un train / Qui roule" au présent de vérité générale montre que le temps avance et qu'on ne peut l'arrêter.
- Les derniers vers "La vie / S'écoule" au présent de vérité générale montre que le poète constate la fuite du temps mais est impuissant.


3. Une évocation du malheur amoureux ?

- Apollinaire qui a séjourné en Allemagne fait souvent des références au folklore et à la mythologie germanique dans ses poèmes. Les femmes aux "cheveux verts" se retrouvent dans son poème Nuit rhénane, et les nixes rappellent La Loreley.
- Ici, ils parlent des "nixes nicettes". Les nixes sont des nymphes des eaux dans les mythologies germanique et nordique. Mais Apollinaire les dévalorise : elles sont "nicettes" (terme indiquant leur simplicité d'esprit, leur naïveté) et "naines". Cette dévalorisation des nixettes représentant les eaux, un élément de la nature, montre qu'en automne la nature se rétrécit, elle se meurt.
- Ces nixes "n'ont jamais aimé". Elles incarnent le malheur amoureux. Mise en valeur de "Qui n'ont jamais aimé" car c'est un vers court qui est placé juste après un vers long (alexandrin au vers 10)
- Apollinaire a de la compassion pour l'automne que l'on n'estime pas assez : on ne cueille pas ses fruits mûrs, "on foule" ses feuilles. Le pronom personnel indéfini "on" utilisé deux fois dans le poème montre que l'automne n'est de façon générale pas assez estimé selon le poète.
- Ainsi, en évoquant cet automne malheureux qu'on délaisse et qui se meurt, le poète évoque sa propre condition, et sa déception amoureuse avec Annie Playden (cf. la relation entre Annie Playden et Apollinaire).




Conclusion

    Dans ce poème Automne malade, Apollinaire décrit un automne qui fait place à l'hiver et il y partage ses émotions.
    Bien que traitant un thème traditionnel de la poésie, l'automne, ce poème d'Apollinaire en vers libre est moderne dans sa forme.



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Merci à celui ou celle qui a réalisé cette analyse de Automne malade, de Guillaume Apollinaire