L'Assommoir

Emile Zola

Extrait du chapitre 12

De "Perdue dans la cohue du large trottoir..." à "...de bourgerons couvrait la chaussée."




Plan de la fiche sur le chapitre 12 de L’Assommoir de Emile Zola :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Cet extrait de l'avant dernier chapitre de L'Assommoir de Zola est une espèce de dénouement, une conclusion ouverte, le dernier chapitre pouvant être considéré comme un épilogue.
    Gervaise atteint le fond : elle fait les poubelles et dort sur la paille. Elle se retrouve ici sur les boulevards au moment de la rentrée des ouvriers.

    Ce passage descriptif participe à la progression dramatique du récit, il présente en effet un univers tragique, un espace oppressant animé par une foule sans âme. Il s'agit du reflet des angoisses de l'héroïne.

L'Assommoir - Zola


Texte étudié


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Lu par Pomme - source : litteratureaudio.com

    Perdue dans la cohue du large trottoir, le long des petits platanes, Gervaise se sentait seule et abandonnée. Ces échappées d’avenues, tout là-bas, lui vidaient l’estomac davantage ; et dire que, parmi ce flot de monde, où il y avait pourtant des gens à leur aise, pas un chrétien ne devinait sa situation et ne lui glissait dix sous dans la main ! Oui, c’était trop grand, c’était trop beau, sa tête tournait et ses jambes s’en allaient, sous ce pan démesuré de ciel gris, tendu au-dessus d’un si vaste espace. Le crépuscule avait cette sale couleur jaune des crépuscules parisiens, une couleur qui donne envie de mourir tout de suite, tellement la vie des rues semble laide. L’heure devenait louche, les lointains se brouillaient d’une teinte boueuse. Gervaise, déjà lasse, tombait justement en plein dans la rentrée des ouvriers. À cette heure, les dames en chapeau, les messieurs bien mis habitant les maisons neuves, étaient noyés au milieu du peuple, des processions d’hommes et de femmes encore blêmes de l’air vicié des ateliers. Le boulevard Magenta et la rue du Faubourg-Poissonnière en lâchaient des bandes, essoufflées de la montée. Dans le roulement plus assourdi des omnibus et des fiacres, parmi les haquets, les tapissières, les fardiers, qui rentraient vides et au galop, un pullulement toujours croissant de blouses et de bourgerons couvrait la chaussée.

Emile Zola - L'assommoir - Extrait du chapitre 12




Annonce des axes

I. La foule : composantes et anonymat
II. Gervaise : passivité et angoisse
III. Le décor : écrasement et laideur



Commentaire littéraire

I. La foule : composantes et anonymat

Premier terme qui désigne la foule = "la cohue" donc agitation, bruits, mouvements : grouillement. D'abord évoquée de façon vague "le flot de monde", "la vie des rues", l'activité humaine apparaît avec la vision de la rentrée des ouvriers. Les pluriels et les énumérations donnent une impression d'accumulation. Cette idée de quantité est complétée par l'idée de diversité soulignée par l'aspect physique et vestimentaire : "...en chapeau... bien mis" = les bourgeois, "blêmes de l'air vicié des ateliers" = les ouvriers
Le recours à la métonymie ("des blouses... des bourgerons") permet de généraliser ; ainsi ce sont des catégories sociales (avec la répartition homme/femme), des catégories professionnelles, des métiers manuels ("haquets, tapissières, fardiers") et non des êtres humains. L'absence de regards est notable.
Deux termes marquent à la fois le nombre et l'anonymat : "processions" qui suggère un défilé à intervalles donc une mécanisation et "lâchaient des bandes" qui connote l'animalisation. Le dernier mot "pullulement" impose même l'idée d'une invasion d'insectes qui "couvr[ent] la chaussée".
La quantité croissante de la foule, et donc la progression temporelle, est suggérée par l'invasion spatiale : du trottoir à la chaussée toute entière.
La perception est aussi auditive : "le roulement plus assourdi". Cela laisse supposer que bruit des piétons est plus sonore, plus retentissant, plus insupportable.
Cette cohue est aussi l'image d'une vie ouvrière d'où le repos est absent : "...essoufflées de la montée", c'est un monde dur, indifférent au malheur individuel.
A l'agitation des ouvriers s'oppose donc la passivité de Gervaise.


II. Gervaise : passivité et angoisse

Individualisée par son prénom en contraste avec l'anonymat de la foule, Gervaise apparaît comme le seul être humain doué d'une vie réflexive. Le recours au style indirect libre montre surtout l'incommunicabilité entre elle et les autres.
Le verbe "tomber" est le seul verbe de mouvement dont Gervaise est sujet. Il faut souligner la polysémie du terme qui au delà du sens imposé par le contexte (arrive par hasard), suggère aussi "s'écroule", "s'effondre". Car la foule participe à la chute de l'héroïne : en effet l'adverbe "déjà" ("déjà lasse") indique que Gervaise n'a plus la force d'affronter cette agitation. C'est un monde auquel elle n'appartient plus, dans lequel elle n'a plus de repères : elle est "perdue", sans but précis contrairement aux autres qui rentrent chez eux ("rentrée des ouvriers... rentraient vides").
Le narrateur insiste donc sur l'esseulement de Gervaise ("seule... abandonnée... perdue"). Un malaise accompagné d'une manifestation physique "ses jambes s'en allaient". Son épuisement physique, son incapacité à se déplacer s'opposent à la vitalité de la foule, au mouvement du boulevard et tout laisse à penser qu'elle supporte chocs et bousculades.


III. Le décor : écrasement et laideur

Marginalisée, Gervaise est aussi écrasée par l'espace.
Cet espace ancré dans la réalité grâce aux toponymes est ressenti comme oppressant. La notion d'écrasement est suggérée dans la première phrase par l'idée d'horizontalité ("large... le long") accentuée par la taille des arbres : c'est une perspective au ras du sol qui s'impose.
La vision des "échappées d’avenues " confirme cette idée.
La focalisation interne permet au lecteur de vivre le malaise de Gervaise : ainsi l'adverbe de lieu "là-bas" qui marque l'éloignement de ces avenues en souligne aussi l'inaccessibilité. La reprise du pronom démonstratif neutre ("c'était trop... trop...") traduit le désarroi du personnage perdu dans un espace où elle n'est qu'un détail, l'adverbe "trop" montre l'écart entre ce qu'est devenue Gervaise et ce lieu, son inadaptation au milieu. Cette notion d'intensité négative se retrouve avec l'expression "si vaste espace".
C'est un espace trop grand qui n'offre aucune ouverture, la référence au ciel "pan démesuré de ciel gris, tendu" propose l'image d'un mur. Le participe passé "tendu" suggère une linéarité étouffante.
Le désespoir de l'héroïne est à l'image du paysage décrit de façon négative : nombreux termes dépréciatifs : "laide... boueuse... louche". Le moment, le crépuscule, est d'un symbolisme transparent. C'est la fin de la journée de Gervaise, c'est le dénouement de la journée tragique.
Une lumière "sale" envahit l'espace, un crépuscule très éloigné de celui des romantiques.
La phrase "Le crépuscule avait... semble laide" par sa longueur contribue à souligner l'abandon : on a l'impression que Gervaise s'oublie dans la "contemplation" du boulevard.





Conclusion

    Ce passage de L'Assommoir nous fait participer au désespoir d'une exclue. Fleuve humain et dérive individuelle. Gervaise n'existe désormais plus aux yeux des autres, une mort sociale qui anticipe et précipite la mort physique.

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