L'âme du vin

Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal

Analyse linéaire





Plan de l'analyse de L'âme du vin de Charles Baudelaire :
Introduction
Texte du poème L'âme du vin
Analyse linéaire du poème


Introduction

    Dans le poème L'âme du vin, de Charles Baudelaire, six quatrains d’alexandrins rigoureusement construits en hémistiches égaux de 6 pieds chacun et rimes alternées (féminine, masculine), déploient 5 phrases complexes où un long discours au style direct exploite savamment les formes exclamatives et interrogatives au moyen de présents, futurs, modaux, infinitifs, participes, pour donner parole, vie et " âme " à ce premier paradis artificiel : le vin.





Texte du poème L'âme du vin


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Lu par Thomas de Châtillon - source : litteratureaudio.com

L'âme du vin


Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles :
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j'éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d'un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l'espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content ;

J'allumerai les yeux de ta femme ravie ;
A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L'huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l'éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »

Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal


Les buveurs - Van Gogh - 1890
Les buveurs - Van Gogh - 1890



Analyse linéaire du poème

Strophe 1 :

Début narratif comme pour un conte. L’imparfait narratif plante un décor adéquat : le soir (moment propice pour boire), le chant (très souvent accompagnateur des buveurs) et les bouteilles, récipients indispensables pour voir le précieux liquide et le verser dans des verres pour le boire. La parole et l’esprit sont donnés au vin, mieux encore, le voilà doué d’une âme : il aime son buveur - " cher " - et il le juge " déshérité ", (la perte d’un héritage est-elle la cause du besoin de s’enivrer ?). Libéré de sa " prison " que représente la bouteille, il " pousse ", à la manière des bons vivants " un chant " à boire. " Cires vermeilles " et " lumière " d’une part et " fraternité " d’autre part instaurent une tonalité de sincérité fraternelle et de franche clarté qui dominera le poème.


Strophe 2 :

Le vin ainsi personnifié, se fait intelligent et savant : il est conscient de la difficulté de planter et d’entretenir une vigne. Mais son savoir est bienveillant : il veut remercier les hommes de tous leurs efforts, il se veut responsable et bienfaisant. Il impose sa présence personnifiée dans un registre moral, intensifiant cette bonne conscience par une négation moralisatrice : " je ne serai point ingrat ni malfaisant ", contrastant ainsi avec le registre de l’effort proprement physique du viticulteur (" de peine, de sueur "). Le modal " il faut " rétablit l’équilibre de l’échange moralisateur des services rendus. Est-ce un tour du poète pour se faire pardonner de l’objectif ultime des actions évoquées à savoir le plaisir de l’ivresse ?


Strophe 3 :

Le savant moralisateur que le vin personnifie devient homme doué de sensibilité et de sentiments. La vie " chaude " et la mort froide comme les " froids caveaux " s’opposent dans un agencement d’images où les organes concernés de l’" homme usé ", son " gosier ", sa " poitrine ", mettent en valeur la présence spirituelle de ce vin doué de parole, de mouvements et de sentiments : " je tombe ", " je me plais bien mieux ". Mais c’est sa connaissance de l’homme et de " ses travaux " qui en fait un interlocuteur particulièrement compréhensif et aimant, fraternel, éprouvant une douceur affectueuse à tomber dans sa " poitrine ", région du corps où est situé le cœur. Cette connaissance va jusqu’à celle de la mort : le poète veut-il signifier que ce paradis artificiel qu’est le vin détient le secret du mystère de la mort humaine ou bien qu’il console l’homme de ne pas comprendre ce mystère ?


Strophe 4 :

L’identification est totale : le vin personnifié confond son " sein palpitant ", (le sein est synonyme de cœur) avec celui du buveur. La confusion se fait dans la joie et " un espoir qui gazouille " : Le chant du 1er quatrain est repris dans ces " refrains " de glorifications et de joie de l’homme " content ". La vie palpitante succède à la mort et aux " froids caveaux ", évoqués dans le quatrain précédent. Elle provoque un effet de contraste tout comme les " dimanches " et " les coudes sur la table " contrastent avec l’image précédente de l’ " homme usé par ses travaux " : il retrousse encore ses manches mais pour chanter et boire ! Les connotations de gloire, d’oiseaux qui chantent, de clairons et trompettes de triomphe, (" Entends-tu retentir.. "), ainsi que l’injonction interrogative et le tutoiement des deux verbes au futur, donnent une dimension lyrique presque biblique à ce quatrain : le vin personnifié devient prophète, prédicateur.


Strophes 5 et 6 :

Le paradis cesse d’être artificiel, le vin-prophète en est détenteur. Ces 2 quatrains constitués d’alternances identiques de rimes (- vie,- sie et - eurs, - eur), concrétisent, dans des témoins tirés de la vie, les plus proches de l’homme (" ta femme ", " ton fils "), le miracle prédit précédemment : le bonheur de la femme et la force des enfants sont les aspirations les plus courantes du mortel devenu ici " frêle athlète de la vie ". La vie est perçue comme une lutte où il faut se battre au moyen de muscles fermes et huilés. Le vin personnifié, prophétisé, demeure néanmoins liquide mais un liquide doué de pouvoirs : une " huile qui raffermit les muscles des lutteurs ", une " ambroisie ". Là, le poème atteint une dimension sacrée chère à Baudelaire : " Dieu ", " éternel Semeur ", intervient au sommet de cette accumulation d’images symboliques, commencée par un liquide doué de parole qui progressivement devient doué de pouvoirs dépassant et fascinant les êtres humains. Ce dépassement, cette envolée, c’est dans " la poésie " que l’auteur veut les placer. Est-il convaincu que l’inspiration du poète est d’un ordre surhumain ou veut-il prouver à l’homme qu’il est de nature divine ? En faisant de ce paradis artificiel qu’est le vin un être vivant doué d’intention et de sens, Baudelaire fait de chaque homme - s’il le veut bien - un poète. Ce vin magique n’est pas un hasard de la création, il est " Grain précieux jeté par l’éternel Semeur ", détenteur d’un amour d’un genre unique et d’un pouvoir particulier, celui de donner naissance à " une rare fleur ", une Fleur du Mal ? se demande-t-on, une de ces 133 poésies inspirées par le Mal de ce monde, ses souffrances ? Ou plutôt à LA poésie, ce paradis naturel, contenu dans chaque être humain, pourvu qu’il se donne la peine de regarder en lui. Et - consolation, justification, bonne excuse ? - le vin nous y aide.









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